ROMAN
Guy Saint-Jean Éditeur
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© Guy Saint-Jean Éditeur inc., 2009, pour l’édition originale.
© Guy Saint-Jean Éditeur inc., 2018, pour cette nouvelle édition.
Révision: Johanne Hamel
Correction d’épreuves: Audrey Faille
Conception graphique: Christiane Séguin
Photo de la page couverture: © Depositphotos/avgustino
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2018
ISBN: 978-2-89758-579-2
ISBN EPUB: 978-2-89758-580-8
ISBN PDF: 978-2-89758-581-5
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Toute reproduction ou exploitation d’un extrait du fichier EPUB ou PDF de ce livre autre qu’un téléchargement légal constitue une infraction au droit d’auteur et est passible de poursuites pénales ou civiles pouvant entraîner des pénalités ou le paiement de dommages et intérêts.
Imprimé au Canada
1re impression, septembre 2018
Guy Saint-Jean Éditeur est membre de |
À Samuel et Charlotte,
merci d’être là…
PROLOGUE:Alors, je commence où?
CHAPITRE 1:Il était une fois…
CHAPITRE 2:Nuages à l’horizon
CHAPITRE 3:Le premier orage
CHAPITRE 4:Ennemie publique numéro 1
CHAPITRE 5:Étreintes et frissons
CHAPITRE 6:Seuls au monde
CHAPITRE 7:Une Halloween mémorable
CHAPITRE 8:Ma bulle de bonheur
CHAPITRE 9:Un autre petit nuage
CHAPITRE 10:La fin du monde
CHAPITRE 11:Mon cœur en miettes
CHAPITRE 12:Mon cœur engourdi
CHAPITRE 13:Les montagnes russes
CHAPITRE 14:En route vers l’enfer
CHAPITRE 15:Mission survie
CHAPITRE 16:Dérapage
CHAPITRE 17:Tout s’écroule
CHAPITRE 18:Décision et indécision…
CHAPITRE 19:Un geste en attire un autre
CHAPITRE 20:Un drame n’attend pas l’autre
CHAPITRE 21:La vie de Sébastien
CHAPITRE 22:Nouveau départ
REMERCIEMENTS
Le soleil commence à se faire discret sur la mer en ce 24 décembre, teintant les nuages de toutes sortes de mauves, d’orangés, de gris, aussi. Une journée magnifique s’achève, la première d’une semaine avec mes parents en République dominicaine, et j’ai peine à croire que je suis bien ici, au chaud. J’imagine Sarah-Jeanne et Julianne là-bas, dans la neige, tandis que moi, les fesses dans le sable, je me laisse caresser par le vent chaud des Caraïbes.
Je n’avais jamais cru qu’il pouvait exister autant de nuances de bleu, de turquoise, de blanc et de beige, que la mer pouvait se mêler aussi magnifiquement au ciel. Moi qui ai pourtant toujours été sensible aux couleurs, je découvre qu’après tout, je n’en connaissais que quelques-unes. Il y en a tant de nouvelles à découvrir! Ici, je suis servie. Voilà donc pourquoi on l’appelle «la république des couleurs»! Je prends des dizaines de photos, j’essaie de capturer chaque teinte de tout ce qui m’entoure, selon l’heure de la journée, selon mon humeur, aussi. C’est fantastique.
Depuis que ma mère m’a offert mon premier appareil-photo, vers l’âge de huit ou neuf ans, la photo est ma façon à moi de mettre une image sur mes sentiments, comme si ça me permettait de mieux les comprendre, j’imagine. Tout ce que je vois prend une autre dimension, une profondeur différente, et dévoile un sens secret qui se révèle à moi et me laisse voir l’invisible. Quand je prends des gens en photo, j’essaie de le faire à leur insu, précisément pour cette raison. Ils sont parfois étonnés du résultat, mais je sais que c’est leur vrai visage qui paraît alors. «Je me ressemble pas!», disent-ils souvent. Comment sait-on, au juste, à quoi on ressemble? On se fait souvent une idée complètement différente de ce dont on a l’air… En tout cas, moi, je l’ai fait longtemps.
Ce n’est pas la première fois que je vois la mer, mais c’est certainement la première fois que je vois cette mer, une mer de carte postale. Je m’imagine sur une photo d’agence de voyages, fille contemplant les vagues sur fond de grands palmiers. Une image de paix et de sérénité, de bonheur tranquille, sans histoire. Ouf! Pas tout à fait. Non, «sans histoire» ne s’applique certainement pas à moi. Oh! Le bonheur reviendra sans doute, j’imagine que le temps fera son œuvre. En attendant, je suis comme un animal blessé léchant ses plaies. Il paraît que l’eau de mer aide à guérir les blessures. Toutes les blessures? Même celles du cœur? C’est à suivre!
