La mise en échec
de Nico
La mise en échec
de Nico
ROMAN
Guy Saint-Jean Éditeur
4490, rue Garand
Laval (Québec) Canada H7L 5Z6
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© Guy Saint-Jean Éditeur inc., 2016, pour l’édition originale.
© Guy Saint-Jean Éditeur inc., 2018, pour cette nouvelle édition.
Révision: Johanne Hamel
Correction d’épreuves: Audrey Faille
Conception graphique: Christiane Séguin
Photo de la page couverture: © Kiselev Andrey Valerevich/Shutterstock.com
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, septembre 2018
ISBN: 978-2-89758-585-3
ISBN EPUB: 978-2-89758-586-0
ISBN PDF: 978-2-89758-587-7
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Toute reproduction ou exploitation d’un extrait du fichier EPUB ou PDF de ce livre autre qu’un téléchargement légal constitue une infraction au droit d’auteur et est passible de poursuites pénales ou civiles pouvant entraîner des pénalités ou le paiement de dommages et intérêts.
Imprimé au Canada
1re impression, septembre 2018
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À mes enfants adorés, Charlotte et Samuel, je vous aime plus que la vie… <3
Aux belles lectrices que j’ai eu la chance de rencontrer dès les débuts de cette belle aventure (Sarah-Jeanne, Marie-Catherine, Maude-Ève, pour n’en nommer que quelques-unes) et qui, malgré des embûches parfois considérables, sont devenues des jeunes femmes exceptionnelles… Vous êtes mes idoles!!! xx
TABLE DES MATIÈRES
PROLOGUE:Parfait, moi?
CHAPITRE 1:Mise au jeu
CHAPITRE 2:Salut, voisine!
CHAPITRE 3:Rien comme des amies…
CHAPITRE 4:Oups!
CHAPITRE 5:Quand ça brasse…
CHAPITRE 6:Grosse étape!
CHAPITRE 7:Tout va bien!
CHAPITRE 8:La sœur de l’autre
CHAPITRE 9:Danger à l’horizon…
CHAPITRE 10:Ça veut rien dire…
CHAPITRE 11:Bravo, mon champion!
CHAPITRE 12:La paix!
CHAPITRE 13:Un vrai gars
CHAPITRE 14:Fini, le secondaire!
CHAPITRE 15:Perturbations majeures
CHAPITRE 16:L’incroyable Hulk
CHAPITRE 17:Encore du trouble!
CHAPITRE 18:Mise en échec
CHAPITRE 19:Panique et cauchemars
CHAPITRE 20:Adieu, bébé
CHAPITRE 21:Retour à la vie…
CHAPITRE 22:C’est ça qui est ça
CHAPITRE 23:Un nouveau chapitre
ÉPILOGUE
PROLOGUE
Parfait, moi?
Matt en était à sa quatrième bière et il avait l’air exaspéré. C’est vrai que mon attitude n’était pas des plus joyeuses. Pourtant, on était en camping, on avait du fun. J’avais tout pour être bien: mes amis, ma blonde, avec qui je pourrais enfin me coller toute la nuit, la paix. Mais je ne sais pas trop pourquoi, après quelques shooters, le cafard m’est tombé dessus comme une tonne de briques. On parlait, Matt et moi, un peu à l’écart de la gang, qui chantait et qui riait près du feu, quand il m’a dit, comme si ce n’était pas important:
— On sait ben, pour toi, Nico, tout est super facile. T’es bon dans tout. À l’école, au hockey, tu pognes avec les filles, y’a jamais rien qui va mal.
Ben non, y’a jamais rien qui va mal.
— Ah ouain? Qu’est-ce que t’en sais, au juste? Y’a peut-être des affaires qui me gossent que tu sais pas, Matt…
— Niaise-moi pas, Nico. Tout t’arrive sur un plateau d’argent, t’as même pas d’efforts à faire. C’est chiant, des bouttes, mais c’est correct parce que t’es un bon gars. Sauf que, t’sais, y’en a d’autres pour qui c’est moins évident!
Euh… OK. Je savais qu’il ne l’avait pas toujours eu aussi facile que moi, mais il ne fallait pas charrier.
— Peut-être, mais c’est pas nécessairement mieux. Des fois, je suis tanné d’être qui je suis. D’être Nico, le joueur au hockey qui score, d’être Nico, le «bon gars», le fils presque parfait pour mes parents. Des fois, je voudrais arrêter de me sentir coupable envers Ély et juste triper avec Gabrielle sans me poser de questions.
J’aurais eu envie de lui dire que des fois, j’aurais aimé ça ne jamais avoir rencontré Gabrielle, même si je ne le pensais pas vraiment, et ne jamais avoir fait aussi mal à Ély. Gabie était arrivée dans ma vie sans que je m’y attende. Je ne cherchais pas à triper sur une autre fille qu’Ély, mais je ne pense pas que j’aurais pu passer à côté, même si j’avais voulu, aussi poche que ça puisse paraître. Des fois, je voudrais juste tout lâcher: l’école, le hockey, les filles, penser à rien, passer des fins de semaine à niaiser comme d’autres de mes chums, sans avoir à dealer avec les entraînements, la maudite pression, sans me sentir obligé d’être tout le temps au top. Sans avoir toujours l’impression de décevoir quelqu’un, mes parents, ma blonde ou… moi-même. Non, je ne le suis pas, parfait, loin de là. Si on demandait à Ély, celle avec qui j’étais sûr que j’allais passer pas mal d’années de ma vie, celle que j’ai tellement blessée, elle le dirait, elle, que je ne suis pas parfait. En fait, elle dirait sûrement qu’elle va m’en vouloir pour toujours. Elle a sûrement raison…
— Wôôô, mon chum, c’est du gros n’importe quoi! Fais-moi pas brailler! Regarde-la, ta blonde. Elle est hot, pis en plus elle est fine et ça a l’air ben l’fun, votre affaire. Tu vas me dire que tu regrettes?
