Le sentiment de culpabilité
Présentation des livres parus précédemment:
La Mort, l’Amour et les Rêves, Éditions Maisonneuve, 1986
L’imaginaire cancéreux, Éditions Maisonneuve, 1987
L’or des cendres, Éditions Jollois, 1990
L’oiseleur et le cancer de l’Amazone, Éditions Jollois, 1991
Cancer et Sida, Éditions Souny, 1993
De nouvelles pistes pour guérir le cancer, Éditions du CRAM, 1999
Le transgénique: les premiers signes d’une catastrophe, Éditions du CRAM, 2000
La vie malgré la mort: histoire d’ici et là-bas, Éditions du CRAM, 2001
Les sept fléaux: le péril écologique, Éditions du CRAM, 2003
Tourments de l’âme – Maladies du corps, Éditions Guy Trédaniel, 2005
Les dérives de la médecine, Plaidoyer pour une médecine à face humaine, Éditions Guy Trédaniel, 2008
Messages de l’au-delà, Éditions du CRAM, 2011
L’esprit du thérapeute, Éditions du CRAM, 2012
L’esprit de la matière dans ses quatre états, Éditions du CRAM, 2013
Le sentiment de culpabilité
Les Éditions du CRAM
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Conception graphique
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Édition
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Correction
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Illustration de couverture
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Dépôt légal — 3e trimestre 2018
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
Copyright © Les Éditions du CRAM inc.
Distribution au Canada: Diffusion Prologue
Distribution en France et en Belgique: DG Diffusion
Distribution en Suisse: Transat Diffusion
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Herzog, Christine, 1958-
Le sentiment de culpabilité
(Psychologie)
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-89721-068-7 (couverture souple)
ISBN 978-2-89721-157-8 (MOBI)
ISBN 978-2-89721-069-4 (PDF)
ISBN 978-2-89721-070-0 (EPUB)
1. Culpabilité. 2. Rêves – Interprétation. I. Herzog, Bernard. II. Titre. III. Collection: Collection Psychologie (Éditions du CRAM).
BF575.G8H47 2018 |
152.4’4 |
C2017-941115-2 |
Imprimé au Canada
Remerciements
Christine et moi adressons nos remerciements à tous ceux et celles qui ont nourri ce livre de leur expérience, de leur souffrance, de leur confiance. Nous remercions Bruno Godivier, directeur du Musée Robert Tatin à Cossé le Vivien, pour celles qu’il nous a confiées.
Illustrations
Les collages, gouaches et compositions sont de l’auteur.
Les dessins humoristiques ont été réalisés par Henri Migniot, illustrateur.
Avant-propos
L’institut Charles Baudouin a la réputation d’être «la Mecque» des psychanalystes. Je devais y effectuer une conférence sur la culpabilité le 13 novembre 1994.
Vingt-trois ans auparavant, une exposition de peintures m’avait été consacrée à la galerie Motte de Genève. Mon chemin repassait par cette cité où Marcel Mathys, un ami sculpteur m’avait fait découvrir l’écrivain russe Boulgakov. Trop peu connu, d’une grande sensibilité, Boulgakov avait imaginé une grande farce, semblable au Faust, sans la prétention de pasticher Goethe.
Le diable venait s’incarner en Russie – où personne ne pouvait jamais rien dire à Staline – menant une joyeuse sarabande. Ce scénario permettait à l’auteur d’exprimer discrètement son point de vue sur cette période noire, étouffante.
On voit toujours renaître çà et là la barbarie, à l’extérieur de chez soi, pour ne pas avoir à balayer devant sa porte.
Cette forme de comportement bien visible chez le voisin constitue peu ou prou une constante comportementale à relever dans les doléances afin d’identifier au-delà des apparences et des confidences, l’essence même d’une base fondamentale de la Psyché.
Plutôt que de m’embourber dans des fioritures en tous genres, il me paraît nécessaire de reprendre le langage imagé du bon Rabelais. Aucune erreur de théologie dans son œuvre lorsqu’il dénonçait les méfaits de ceux qui ne cessent d’enchaîner leurs semblables, de les anesthésier, de les crétiniser. En un mot tous ces «pisse-vinaigre» sont de parfaits démons!
Aussi, la conférence de Genève me semble une bonne façon d’aborder la culpabilité. La version «carabin» n’enlève rien à la gravité du sujet, mais permet de garder foi dans la vie malgré la désespérance de certaines situations.
Le code des bonnes manières en usage dans la société occidentale plonge ses racines dans l’opposition entre le haut et le bas du corps. Les parties «nobles» se situent au-dessus de la ceinture: la tête, le cœur. Certains neurologues ou cardiologues se considèrent comme supérieurs aux généralistes qui s’occupent des parties inférieures qualifiées par les anatomistes de «honteuses».