Mes parents ont décidé de venir passer le temps des fêtes ici cette année. Ils avaient besoin, autant que moi, de s’éloigner un peu de chez nous, de faire le vide sur cette année horrible qui se termine. Ils ont traversé un orage, eux aussi, à leur façon. Je n’avais pas réalisé que mes parents en étaient presque venus à se séparer à l’automne. Je ne l’aurais pas pu; je ne réalisais pas grand-chose à ce moment-là. J’avais, disons, mes propres démons à combattre. Mais je suis contente qu’ils aient décidé de tenter de se réconcilier. Sans doute voient-ils que j’ai besoin d’eux. Je ne l’aurais jamais admis avant, mais depuis quelques mois, c’est bien le cas.
Ma tempête à moi, qui a débuté il y a presque un an jour pour jour, a fait pas mal de dégâts et me laissera sans doute plusieurs cicatrices longues ou impossibles à guérir complètement.
Je passerai donc Noël ici, au chaud, ainsi que mon anniversaire. Étrange. Moi qui ai toujours passé mes anniversaires dans la neige. Dix-sept ans cette année. J’entends encore ma mère me dire, à pareille date l’an passé, que je vivais les plus belles années de ma vie. Que la simplicité et l’insouciance de l’adolescence, c’était merveilleux, et que, dans quelques années, je donnerais tout pour pouvoir y revenir. Hum… Peut-être est-ce vrai pour plusieurs personnes, mais en ce qui me concerne, si la dernière année était une des plus belles de ma vie, je ne veux surtout pas savoir à quoi ressemblerait ma plus mauvaise!
Mon cœur, lui, bat toujours même s’il est encore fragile. Je me surprends de plus en plus souvent à sourire, mais la colère est toujours là qui gronde; puis, mes yeux se remplissent d’eau, d’une tristesse de plus en plus vague mais bien réelle. Tout ça est beaucoup moins difficile à endurer maintenant qu’il y a quelques semaines, cependant. Et j’imagine que ça va continuer à s’améliorer grâce à mes nouvelles amies, Sarah-Jeanne et Julianne, et aux autres, Frédérick, Mélo et Jonathan, Simon-Pierre et Olivier. Malgré la chaleur, je frissonne en me demandant où j’en serais sans eux. Oui, je frissonne souvent depuis quelque temps.
J’ai encore tant de peine à croire tout ce qui s’est passé dans la dernière année. Comme si cette fille devant la mer sur la carte postale était une autre que moi, comme si elle était celle que j’étais avant. Je voudrais tant la retrouver, cette ancienne Élysabeth! Moi, j’ai encore peur. Peur de revivre certaines choses, peur d’être prise au piège. Aux pièges. La culpabilité de m’être laissé entraîner dans un tourbillon m’étouffe. La douleur de ce que j’ai perdu et la honte aussi. C’est pourquoi je me suis donné un objectif pendant cette semaine d’océan et de chaleur. Pendant que les autres jeunes qui m’entourent apprendront des pas de merengue sur la plage ou s’amuseront dans l’immense piscine de l’hôtel, moi, je vais faire un grand ménage dans mon cœur. Je vais tout décortiquer, analyser à coup de grandes marches sur la plage et de contemplation des vagues. Alors, je commence où? Avec le cadeau que Julianne et Sarah-Jeanne m’ont offert la veille de mon départ? Non, pas tout de suite. Elles m’ont fait promettre d’attendre d’être calme, d’être prête à regarder devant avant de l’ouvrir. Je n’y suis pas tout à fait. Presque. Alors, j’imagine que je devrais bien commencer par le commencement, comme on dit, c’est-à-dire avec Nico, puisque c’est bien avec lui que tout a commencé…
Nico a toujours fait partie de ma vie. Nous avons grandi ensemble, dans cette même banlieue ordinaire et confortable où nous habitons toujours, et vécu une enfance sans histoire. Mes parents avaient choisi ce nouveau quartier en même temps que les siens. J’avais deux ans et lui, trois. En bons voisins, nos parents ont sympathisé, et c’est comme ça que nous sommes devenus amis, lui et moi. Un simple hasard. Un hasard qui a pris une place énorme dans ma vie. Nous aurions très bien pu ne pas nous entendre du tout, mais le destin en a décidé autrement: nous sommes vite devenus inséparables.
Déjà, au tout début, nos parents respectifs s’amusaient à faire toutes sortes de scénarios concernant notre vie future. Ils nous imaginaient dans une union qui durerait la vie… «Oh, les amoureux! Sont tellement cutes! Ce serait tellement drôle qu’ils finissent ensemble!» À croire que ma mère n’en pouvait déjà plus d’attendre que je grandisse: j’étais à peine sortie des couches qu’elle me voyait en couple!
Des scénarios, elle en avait déjà élaboré plusieurs, comme si elle passait sa vie à planifier ce que serait la mienne. Tout ce qu’elle m’offrait, chaque occasion qui se présentait, devenait prétexte aux sempiternelles: «Tu ne sais pas la chance que t’as!» et autres: «Moi, à ton âge, j’avais pas ceci ou cela!» «Moi, à ton âge» est sans doute le début de phrase que j’ai entendu le plus souvent de toute ma vie.