— Je sais pas. Des fois, oui. Des fois, non. Ah, pis j’ai pas le goût de penser à ça, là. Donne-moi donc une autre bière!
Matt a souri, a sorti une Bud de la glacière et a cogné sa canette contre la mienne. Il avait raison. J’ai regardé Gabrielle, qui jasait avec Vicky et Zoé, et je l’ai trouvée belle. Si belle… Même si l’image d’Élysabeth me revenait probablement trop souvent en tête, je ne pouvais pas faire autrement que de me considérer comme chanceux d’être avec cette jolie blonde et de vivre avec elle une histoire simple, pas compliquée. Pourquoi ressasser le passé? Je ne pourrais pas arrêter de penser aux affaires plates, au moins ce soir? Oui, je pouvais très bien et, après une longue gorgée de bière et un vrai rot de gars, je me suis senti mieux.
Cette nuit-là, dans la tente, avec Gabrielle, on a fait l’amour, on a ri, on s’est chatouillés et on a dormi. Ensemble, toute la nuit, pour la première fois. Wow!
C’est le lendemain que tout a commencé à foirer. Sérieux, là.
CHAPITRE 1
Mise au jeu
C’est quand même vrai que ma vie a pas mal toujours été facile. Je n’aimais pas donner raison à Matt, mais quand je regardais mes dix-sept dernières années, je n’avais pas d’autre choix que de l’admettre. Je n’ai jamais manqué de rien, au contraire; mes parents ont toujours été là – ensemble, tous les deux, en plus, ce qui était déjà assez rare –, j’ai été gâté pourri, autant pour des choses matérielles que pour le reste. Je serais un cas super plate pour un psy, me semble! Belle maison, parents présents et aimants (un peu trop, mais j’imagine que c’est comme ça pour la plupart des enfants uniques…), rien de tordu, de fucké, petite vie de banlieue ordinaire avec des voyages à la mer chaque année, du hockey depuis que je sais marcher, des bons amis, comme Matt, que je connais depuis le primaire, et… une voisine spéciale: Ély.
Ma mère a des milliers de photos de moi, à tous les âges. Je ne peux pas les ignorer, elles sont partout dans la maison, dans de beaux cadres, comme si j’étais le trophée de mes parents. C’est un peu ça, en fait… Je n’ai pas de frère ni de sœur, alors je prends toute la place dans leur vie. Beaucoup trop, selon moi. Bref, les photos: gros bébé laid (même si ma mère trouvait que j’étais le plus beau du monde), plein de bave et en pyjama de Spiderman; vers deux ou trois ans, ridicule avec des jambières de hockey beaucoup trop grosses (je voulais être gardien de but) ou plein de glaçage de gâteau de fête dans le visage. D’autres encore avec Ély, dans le carré de sable, moi avec mes tracteurs, elle avec ses autos de Barbie, des sourires niaiseux et plein de dents manquantes; l’entrée à la maternelle, avec la petite chemise à dragon la plus quétaine qui soit et mes culottes courtes de Bob l’éponge.
On était à peu près inséparables, Ély et moi, à cette époque; on se voyait chaque fois qu’on le pouvait. Nos parents passaient déjà des commentaires, disant qu’on faisait un beau p’tit couple et qu’on se marierait un jour. Nous autres, on riait et on se faisait des câlins innocents comme tous les kids s’en font à cet âge. Elle était ma meilleure amie, même si je m’en étais fait d’autres à l’école, alors qu’Ély, plus jeune que moi d’un an, n’avait pas encore fait son entrée à la maternelle. Faut dire qu’elle n’était pas une «vraie» fille. Elle détestait ses cheveux roux frisés et ses taches de rousseur; moi, je la trouvais cute, comme on trouve irrésistible un bébé chien, pas comme un gars qui tripe sur une fille. Elle était juste… Ély. Elle aimait autant que moi jouer à chercher des trésors cachés ou chasser le dragon dans le petit boisé derrière chez nous. C’était pratique de l’avoir comme voisine, on était à peu près toujours disponibles l’un pour l’autre. Elle aimait jouer au hockey dans notre entrée de garage, m’aidant à bloquer des buts super faciles. L’été, on faisait du vélo, on se baignait chez elle ou chez moi, on se faisait des tentes ou des cabanes avec des vieilles couvertures. L’hiver, on patinait sur la patinoire que mon père construisait et entretenait religieusement dans notre cour, on allait glisser au parc ou on se faisait des forts qui devenaient des bases secrètes pour nos histoires d’espions.