Quand j’ai commencé l’école, j’étais habituée aux lubies de ma mère. De toute manière, je pense que déjà, à cet âge, j’avais compris qu’il ne servait à rien d’essayer de lui faire voir mon point de vue. Tant que je correspondais à l’image qu’elle voulait que je projette, tout allait bien. Elle ne voulait pas que je sois un garçon manqué, mais elle refusait obstinément de me voir devenir une petite princesse et encore moins d’en avoir l’allure.
Ma mère avait aussi des règles très strictes en ce qui concernait mon comportement. Je devais être polie, bien m’exprimer et toujours demander la permission. Il était hors de question que j’ose poser les coudes sur la table aux repas ou que je fasse le moindre bruit en mangeant. Elle a tout fait pour que je sache lire avant même de commencer la maternelle et elle a réussi. Voilà un exploit dont elle n’est pas peu fière! Je me sentais parfois comme une bête de cirque. Je me revois avec mes parents dans un restaurant chic du centre-ville où nous étions allés avec quelques-uns des collègues de travail de ma mère. Je devais faire ma grande fille, mais j’avais l’impression d’être exposée là comme un bibelot, un trophée, une décoration, surtout lorsqu’elle me faisait lire à voix haute, mine de rien, un livre de contes qu’elle avait apporté pour me désennuyer. Je me suis donc habituée à me faire dire que j’étais tellement sage, gentille, en avance et mature pour mon âge!
La moyenne n’a jamais été une option pour ma mère, la médiocrité encore moins. Seulement l’excellence. Je n’avais tout simplement pas le droit à l’échec. Partout, il fallait que je sois la meilleure, celle qu’on remarquait, la petite fille parfaite. Cependant, je dois bien avouer que j’en retirais bien des avantages. J’étais le chouchou des profs, j’obtenais tous les privilèges, mentions, honneurs, et, surtout, ma mère me laissait tranquille. Si j’avais su qu’elle se préparait à prendre le contrôle de chaque facette de ma vie, j’aurais peut-être essayé de me rebeller pendant qu’il en était encore temps, mais je n’étais qu’une enfant, une toute petite fille de rien.
Pour en revenir à Nico, les premières années de notre amitié sont floues. Mais comme ma mère adore prendre des photos, elle aussi, il reste des milliers de souvenirs de cette époque, autant de moments témoignant de mon enfance dorée. Comme les caméras numériques n’étaient pas encore très courantes à cette époque, plusieurs de ces photos sont vraiment manquées, d’un point de vue artistique; mais ma mère est incapable de jeter la moindre photo de moi ou de quiconque, aussi mauvaise soit-elle. Tant mieux, car les photos ratées sont souvent celles que je préfère. Il y en a de moi, petite fille rousse, «carotte», comme le diraient plus tard les enfants à l’école, avec des cheveux bouclés toujours emmêlés, mes maudites taches de rousseur qui m’exaspéraient déjà; de Nico, avec ses grands yeux bleus aussi perçants que des rayons laser et ses fossettes si mignonnes; de lui et moi dans une embrassade tout enfantine devant un château de sable; au parc, de Nico et moi dévalant la glissoire, de grands sourires idiots et édentés au visage. Des années simples, joyeuses.
Nico a fait son entrée à la maternelle un an plus tôt que moi, et, au fil du primaire, les choses ont commencé à changer. Et comme Nico n’était pas dans ma classe, nous nous sommes un peu perdus de vue. Oh! Pas complètement ni volontairement. Tant que les belles soirées d’été duraient, il nous arrivait fréquemment de les passer ensemble à faire du vélo et à jouer à la balle ou au hockey dans la rue, et une belle complicité continuait de nous unir.
Pendant ce temps, nos mères – surtout la mienne! – poursuivaient leurs insinuations: «Toi et Nico, vous êtes TELLEMENT beaux! Je parie que dans plusieurs années vous allez sortir ensemble!» Ce genre de commentaire attirait inévitablement une grimace de ma part et un furieux rougissement d’embarras chez Nico. Cependant, sans vouloir l’admettre, je pense que je commençais déjà à espérer, secrètement, que ce soit vrai.
Durant l’automne et l’hiver, nous ne nous voyions presque pas. Nico jouait au hockey depuis aussi longtemps que je skiais, et ça prenait de plus en plus d’importance dans sa vie. Il était d’ailleurs très bon, et son père l’encourageait de toutes les façons possibles. En conséquence, toutes ses fins de semaine de l’année y passaient tandis que moi, je partais au chalet avec mes parents. En effet, ma mère avait insisté pour acheter un chalet l’année où j’ai commencé la maternelle. Elle se remettait au ski, il allait donc de soi que ça m’incluait. Toutes les fins de semaine, cours obligatoires. J’allais devenir monitrice de ski, et le plus tôt serait le mieux! Ce n’était pas une option, c’était dans l’ordre naturel des choses. Et puis, ça lui permettrait de se vanter auprès de ses amis et de venger son honneur. Ne disait-elle pas toujours: «Moi aussi, j’avais du talent, mais mes parents n’auraient jamais pu nous offrir des cours, encore moins un chalet!» Je me demandais bien ce que ma mère aurait fait si elle ne m’avait pas eue pour vivre ses vieux rêves…
Bref, les années passaient, et Nico et moi sommes devenus préadolescents. À onze ans, quelques-unes de mes amies avaient déjà un chum. Je trouvais ça un peu ridicule, mais ça ne me regardait pas. J’avais beau leur expliquer que Nico et moi, c’était différent, qu’on aimait les mêmes choses et qu’on avait du plaisir à être ensemble, mais elles s’obstinaient à prétendre que nous étions amoureux, se faisant entre elles de petits sourires entendus, disant que c’était justement ça, être amoureuse. Je les laissais faire. Pour moi, Nico représentait bien davantage le frère que je n’ai jamais eu, et je pense que c’était à peu près la même chose pour lui. Nous nous racontions des choses secrètes, intimes, nos rêves, nos peurs, nos questions. Peut-être, après tout, que c’étaient là les premiers balbutiements de nos futures amours, je n’en sais rien.
Chacun de nous a connu de petites amourettes sans conséquence. Nico commençait à me manquer, les occasions de nous voir se raréfiaient et ça a empiré lorsque ma mère m’a inscrite au secondaire dans une école privée pour, disait-elle, me donner les meilleures chances de réussir dans ma vie. Je n’avais pas vraiment d’objection. Une école ou l’autre, ça n’avait pas d’importance. Je perdrais bien quelques amies de vue, mais aucune d’entre elles n’était suffisamment proche pour que ce soit dramatique et les plus importantes habitaient tout près de chez moi. Il n’y avait donc aucun problème. De plus, j’avais toujours eu beaucoup de facilité à me faire de nouveaux amis. Tout au long de mon école primaire, j’avais eu des tonnes d’amies et je préférais de loin être populaire et bien entourée plutôt que d’avoir une seule best, exclusive. Pour être populaire, je l’étais. Était-ce parce que j’étais toujours impliquée dans un tas d’activités, que je réussissais très bien dans la majorité des cas? Il me semble enfin que ça coulait de source, que tout était facile, simple.
J’ai réussi l’examen d’admission à l’Académie Sainte-Croix sans surprise. Entre-temps, Nico, lui, avait fait son entrée à la polyvalente et il a semblé disparaître complètement de ma vie. J’espérais secrètement que le hasard nous permettrait de nous croiser, mais la saison régulière de hockey avait débuté et l’occasion ne s’est pas présentée. Il me manquait confusément, comme si je l’avais toujours en arrière de la tête, mais j’étais bien occupée, moi aussi, avec un tas d’autres choses, et les semaines passaient à une vitesse folle.
Dès la rentrée, j’ai constaté que je connaissais déjà plusieurs personnes de mon ancienne école. Nous nous sommes acclimatés ensemble, donc ça a rendu les choses encore plus faciles. Pendant cette première année de secondaire, peu de choses importantes se sont produites, mis à part que j’ai été choisie comme photographe pour certains événements de l’école. Ces photos étaient destinées au site Internet de l’école et au journal étudiant. J’étais flattée, car même si moi, je trouvais mes photos satisfaisantes, il était bon de savoir que je n’étais pas la seule! Même madame Gagnon, la prof qui donnait l’atelier de photo à l’école, était d’accord:
— C’est comme si tu voyais à travers les choses, prétendait-elle.
Ça m’a fait drôle. C’était exactement comme ça que je me sentais.
C’est elle qui m’a annoncé que le directeur voulait que je devienne la photographe étudiante officielle. Je jubilais. Entre-temps, j’apprenais à jouer avec la lumière et à trouver de nouveaux angles intéressants. J’ai pris des centaines de photos tant pour l’école que pour moi-même. Je les publiais sur ma page Instagram et récoltais des tonnes de «j’aime».
Lorsque j’ai eu entre les mains le premier numéro du journal dans lequel six de mes photos étaient publiées, je ne tenais plus en place. Je me sentais vibrante, excitée. Devrais-je le montrer à ma mère? Sans doute serait-elle assez fière de moi. C’était une autre réussite dont elle pouvait se vanter.
Le temps coulait doucement et je changeais, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. J’avais des seins et j’en étais fière, mais ma mère refusait de me laisser mettre de jolis soutiens-gorge en dentelle ou de couleur comme en portaient mes amies. Que des blancs, ordinaires. «Tu grandis bien assez vite comme ça, t’es pas obligée d’essayer d’avoir l’air d’une femme tout de suite! Si tes amies veulent avoir l’air de pitounes, c’est leur problème!» Mais de quoi parlait-elle? Elle aurait voulu que je les cache? Quand j’ai eu mes règles, ma mère en a fait tout un plat. «Ma petite fille est maintenant une femme! Pauvre toi, beaucoup de choses vont changer…» Elle avait l’air triste, et je pensais qu’elle se mettrait à pleurer. Ce n’était tout de même pas si pire que ça! Évidemment, l’idée d’avoir des maux de ventre chaque mois, de devoir trimballer tout l’attirail à l’école et d’avoir peur de tacher mes vêtements à tout moment n’était pas très réjouissante, mais je ne voyais pas de quoi en faire un drame.