J’ai commencé à jouer au hockey à quatre ans, mais je n’ai pas fait long feu comme gardien de but. Dès cette première saison là, j’avais toujours le réflexe de prendre la rondelle et d’essayer d’aller compter un but. Pas évident avec un équipement de goalie! Mon entraîneur a décidé de me sortir de là et, même si on n’était pas vraiment encore assignés à une position particulière, dans le Prénovice, c’était déjà clair que je serais attaquant. Mon père était ben fier, et moi, de le voir aussi content, je l’étais aussi. Il me voyait déjà remplacer Wayne Gretzky, les premières années, puis Sidney Crosby, dès qu’il a fait son apparition sur la planète hockey. Rien que ça. Mon père avait dû interrompre sa carrière de joueur de hockey à cause d’une mauvaise blessure? Pas grave: il avait eu un fils pour reprendre le flambeau. Ouais. Si au moins ça n’avait été que ça…
Ély, elle, a commencé à faire du ski vers l’âge de quatre ou cinq ans. Quelques années plus tard, ses parents ont acheté un chalet près d’une station de ski. Ils partaient généralement le vendredi soir pour revenir le dimanche en fin d’après-midi, souvent avec une pizza qu’ils m’invitaient à partager avec eux. On avait tous les deux hâte au dimanche soir, qu’on passait généralement à jouer ensemble et à regarder la télé. C’était tellement simple!
Pendant tout notre primaire, on est restés super proches. Je ne me rendais pas tellement compte à quel point elle changeait; moi aussi, j’imagine, mais on ne s’attardait pas à ça, ni elle ni moi. De toute manière, à cet âge-là, j’étais vraiment innocent. J’étais dans ma bulle de ti-cul qui tripe autant sur les Transformers et autres Aliens que sur le hockey, loin, très, très loin de penser aux filles. On était comme frère et sœur, ce qui était parfait pour deux enfants uniques. Elle me battait, des fois, à Mario Kart, et ça ne me dérangeait pas. On se racontait tout. Ély plus que moi, évidemment, je n’avais pas tellement de pensées profondes, dans le temps. Je la trouvais intelligente, j’aimais ça discuter avec elle de sujets comme les extra-terrestres («Ben oui, Nico, c’est sûr qu’il y en a quelque part, on peut pas être tout seuls!»), la crédibilité du Ouija et des films de science-fiction qu’on regardait ou les parents d’Ély qu’elle trouvait fatigants. Même préadolescents, on voyait bien que nos parents étaient intenses; aujourd’hui, je comprends bien que pour eux, il n’y a rien de plus important que les apparences. Si tout a l’air parfait – du moins aux yeux de leurs amis et des voisins –, c’est que ça l’est, et c’est tout ce qui compte. Mon père travaille comme consultant pour une grosse compagnie d’informatique et ma mère est professeure de sixième année. Ils sont parfaits. Ils jouent au golf, ont une cave à vin, chacun une belle auto neuve, notre terrain est entretenu par des professionnels, et l’intérieur par une femme de ménage qui vient deux fois par semaine. Too much? Oui. Mais pour eux, c’est idéal. Impeccable. Les parents d’Ély sont du même genre, d’ailleurs. S’il avait fallu qu’un de nous deux ait un trouble d’apprentissage quelconque, comme Matt, un handicap ou juste un caractère de chien, ça aurait été l’enfer. Mais ce n’était pas le cas. Ély était brillante et avait des notes parfaites, moi aussi. On était sages, polis quand il y avait de la visite, bien élevés quand on allait ailleurs. On ne s’obstinait pas avec nos parents, on ne leur faisait jamais honte, surtout. Dans mon cas, c’est venu plus tard, ça.
Tranquillement, on s’est un peu éloignés, ma voisine et moi. Ça s’est fait tellement graduellement qu’on ne s’en est pas rendu compte, ni elle ni moi. Nouveaux amis, horaires moins compatibles, j’avais plus de pratiques de hockey, et je me suis fait une nouvelle gang, tout comme elle. Au secondaire, ses parents l’ont inscrite dans une école privée et on s’est perdus de vue. Il y avait un programme sport-études à ma polyvalente, c’est pour ça que mes parents m’ont laissé là… à leur corps défendant. Il était en effet impensable que j’aille «végéter avec tous les autres ados paresseux» dans le programme régulier! Ils ont bien essayé de m’envoyer au privé, eux aussi, bien sûr. C’est tellement plus convenable. Mais j’ai refusé. Pour la première fois de ma vie, j’ai vraiment insisté. Je ne voulais pas laisser ma gang; beaucoup de gars avec qui je jouais au hockey se retrouveraient à la poly et je voulais les suivre. Finalement, en expliquant tout ça à ma mère qui, elle-même, travaillait dans une école publique, j’ai réussi à me faire comprendre. Elle est ensuite parvenue à convaincre mon père que je n’allais pas devenir un dégénéré en fréquentant le réseau public. C’est là qu’elle est devenue mon alliée. Je ne me rendais pas encore compte à quel point ce serait précieux.