Le maquillage était une autre source de discorde entre nous deux. Plusieurs de mes amies se maquillaient depuis déjà un bout de temps. Je trouvais qu’un peu de mascara et une ligne tracée au crayon mettaient mes yeux verts en valeur, mais la seule fois où j’avais osé le faire, ma mère avait piqué une crise. Refusait-elle de me voir vieillir? Je trouvais ça tellement injuste!
De dispute en chicane, les mois passaient. Un bon soir, j’ai croisé Nico au centre commercial. Je lui ai fait un petit salut de la main. Il n’a pas réagi. Puis, il a fini par y répondre en souriant, un air surpris au visage. Quand il s’est approché, sa surprise s’est transformée en gêne, et je ne comprenais pas pourquoi. Il a même rougi, arrivé tout près, et son visage a pris une teinte nettement écarlate. Il avait changé un peu: il était plus grand, avait peut-être l’air un peu plus vieux, aussi, mais son regard perçant était le même.
— Allô, Ély. Wow! Je veux dire, excuse-moi, je t’avais pas vraiment reconnue. T’as changé pas mal…
— Ah, oui? J’sais pas. Comment tu vas? Tu joues toujours au hockey? Je vais essayer d’aller te voir jouer un moment donné.
— Oui, ça serait l’fun. On joue souvent à l’aréna près de chez nous.
Mais je ne l’ai pas fait, pas cet hiver-là. En arrivant chez moi, je me suis regardée attentivement dans le miroir de ma chambre. Ça ne s’était pas passé du jour au lendemain, alors je n’avais pas vraiment remarqué. Oui, j’avais changé. Je n’étais vraiment plus une petite fille, malgré ce que voulait croire ma mère.
J’ai commencé à réellement m’intéresser aux garçons l’année suivante, à Vincent plus particulièrement. Je n’osais pas vraiment en parler, surtout pas à ma mère, car elle m’aurait posé des millions de questions auxquelles je n’étais pas prête à répondre. Et d’ailleurs, je ne savais même pas si Vincent m’avait remarquée ou non. Je le connaissais depuis l’année précédente, mais c’est vers la fin de mon deuxième secondaire que j’ai commencé à le voir différemment.
Très sportif, il faisait partie de l’équipe de natation de l’école et jouait, lui aussi, au hockey. Mes amies, qui rêvaient de voir un nouveau couple se former, me talonnaient sans cesse pour que je lui fasse connaître mon intérêt. Elles étaient certaines que je n’avais qu’à faire les premiers pas pour que nous sortions ensemble. Il paraissait plus vieux que son âge; il dépassait les autres garçons de la classe d’une bonne tête et sa voix était déjà grave et chaude. Il n’avait que quatorze ans, lui aussi, mais en paraissait facilement seize. Je ne sais pas si c’est ça qui m’a attirée chez lui, ça a peut-être contribué, mais son charme principal, à mes yeux, était qu’il avait l’air de toujours avoir une opinion différente de celle des autres. Il ne se tenait pas vraiment avec un groupe; il avait l’air plutôt mystérieux et surtout moins immature que les autres gars de notre classe. Il avait beaucoup d’amis, mais préférait souvent rester seul à écouter de la musique ou à jouer de la guitare le midi. Je n’avais jamais osé lui adresser la parole à l’extérieur de la classe autrement que pour le saluer distraitement, comme à n’importe qui d’autre. Plus les semaines passaient, plus j’en mourais d’envie. Seulement, je n’aurais pas su quoi lui dire. Et lui ne semblait pas me montrer le moindre intérêt, alors…
Plusieurs mois plus tard, le hasard, encore lui, s’en est mêlé. Un jour, j’ai pris une photo de Vincent. Je ne le lui aurais jamais dit et encore moins montré si Roxanne ne s’était pas ouvert le clapet.
— Qu’est-ce que tu viens de photographier, Ély? Ça serait pas Vincent, par hasard?
Oui, c’était bien le cas, mais c’était un accident. Ou peut-être pas? Je ne le savais plus. Je voulais en fait photographier la pluie et le vent qui faisaient pencher les arbres par la grande fenêtre, et il était là par coïncidence, regardant dehors. Il m’était apparu, avec sa chemise blanche se découpant sur le ciel sombre, comme un phare dans la tempête. Il était l’accessoire visuel parfait qui donnait du relief à une scène qui, sans lui, aurait été banale.
Roxanne n’a pas été très discrète. En fait, on a dû l’entendre jusqu’à l’autre bout de l’école, et Vincent s’est retourné. Il m’a regardée, et je me demandais ce qu’il allait dire et s’il serait fâché. Mais il m’a souri et m’a demandé:
— Je peux voir?
Je lui ai montré la photo. J’étais gênée, je me disais qu’il la trouverait sans doute un peu bizarre, ne verrait pas le contraste des teintes, ne capterait pas l’ambiance singulière.
— C’est beau. Ça serait si ordinaire, mais l’angle que t’as pris est intéressant. T’en prends des tonnes de photos, hein?
— Oui, c’est le moins qu’on puisse dire!
— J’en ai vu des belles dans le journal. Différentes. Originales. Comme toi, je pense.
Je me suis sentie rougir. Je ne savais absolument pas quoi dire. Au moins, il avait dit «originale», pas «bizarre»!
Il a fait une pause avant de plonger ses yeux dans les miens. Bruns. Des cils incroyablement longs. Wow!
— Est-ce que je pourrais voir d’autres photos? Je t’ai vue en prendre plein dehors, l’autre jour.
Il m’avait vue. Il avait remarqué que je prenais des photos. Il voulait les VOIR! J’ai répondu par un grand sourire et me suis installée par terre. Il s’est placé à côté de moi et je lui ai montré mes dernières œuvres. Vincent était très perceptif. J’avais rarement connu quelqu’un, à part Nico, capable de ressentir certaines choses de la même façon que moi. En regardant mes images, même sur l’écran minuscule de mon appareil-photo, il comprenait comment je m’étais sentie lorsque je les avais prises. J’étais impressionnée et très étonnée, car la plupart du temps, il voyait juste.
Nous avons commencé à passer nos midis ensemble. Vincent préférait les jours nuageux aux jours de plein soleil; il aimait la pluie et ça m’a fait tout drôle quand il m’a dit ça. J’adorais la pluie. Je pouvais passer des heures à la regarder tomber, à observer le changement de lumière et de couleur que prenaient les choses selon l’heure du jour, à voir le ciel s’obscurcir même en plein milieu de la journée. J’adorais même marcher sous la pluie, et Vincent prétendait la même chose. C’était presque incroyable. J’avais vraiment l’impression qu’il me devinait.
Un beau soir de printemps, au parc, il m’a embrassée. Il a juste posé ses lèvres sur les miennes, tout doucement, quelques secondes. Je l’ai regardé, étonnée, puisqu’il semblait attendre ma réaction. Quand il a rapproché son visage du mien, je l’ai laissé faire, lui montrant que j’étais d’accord. Et il a collé ses lèvres sur les miennes plus longtemps. C’est comme ça que je suis devenue sa petite amie.
Nous avons passé presque tout l’été ensemble. Ma mère était plus ou moins d’accord, mais je crois aujourd’hui qu’elle considérait cette relation comme étant mineure, enfantine. Vincent était aide-sauveteur à la piscine municipale les jours de semaine, et nous pouvions nous voir le soir et les quelques fins de semaine où je n’allais pas au chalet. Je me souviens de cet été-là comme d’un été fantastique. Malgré son côté sérieux et parfois introverti, Vincent pouvait être amusant, drôle et vraiment très sensible. J’adorais cette capacité qu’il avait de lire en moi: il savait comment je me sentais parfois mieux que moi ou avant que je le sache moi-même. Cependant, je trouvais parfois qu’il prenait un peu trop de place dans ma vie. Il était mon premier véritable chum, quoi qu’en pense ma mère, et, bien que je sois fière de me promener avec lui, il acceptait mal que j’aie parfois envie de faire des choses sans lui. Il ne le disait pas ouvertement, mais je sentais clairement son humeur s’assombrir quand j’allais magasiner avec des amies ou passer la journée quelque part entre filles. Puis, il s’est mis à me poser toutes sortes de questions sur mon emploi du temps: avec qui j’étais, ce que je faisais. Je me sentais surveillée et ça m’agaçait profondément. Quand je lui en ai parlé, il m’a avoué que j’avais raison:
— Excuse-moi, Ély. T’as raison, mais c’est parce que… ben, parce que je pense que je t’aime vraiment beaucoup et je m’ennuie quand je peux pas te voir.
Il était tout rouge. Je l’avais rarement vu aussi mal à l’aise. Il m’avait pourtant déjà dit qu’il m’aimait, quoique pas aussi sérieusement. J’étais touchée.
— Je te promets que je vais arrêter ça. T’inquiète pas, j’ai pas de problème à ce que tu fasses ce que tu veux, quand tu veux.
Hum. Je ne demandais qu’à le croire, mais un petit malaise s’est installé entre nous depuis cette conversation. J’ai essayé d’en parler avec mon amie Eugénie, qui m’a demandé:
— Et toi, est-ce que t’es amoureuse autant que lui?
Je ne savais vraiment pas quoi répondre. Je ne m’étais tout simplement pas posé la question. C’était évident que je l’aimais, non? J’étais bien avec lui, et il me manquait lorsque je ne l’avais pas vu depuis quelques jours. Était-ce bien ça, être amoureuse? Oui, sans doute. Et il pouvait être si doux et romantique!