Les ambitions sportives de mon père avaient l’avantage d’être claires. Déjà, quand je suis arrivé dans la catégorie atome, à neuf ans, il n’était pas question de me classer ailleurs que BB. Et il fallait que je sois capitaine. Après deux ans, ça a été le peewee, et une lettre s’est ajoutée: AAA. S’il avait fallu que je me retrouve dans le BB ou, horreur totale, juste un simple A, ça aurait été la honte. Pour mon père, pas pour moi. Plus j’avançais, et plus je trouvais ça pénible. Voir mon père au bord de la crise cardiaque à jouer au coach derrière le banc des joueurs, me bouder quand je faisais une mauvaise passe ou que je visais le poteau, me gueuler dessus quand je ne patinais pas assez vite ou que je laissais un défenseur me bloquer, ça me tapait sur les nerfs. Ma mère avait de la misère avec les autres parents de joueurs et trouvait leur attitude pénible. Celle de mon père aussi. Elle ne l’exprimait pas ouvertement, mais ses regards vers lui en disaient long. Mes parents parlaient souvent ensemble de la façon dont les autres parents chialaient sur tout: le temps de glace des joueurs, les stratégies, les arbitres, évidemment, les entraîneurs, aussi. Mon père essayait de se justifier, ma mère semblait se retenir d’aller au fond de sa pensée, probablement pour conserver leur apparence de couple parfait et éviter la dispute. Mon père n’aurait pas apprécié que la femme de l’entraîneur le contredise, surtout devant les autres!
Dans l’équipe aussi, il y avait de la tension. Untel sentait qu’il n’avait pas assez joué, un autre, qu’il n’était pas dans le bon trio ou que les avants ne faisaient pas assez de passes. J’entendais ça depuis des années et un jour, j’en ai eu assez. Genre, ça ne me ressemblait pas, tout ce chialage, et je n’avais pas envie de retrouver la même atmosphère pour mes années de bantam.
Mon chum Matt me parlait souvent de son équipe:
— Nous autres, on a du fun. De la pression, y’en a, mais c’est pas pareil et quand on perd, c’est pas la fin du monde. Les coachs sont sévères, mais y’a personne qui fait une face de bœuf quand y’en a un qui gaffe! Penses-y, Nico, c’est peut-être là, ta place!
Ça me démangeait. Je me doutais que Matt essayait de m’influencer parce que j’étais un bon joueur et qu’il aurait sûrement aimé m’avoir dans son équipe, mais l’idée de jouer avec lui, comme quand on était petits, n’était pas déplaisante du tout. Ça m’a pris du temps, mais j’en ai finalement parlé avec ma mère. J’avais presque douze ans et je voulais tâter le terrain, me préparer à affronter mon père. Je savais que ça ne serait pas facile de le convaincre de changer de ligue, mais je devais essayer tant je sentais que je n’étais pas à ma place. Surtout, j’espérais retrouver mon père d’avant, celui avec qui j’avais déjà eu du plaisir, tant sur la glace qu’ailleurs. Ma mère était soulagée que je lui parle.
— T’sais, quand ton père fait la baboune, c’est pas à cause de toi. En tout cas, pas directement. Il se fait critiquer de tous bords tous côtés et il apprécie pas toujours…
— Ben, c’est pas moi qui lui ai demandé d’être mon coach!
— Je sais, mais il se dit que c’est la meilleure façon pour que tu continues à t’améliorer et à performer.
— Pis si moi, j’ai plus tant besoin que ça de m’améliorer et, justement, de performer? Si moi, j’ai juste envie d’avoir du fun?
— Bon, je pense que t’es dû pour lui parler…
Plus facile à dire qu’à faire!
J’ai attendu la fin de la saison en cours. J’ai laissé mon père m’inscrire à des cours avec un entraîneur de la LNH qu’il admirait trop pour que j’ose même imaginer ne pas avoir envie d’y assister. En fait, je n’avais rien contre. Sauf que… quand est venu le temps des qualifications pour le bantam et de lui dire que je n’avais pas envie de jouer dans la ligue «espoir» mais plutôt avec mes autres chums dans la ligue régulière de la ville, j’ai presque choké. En revenant d’un de mes cours, alors qu’on rangeait mon équipement, mon père a malgré lui ouvert la porte à la discussion que je reportais depuis longtemps:
— C’est fou, t’as fait un pas de géant cet été, avec lui, Nico! Tu vas voir que même pour ta première année de bantam, tu vas être choisi vite en maudit!
Mouais. J’ai fini par me lancer:
— T’sais, p’pa, en parlant de ça… J’pense que j’aurais plutôt le goût de rejouer avec Matt et mes autres chums dans le simple lettre.
Mon père s’est mis à rire, le temps de finir de suspendre mes vêtements. Après, il a vu que j’étais sérieux et il a arrêté de rire.
— Tu me niaises, Nico? As-tu idée de combien de jeunes aimeraient ça être à ta place?
Bon, ça y était. J’allais encore entendre son discours sur le temps qu’il passait avec moi, l’encouragement qu’il me donnait, et tout le reste. Il m’a plutôt dit:
— Sais-tu combien ça vient de me coûter, les six dernières semaines?
Ah, l’argent. Oui, il y avait ça, aussi. Combien il dépensait pour mon équipement, les tournois et les cours, évidemment.
— Ben, c’est pas moi qui t’ai demandé de m’inscrire, p’pa.
Il est devenu aussi rigide que le bâton en composite qu’il avait dit qu’il m’achèterait dès le début de la saison. Et son visage, lui, un peu trop rouge.
— Qu’est-ce que t’es en train de me dire, Nico? Que j’ai tout fait ça pour rien? Que tu veux plus jouer?
— Ben non, j’ai jamais dit ça. J’ai juste dit que j’aimerais ça jouer dans une équipe où y’a pas autant de pression, où c’est l’fun de jouer sans que ça devienne une question de vie ou de mort, t’sais?
J’avais essayé de détendre l’atmosphère, mais j’avais échoué. Mon père m’a regardé pendant tellement longtemps que j’ai eu l’impression que ces quelques secondes étaient devenues des heures. Finalement, il a répliqué:
— Si c’est ça que tu veux, Nico, OK. Tu veux avoir du fun, jouer avec tes chums, c’est correct. Tu veux t’enlever les bonnes chances que t’as de te faire repêcher, d’avoir des bourses pour l’université, de vivre des expériences incroyables, c’est ton choix. Mais compte pas sur moi pour t’acheter des bâtons à trois cents piasses et changer de patins presque tous les ans! Pour le reste, on verra à mesure.
— Quoi, le reste?
— Ben, le reste! Les cours d’été ou les tournois, par exemple. Pas sûr que ta mère et moi, on va aller passer des fins de semaine à l’autre bout du monde pour te voir jouer avec une équipe poche quand tu pourrais faire tellement mieux!
Et il est sorti du garage, me laissant planté là avec ma poche de hockey vide. Je ne comprenais tellement pas son problème! C’était moi qui étais là, sur la glace, non? Et puis, je lui faisais économiser de l’argent, finalement. L’université? C’était tellement loin, ça! Quand je suis entré dans la maison, mon père m’a regardé. Il n’était pas fâché, non. Pas frustré, non plus. Mais tellement déçu… C’était la première fois que je voyais autant de déception sur son visage, et c’était à cause de moi. Moi, j’étais une déception. Ouch.
J’aurais aimé en parler à quelqu’un, mais je ne savais pas à qui. Ély n’était plus dans le décor. Mon meilleur ami, Matt, n’était pas le genre de gars à qui je pouvais me confier. Si moi, je ne suis pas particulièrement «jaseux», lui, c’est pire! Et honnêtement, je me sentais un peu mal à l’aise de lui parler de ça. Il n’avait pas vraiment de père, lui… Sa mère s’était retrouvée seule quand Matt avait environ quatre ans et sa sœur Vicky, trois. Évaporé, son père, disparu dans la nature. Matt n’en parlait pas tellement, mais c’était quand même un sujet délicat. Sa mère avait eu quelques copains, mais rien qui avait duré assez longtemps pour que Matt et Vicky développent quelque chose qui ressemble à une relation avec eux. Alors moi, avec mon père qui en faisait trop, j’étais un peu mal placé pour me plaindre! Peut-être, d’ailleurs, que le fait que j’aie dit à mon père que je voulais rejouer avec Matt avait empiré le cas. Mes parents n’avaient rien contre lui, mais je sentais confusément qu’ils le prenaient en pitié. Et qu’ils avaient peur qu’il ne soit pas «à ma hauteur» ou qu’il soit une «mauvaise influence». Ça, ce ne sont pas mes mots, ce sont les leurs. Je les avais entendus discuter ensemble quand Matt était venu passer la nuit à la maison pour ma fête – de dix ou onze ans, je ne sais plus. Mon père avait passé la première remarque:
— Pauvre lui, c’est pas drôle, hein? T’as vu sa carte de fête? Il arrive même pas à écrire quelques mots correctement. Pas étonnant, sa mère ne doit pas accorder trop d’importance à ça. Mais c’est dommage, quand même… Disons que c’est pas le meilleur départ dans la vie!
— C’est pas sa faute, il fait de la dyslexie, sa mère me l’a dit. Il voit un orthopédagogue à l’école. Ça doit pas être facile…
— J’y crois pas tellement. C’est comme les hyperactifs. Y’en a partout maintenant! C’est la nouvelle mode. Moi, je dis qu’un enfant qui grandit sans discipline et dans un environnement douteux, c’est ce que ça donne. Ils vivent dans un trou, la mère est jamais là. Ce p’tit gars là va mal tourner!
— On va garder l’œil ouvert, en tout cas, pour contrôler son influence sur Nico. Je sais pas ce que Nico lui trouve tant… En espérant qu’il se fasse d’autres amis qui sont plus de notre genre!
Wow! De notre genre. Ben non, Matt n’avait jamais fait de camping. Il jouait au hockey avec du stock usagé, il n’obtenait pas des super notes à l’école. Il vivait dans un appartement, au sous-sol d’un bloc, dans un quartier moins chic que le nôtre. Ouain, pis? Matt était un super bon gars. Ce n’était pas sa faute, tout ça. Ce n’était pas la job des parents que de me faire réaliser qu’on était privilégiés? Que ce n’était pas tout le monde qui avait les moyens de vivre dans une maison comme la nôtre, de faire des voyages et tout le reste? Là, j’avais l’impression que c’était le contraire. Mes parents ne comprenaient pas que Matt, qu’ils se forçaient à inviter pour me faire plaisir, ne pouvait pas venir à La Ronde, aux glissades d’eau ou à d’autres activités du genre. Sa mère ne pouvait pas lui payer ça très souvent et mes parents ne voulaient pas la rendre mal à l’aise en payant tout le temps. Elle n’aurait pas pu, non plus, payer le surplus pour que Matt joue dans une équipe AAA. Je pense qu’il n’aurait pas été choisi, anyway, mais bon. Bref.