J’ai commencé mon troisième secondaire avec entrain. J’entamais l’école avec un chum, c’était merveilleux. Ma mère, de son côté, commençait à s’inquiéter, car j’avais tout à coup envie de me rendre plus jolie, plus attirante, pour Vincent. Elle a accepté enfin que je me maquille discrètement et que je porte des vêtements plus féminins en dehors de l’école si je lui jurais que je n’en ferais pas trop. Quelle victoire! Les compliments de Vincent me faisaient très plaisir et j’avais remarqué que d’autres garçons de l’école me lançaient aussi des regards appréciateurs… que Vincent, lui, s’est mis à ne pas apprécier du tout. J’aurais pensé qu’il en serait flatté. Pour moi, c’était comme si la chenille était en train de se transformer en papillon, mais il ne voyait pas les choses de la même façon. Il se montrait de plus en plus possessif lorsque nous étions ensemble, tenant ma main ou m’enlaçant étroitement, comme s’il voulait montrer à tout le monde que j’étais avec lui. Ça aurait dû me faire plaisir, mais ce n’était pas ce qui était en train de se produire. Il boudait de plus en plus souvent, et, même lorsque nous étions seuls tous les deux, son humeur était souvent sombre; il avait constamment besoin d’être rassuré que je l’aimais et que je tenais à lui.
Nous n’arrivions pas à nous voir très souvent en dehors de l’école et je pense que ça faisait un peu mon affaire. Il habitait à une bonne distance de chez moi et il était de plus en plus occupé avec ses entraînements de natation et de hockey. Pour l’apaiser un peu et calmer son insécurité grandissante, je lui ai promis que j’essaierais d’aller voir une de ses parties de hockey dès que possible. Comme j’allais passer mon cours de prémoniteur de ski dès le début de la saison, il serait alors difficile pour moi d’aller le voir jouer la fin de semaine.
Quelques semaines passèrent ainsi, et Vincent se montrait toujours aussi taciturne. Il aurait aimé que j’abandonne mes cours de ski et que j’aille au chalet moins souvent. Comme si j’avais le choix! En fait, même si je l’avais eu, je n’aurais rien changé à mes occupations et je trouvais injuste qu’il le souhaite. Je ne lui avais jamais demandé, moi, de manquer un entraînement de hockey ou de natation! En réalité, je commençais à me demander si je voulais réellement continuer à sortir avec Vincent. Il me plaisait beaucoup et je pense que, quelque part, en surface, j’aimais bien être sa blonde. Mais était-ce bien lui que j’aimais ou plutôt simplement l’idée d’avoir un chum? J’ai fini par avoir la réponse à cette question quelque temps plus tard.
Puisque Vincent jouait une partie de hockey un jeudi soir, c’était l’occasion parfaite pour tenir ma promesse. Ses parents m’ont offert de m’emmener, mais comme l’aréna était tout près de chez moi, j’ai préféré marcher. En arrivant, j’ai vu Justine et Catou, des filles avec qui j’étais allée à l’école au primaire, ainsi que Sabrina, que je connaissais moins, car elle était un peu plus jeune. Je ne les avais pas vues depuis quoi, deux ans déjà? Presque trois? Je suis allée m’asseoir avec elles après avoir salué les parents de Vincent. Elles étaient là pour voir la partie, elles aussi, mais plus précisément parce que Justine sortait avec le capitaine de l’équipe qui n’était nul autre que… Nico.
Mon cœur s’est affolé. Il jouait dans la même équipe que Vincent! Un tel hasard ne pouvait être que le destin. J’étais étonnée qu’ils puissent jouer dans la même équipe, mais j’ai bien dû me rendre à l’évidence.
La partie allait commencer, et les joueurs ont sauté sur la glace pour l’échauffement. J’ai surveillé leurs numéros. J’ai vu Vincent, le 14, je l’ai pris en photo plusieurs fois et il m’a saluée de la main. J’étais fière d’être là pour lui, et les filles m’ont demandé qui c’était. Je leur ai répondu qu’il allait à mon école et que je sortais avec lui. J’ai cru déceler une petite pointe d’envie dans leurs yeux qui m’a fait plaisir. J’allais demander quel numéro portait Nico quand un joueur a sauté sur la glace sous les acclamations des filles et des partisans de l’équipe. C’était lui. J’ai alors remarqué ses parents, qui se sont levés pour l’encourager bruyamment. Ils ne m’ont pas vue, mais ce n’était pas grave. Je les saluerais plus tard.
Je ne l’aurais jamais reconnu avec tout son équipement. Mais même s’il avait été habillé normalement, j’aurais eu du mal à le faire. Il était encore plus grand que Vincent, semblait pas mal costaud et lorsqu’il s’est emparé de la rondelle pour pratiquer ses tirs au but, j’ai pu constater qu’il la maniait avec une aisance incroyable. Il semblait s’amuser avec elle, la soulevant sur la palette de son bâton et la faisant presque tournoyer dans les airs. Donnait-il un spectacle pour épater la galerie? J’espérais que non. Et la suite m’a donné raison. Il a envoyé la main dans notre direction et mon cœur s’est affolé de nouveau. M’avait-il aperçue? Non, il ne devait avoir d’yeux que pour Justine, même si j’avais l’impression d’être une boule d’émotions trop visible. Je devais admettre qu’elle était très jolie, Justine, avec ses longs cheveux bruns avivés de mèches blondes et ses yeux bleus de poupée. Comme elles avaient changé, ces filles! Normal, moi aussi. Lorsqu’elles m’avaient vue, elles avaient bien tenté de cacher leur surprise sans toutefois réussir.