Finalement, ma mère a dû intervenir efficacement auprès de mon père, encore une fois, parce qu’il est venu me parler dans ma chambre, un bon soir après notre discussion houleuse. Je ne tiens pas du voisin, pour mon côté pas très verbal, c’est assez évident! Il s’est assis au bord de mon lit:
— Nico, j’ai toujours pensé que t’aimais le hockey autant que moi et j’aurais dû te demander ton avis. T’as raison quand tu dis que c’est toi qui es sur la glace et il faudrait bien que je comprenne que toi, t’as peut-être pas envie d’essayer de jouer dans la Ligue nationale. Pas que tu n’as pas le talent, mais tu le veux peut-être pas assez, en tout cas pas en ce moment. T’es jeune, tu veux t’amuser, je comprends ça, mais t’as tellement de potentiel! Je vais faire un deal avec toi, OK? Si tu veux jouer dans le A avec Matt, vas-y. Essaie-le, regarde comment ça se passe pour cette année. Peut-être que tu vas être heureux là-dedans, peut-être pas. C’est possible qu’une pause te fasse du bien et que t’aies envie de revenir à l’élite l’année prochaine. Entretemps, tu pourrais refaire le camp de perfectionnement d’été et, après ça, tu serais mieux placé pour réévaluer ce que tu veux faire à l’automne. Qu’est-ce que t’en penses? C’est bon, ça? Pour le moment, c’est à toi de voir ce que tu veux. Les évaluations sont la semaine prochaine.
— Oui, je sais, Matt me l’a dit.
Quand il m’a regardé, j’ai vu de la déception dans ses yeux, encore, mais avec une lueur d’espoir. Il pensait sincèrement que j’étais juste dans une «passe» et que je m’ennuierais de la compétition, au point de vouloir y revenir. Honnêtement, j’acceptais un compromis parce que j’aimais beaucoup mieux voir la satisfaction dans les yeux de mon père que la déception. Quelque chose me disait que je venais de manquer une belle occasion de m’affirmer, que je venais encore une fois de m’aplatir devant mon père pour qu’il soit fier de moi, mais j’ai préféré penser que ce qu’il me proposait avait assez de sens pour que je sois raisonnable et que j’accepte.
Bon p’tit gars, va.
CHAPITRE 2
Salut, voisine!
Finalement, mon «déclassement» l’automne suivant s’est super bien passé, autant avec mon père, qui avait une attitude beaucoup plus relaxe que j’aurais pensé, que pour le reste. J’aimais l’équipe, les entraîneurs étaient cool; j’avais été nommé capitaine et je m’entendais bien avec les gars. Et étrangement, au fil de la saison, j’ai même vu mon père devenir de plus en plus fier. Ça me faisait quand même plaisir, même si je sentais que ça lui demandait un effort. Il ne faisait plus partie des entraîneurs, il était juste un parent toujours présent aux parties et il me disait souvent des affaires comme: «T’es un leader, Nico. T’attires le respect. T’apportes beaucoup à cette équipe-là, mais tu te prends pas pour une star. Tu laisses la place aux autres et, surtout, t’as vraiment l’air d’avoir du fun…» C’était totalement vrai. Je me suis félicité d’avoir eu le courage de faire le move.
Donc, j’ai joué bantam avec Matt et j’ai suivi le camp de perfectionnement l’été suivant comme je l’avais promis à mon père. Honnêtement, j’ai beaucoup aimé ça, mais pas au point de retourner dans le trois lettres. Rendu là, mon père s’était résigné, je pense. Tant pis. Le temps passait, j’avais une petite vie ordinaire et tranquille comme tous les gars de presque quatorze ans.
Un soir, j’ai croisé Ély par hasard au centre d’achats et je ne l’ai pas reconnue, sur le coup. J’étais là avec Matt, on était juste allés s’acheter des jeans (une des premières fois sans nos mères, enfin!) et on ne s’attardait pas plus que nécessaire. C’est elle qui, à force de me regarder bizarrement, m’a fait allumer. Je me suis senti rougir et je me suis demandé si j’étais supposé faire semblant que je ne la reconnaissais pas, pour éviter d’avoir l’air con, mais ça aurait été encore plus stupide. Ça fait que je l’ai regardée directement et je lui ai souri. Le changement hallucinant que j’ai constaté chez elle m’a fait réaliser à quel point on ne se voyait plus depuis, quoi… un an? Deux? Bref, ce n’était plus la petite fille tomboy que j’avais connue, loin de là. Elle n’était pas devenue poupoune comme certaines autres filles, mais… ouf!
— Allô, Ély. Wow! Je veux dire, excuse-moi, je t’avais pas vraiment reconnue. T’as changé pas mal…
— Ah oui? J’sais pas. Comment tu vas? Tu joues toujours au hockey? Je vais essayer d’aller te voir jouer à un moment donné.
— Oui, ça serait l’fun. On joue souvent à l’aréna près de chez nous.
— Cool!
— Oui, ça serait drôle. Pis, t’aimes ça, ton école? Tu viens de commencer ton secondaire un cette année?
— Oui. C’est un peu chiant, l’autobus, mais le reste est correct. Toi?
— Ben oui, correct aussi. C’est l’école, t’sais…
Assez con, comme conversation! Je ne suis pas vraiment timide de nature, mais je ne savais pas vraiment quoi lui dire ou comment agir, d’autant plus que ses amies ricanaient derrière elle et rougissaient en ayant l’air aussi mal à l’aise que moi. Bizarre. Je pense que j’ai assez bien caché ma gêne. On a finalement échangé quelques autres banalités, sur des sujets comme le ski et le hockey, assez pour que son sourire me donne des drôles de papillons dans l’estomac. J’avais chaud, je ne savais plus où me mettre. Quand elle s’est éloignée, Matt est devenu comme tout énervé:
— Wô, man, c’est Ély, ça??? Ayoye. Méchante belle fille… Penses-tu qu’elle a un chum?
— Je l’sais-tu, moi? Mais oublie ça, anyway, t’es trop laid pis con pour elle, man!
Évidemment, je ne savais pas si c’était le cas, mais au fond, malgré le ton blagueur que j’avais pris pour lui répondre, ça m’avait surtout fait drôle qu’il s’intéresse à elle, et pas particulièrement plaisir. J’ai préféré passer à un autre sujet, faire comme si elle ne m’avait pas fait un tel effet. Finalement, j’ai appelé ma mère pour qu’elle vienne nous chercher et on n’en a plus reparlé. Mais je n’ai pas vraiment réussi à oublier ma rencontre inattendue avec Ély, même si je ne l’aurais avoué à personne.
Je n’ai pas eu l’occasion de revoir ma jolie voisine pendant un long moment. Toutefois, son beau visage me revenait régulièrement en tête et je me surprenais à me demander à quel point nous pourrions redevenir amis. Entretemps, j’avais connu mes premiers émois amoureux. J’avais eu des «presque blondes» en secondaire un et deux, mais avec Annabelle, c’était différent. Comme par hasard, elle était rousse, elle aussi, mais pas aussi flamboyante ni frisée qu’Ély. Elle fréquentait mon école, et c’était une amie de la sœur de Matt. On s’est mis à aller au cinéma tous les quatre et c’était cool. Je trouvais qu’elle portait bien son nom et après quelques semaines, elle est officiellement devenue ma blonde. Mais il y avait un malaise avec Matt que je n’arrivais pas à cerner. Je ne suis pas vite, des fois. Je le sentais chaque fois qu’on faisait quelque chose avec lui et Vicky qui, pour des frère et sœur, s’entendaient plutôt bien, et c’est juste après environ deux semaines que j’ai compris que Matt m’enviait. Il ne faisait pourtant rien de spécifique ou de flagrant, mais la façon dont il nous regardait quand on se tenait la main, Annabelle et moi, par exemple, me donnait des indices, au point où on évitait de s’embrasser devant eux ou même de se coller un peu parce que l’humeur de Matt s’assombrissait aussitôt. De toute manière, même quand on était seuls, rien de bien compromettant ne se produisait… J’avais peur de faire un faux pas et je me sentais maladroit, même si Annabelle me considérait comme un gars de rêve. Elle me l’avait même dit, un soir qu’elle était venue jouer à des jeux vidéo chez moi:
— Si tu savais combien de filles sont jalouses de moi! Tu pognes, Nico! Mais c’est surtout qu’on dirait que tu le réalises pas… Je suis tellement chanceuse! disait-elle en minaudant.
— Ben moi aussi, je suis chanceux! Tu pourrais sortir avec n’importe quel gars de l’école!
C’était vrai. Et j’étais content qu’elle m’ait choisi. Je me sentais cool, admiré, faut croire que j’aimais ça. Annabelle était une fille «populaire» mais dans le bon sens. Elle était très sportive, jouait au soccer et au volley-ball, aimait la même musique que moi, était ricaneuse et toujours de bonne humeur. Sauf qu’elle était un peu possessive et n’aimait pas quand je parlais à d’autres filles. Je ne m’occupais pas vraiment de ses insécurités, je préférais me concentrer sur autre chose. Son corps, par exemple. Quand on s’embrassait, mettons que je réagissais de manière assez évidente. On n’avait même pas besoin de s’embrasser, d’ailleurs. En fait, juste son image dans ma tête me faisait bander, des fois. C’était assez gênant… mais je me disais que c’était normal.
La première fois que j’ai essayé de toucher ses seins, elle m’a repoussé. Je m’y étais pas mal attendu, mais j’avoue que malgré les nombreux discours de mes parents sur le respect des filles, la patience et tout le reste, mes hormones me poussaient quand même à m’essayer. Ce n’est pas allé plus loin que des attouchements, que je trouve aujourd’hui assez mineurs, même si, à l’époque, sentir la peau de ses seins sous mes doigts ou les siens, là, dans mon pantalon, c’était excitant en masse! Après environ deux mois, j’en ai eu assez de me faire reprocher d’avoir trop d’amies de filles. On s’est laissés et ça ne m’a pas tellement perturbé.