J’ai tenté de me concentrer sur la partie et de ne pas me laisser distraire par la présence de Nico. J’ai pris plusieurs photos de Vincent pendant la partie et j’ai même réussi à en prendre de Nico, discrètement.
Nico… Comment se faisait-il que je sois dans cet état-là? Il n’était qu’un ami, et un ami que je n’avais pas vu depuis une éternité. Il serait probablement impossible de reprendre les choses où nous les avions laissées, avec cette belle complicité et la facilité avec laquelle nous nous faisions des confidences autrefois. Oui, tout à fait impossible. Nous avions vieilli, changé tous les deux. Dommage…
Des acclamations m’ont tirée de ma rêverie. Nico venait de compter un but. Son premier de la partie, a souligné Justine avec fierté. Et quel but! Je ne m’y connaissais pas tellement en hockey, mais il était facile de constater qu’il avait un lancer foudroyant.
Vincent faisait de l’excellent travail chaque fois qu’il était sur la glace. C’était une bonne partie, les deux équipes étant du même calibre. Quelques minutes avant la fin de la première période, l’équipe adverse a compté un but, puis Nico a compté son deuxième. À la fin de la troisième période, Nico a marqué le but vainqueur à peine quelques secondes avant la fin du match, et ça a été le délire. Justine ne tenait plus en place. Elle rayonnait comme si c’était elle qui les avait comptés, ces buts, ou comme si Nico les avait réussis grâce à elle. C’était peut-être le cas, après tout. Était-il très amoureux d’elle? Était-elle une source de motivation quand il jouait ou plutôt une distraction? Il était vraiment bon, mais je devais admettre que Vincent se défendait quand même bien aussi. Il avait, à lui seul, empêché l’équipe adverse de maintenir l’avantage. Or, il n’avait pas le statut de Nico, c’est certain. Ce sont ceux qui comptent qui se font remarquer, bien sûr!
Juste après la poignée de main d’usage entre les joueurs des deux équipes, j’ai vu Justine souffler un baiser à Nico, auquel il a répondu d’un geste vague de la main. Nous nous sommes alors levées pour accueillir les joueurs lorsqu’ils sortiraient, une fois changés et douchés. J’avais hâte de féliciter Vincent, de lui montrer que moi aussi, j’étais fière de lui et que je trouvais qu’il avait bien joué. J’ai alors croisé les parents de Nico. Ils étaient surpris:
— Élysabeth? C’est bien toi! Wow, t’es bien belle, ma cocotte! T’es ici pour voir Nico?
— Euh, non… je savais pas qu’il jouait, je suis venue voir un ami…
— Ah, un ami!
Sa mère m’adressa un petit clin d’œil et son père, un doux sourire.
— Eh bien! Il va être surpris de te voir! Ça fait longtemps, hein? Tu vas voir qu’il a pas mal changé, lui aussi!
— Oui, j’ai un peu vu ça. À plus tard!
Je me suis installée à une table avec les filles et nous avons parlé de tout et de rien, de nos écoles respectives, de qui sortait avec qui et des autres ragots du quartier. Nous nous sommes abonnées à nos pages Instagram respectives et j’ai pu constater que Naomie, une de mes amies de l’Académie, était une des meilleures amies de Sabrina, qui était dans le même club de patinage artistique qu’elle. J’ai su aussi que le cousin de Sabrina, le beau Sébastien, jouait toujours de la guitare et que son groupe, très actif aussi sur les réseaux sociaux, était apparemment très bon. Je me souvenais de Sébas et à quel point nous étions toutes pâmées devant lui, autrefois. Il y avait de quoi! D’abord, parce qu’il était plus vieux que nous, mais aussi parce qu’il était incroyablement beau, qu’il avait les cheveux longs et qu’il jouait de la guitare merveilleusement bien. Était-il toujours aussi spectaculaire? Portait-il toujours ses cheveux blonds aussi longs? À en juger par les photos que je pouvais voir défiler sur mon téléphone, il apparaissait que oui! Que de souvenirs!
Je tentais de dissimuler ma hâte de voir Nico. De toute manière, j’étais ici pour Vincent. C’est du moins ce dont j’essayais de me convaincre. Nous ne cessions de bavarder; j’avais peine à croire à quel point tout le monde avait continué à vivre sans que je m’en rende compte. Puis, Catou m’a dit:
— C’est l’fun de te voir, Ély, t’as l’air bien. T’as tellement changé depuis la dernière fois que je t’ai vue! T’es vraiment belle, t’sais?
J’étais touchée. Son compliment me faisait vraiment plaisir!
— Merci, Catou, c’est fin, ce que tu viens de me dire… Toi aussi, t’sais!