J’ai commencé une nouvelle saison au hockey. C’est dans cette équipe midget que j’ai connu Vincent. Il était très bon défenseur, mais avait un caractère pas toujours évident. Son talent compensait, sauf que quand il sautait une coche, c’était assez laid. Vincent parlait tout le temps de sa blonde qui, pourtant, ne venait jamais le voir jouer. On le trouvait limite fatigant. À croire qu’elle était la plus belle fille du monde, si elle existait! Nous étions plusieurs à commencer à en douter, d’ailleurs. Je ne parlais pas tout le temps de Justine, que je fréquentais depuis cinq mois, moi, même si beaucoup de mes coéquipiers me trouvaient chanceux de l’avoir comme blonde! Vincent m’énervait.
Bref, un soir, Ély est venue voir une de nos parties. Presque un an s’était écoulé depuis notre rencontre au centre d’achats.
Je ne l’ai pas vue tout de suite. C’est pendant l’échauffement, avant la partie, que je l’ai remarquée, immanquable, avec ses cheveux de feu. Elle était assise avec Justine et ses amies, Catou et Sabrina. Justine, comme d’habitude, ne regardait que moi et même si, normalement, ça me faisait plaisir, là, bizarrement, je m’en foutais. J’aurais voulu vérifier que c’était bien Ély qui était là, même si je le savais déjà. Je me suis demandé si elle était là pour moi et cette idée – même si je me doutais que c’était à peu près impossible – m’a fait plaisir. Tout ça m’a quand même donné un petit plus d’énergie et j’ai joué une super partie. Deux buts en première période et le but gagnant quelques secondes avant la fin de la partie. C’est en faisant un tour de patinoire que j’ai bien constaté qu’il s’agissait de mon amie d’enfance. Justine m’envoyait des becs, elle était tout énervée, mais quand j’ai croisé le regard d’Ély, j’ai eu comme une décharge d’adrénaline. Maudit orgueil!
Dans la chambre des joueurs, j’ai enfin compris pas mal de choses. Tout le monde se félicitait, le coach s’adressait particulièrement à Vincent, qui avait empêché l’autre équipe de compter plusieurs buts. Un des gars a dit à Vincent:
— En tout cas, ça tombe bien que ta blonde soit là ce soir!
Vincent faisait comme si ce n’était pas important, mais c’était clair, dans son visage, qu’il était satisfait. Il a quand même ajouté:
— Ouain, pour une fois qu’elle est pas trop occupée avec son ski toutes les maudites fins de semaine pour venir me voir jouer. Ça va peut-être lui donner le goût de venir plus souvent!
Évidemment, des jokes pas très subtiles de gars boostés à la testostérone et à la victoire ont suivi ses trois derniers mots.
Un des gars a même ajouté, pour le narguer:
— Peut-être même qu’elle va trouver que c’est plus excitant de «venir» te voir jouer que de devenir monitrice?
Monitrice. De ski. C’est à ce moment-là que j’ai compris que sa blonde et ma voisine étaient la même personne et ça m’a fait vraiment bizarre. Comme si… comme si je sentais qu’il aurait dû me demander la permission pour sortir avec Ély. Surtout lui! C’est con, je sais, mais j’imagine que c’est comme ça que les grands frères se sentent quand leur petite sœur commence à sortir avec des gars. Pas jaloux, juste comme protecteur. Oui, je ressentais le besoin de la protéger, surtout en entendant les gars commenter la beauté d’Ély, entre autres remarques pas très élégantes. Et le fait que je sortais avec Justine et que j’étais content, enfin la plupart du temps, n’y changeait rien.
Quoi qu’il en soit, je n’aimais pas les entendre parler d’Ély de cette façon-là, même si j’avais plusieurs fois fait moi-même ce genre de commentaires à propos d’autres filles. Bravo, champion! Je les trouvais cons. Un des gars, Matt, je pense, a ajouté:
— Pis toi, Nico, après ton dernier but, t’as pas pu t’empêcher d’aller faire ton smatte devant la gang de ta blonde, hein? Pour moi, tu vas avoir droit à des becs ben mouillés de ta belle Justine, à soir, toi!
— Ben oui, l’gros, pis je vais penser à toi, je sais que t’aimerais ça être à ma place!
Pas très gentil, mais c’était sorti tout seul. Parce que même si sa remarque épaisse s’était voulue drôle, j’avais senti le petit ton de jalousie qu’il utilisait de plus en plus souvent envers moi et ça m’agaçait. Quand j’avais commencé à sortir avec Justine, il m’avait avoué qu’il avait tripé sur Annabelle, et je me doutais que c’était la même chose avec ma blonde actuelle. Ce n’était quand même pas ma faute si j’attirais les filles plus que lui! Selon moi, il ne faisait pas grand-chose pour s’aider, comme s’il attendait qu’elles lui tombent dans les bras sans qu’il fasse quoi que ce soit. Ouain. Si j’étais honnête avec moi-même, je devais avouer que c’était pourtant pas mal ce qui m’arrivait, à moi. Ben coudon. Je n’allais quand même pas en être gêné ou m’excuser; je ne faisais rien pour ça, même si j’étais très loin de m’en plaindre.