L’idéologie culpabilisante était en germe par exemple dans l’Empire romain décadent. L’historien Paul Veyne rapporte l’austérité de l’empereur Marc Aurèle: il rédigea ses Pensées à la fin d’une vie très ascétique de philosophe humaniste. Ses écrits constituent le dernier grand témoignage du stoïcisme antique. Il estimait que l’acte sexuel n’était qu’un «frottement de ventres et l’éjaculation d’un liquide gluant accompagné d’un spasme».
Il est conseillé de demeurer naïf, innocent et de renoncer à la joie de vivre née du plaisir.
Les clercs comme les abbés se voient interdire épouses et concubines. Le célibat et une hiérarchie des comportements sexuels sont institués: la chasteté dans le mariage, la «copulation juste pour engendrer», il faut se résigner ensuite… C’est une théorie de façade, car on imagine bien qu’une partie d’entre eux/elles contournait allègrement ces règlements.
Les théologiens judéo-chrétiens ont été des théoriciens hors pair des déviances et perversions pour la bonne raison que personne ne les a mieux inventoriées qu’eux.
Les divers aspects de la culpabilité ont été mieux précisés, depuis deux à trois décennies, mais ils sont bien sûr toujours à l’ordre du jour.
La culpabilité est un passage obligé pour tout être humain.
À l’instar du jeu de l’Oie qui a fait la joie de nos grands-parents, quand les divertissements étaient moins nombreux, se dessine un chemin parsemé d’embûches au hasard des coups de dés.
Tout l’enjeu est de rester dans ces cases le moins de temps possible. Nombreux sont les détours, les manières de réussir ou de passer à côté de sa vie! Elle nous offre toujours une seconde chance si l’on sait la saisir.
La culpabilité n’est pas ce que l’on croit.
Combien de fois ai-je entendu: «Je ne me sens pas coupable, c’est de sa faute», des mots et le cortège de maux accompagnant ces malêtre. En réalité, comme observateur tournant autour de ce problème de longue date, la culpabilité m’est apparue sous des angles variés. L’être humain fait souvent le lit d’un sentiment de culpabilité en se méprenant sur lui-même, son chemin, le monde qui l’entoure.
L’intention n’est pas de rédiger une galerie de portraits à la manière de Jean de la Bruyère dans Les Caractères ni de protestations et critiques semblables aux Épîtres et Satires de Nicolas Boileau, mais de prolonger les travaux des anciens à la recherche des comportements induits par le sentiment de culpabilité.
Au cours d’une vie de médecin, de psychanalyste et tout simplement d’artiste en quête du pourquoi de la vie, des enchaînements subtils que nous suivons bon gré mal gré, il m’a semblé que l’ensemble de ces observations éclaire les rouages complexes de la psyché.
Une façon synthétique d’inciter à un renouveau aussi bien de nos conceptions philosophiques, anthropologiques, que spirituelles et jusqu’à nos assises biochimiques.
Je propose au lecteur un livre de bonne foi, et non un fatras «de coq à l’âne» pour paraphraser Montaigne1.
1Avant-propos des Essais (1580).
Réflexions sur la culpabilité
Il n’y a pas de culpabilité sans inculpation: «Je ne me sens pas bien dans ma vie, c’est de ma faute, c’est de sa faute…». À l’origine des dissonances, un manque de confiance.
Même inculpé par personne, «on se sent coupable». On est toujours seul et le pire juge de soi-même face au tribunal (intérieur) de la conscience.
L’intitulé de ce chapitre «Réflexions sur la culpabilité» renvoie à l’expression populaire «Comment peut-il/elle se regarder dans sa glace après ce qu’il/elle a fait?».
Il est significatif que, dans le champ du droit, le mot «inculpation» ait été remplacé par la périphrase: «mise en examen». Officiellement, pour ne pas préjuger de la culpabilité de l’accusé. C’était en 1993, sous la présidence de François Mitterrand appelé familièrement tantôt Dieu, tantôt «Tonton». Des choses à cacher?
Difficile d’inculper Dieu ou le tonton de la famille… On pense aussi au fameux distinguo: «Responsable(s), mais pas coupable(s)». Certains discours tendent à (auto-) innocenter et à (auto-) absoudre. Mais, au-delà de la sphère sociale, résonne et raisonne la voix du «tribunal de la conscience». Comme le rappelle bien, à sa façon, la littérature.
Edgar Poe, le père du roman policier, a osé inventer une histoire qui va bien plus loin que tous les polars qui ont suivi. Chacun sait que le crime parfait n’existe pas. Il existe toujours un indice, une trace, une faille qui guide le détective hyperesthésique, tenace et surdoué jusqu’à la résolution finale. Edgar Poe imagine, dans Le Démon de la perversité, un crime parfait. Au point que le criminel sardonique fait le constat de son impunité totale avec une jubilation sans borne. Fugitivement, une pensée le traverse: «Je suis sauvé – oui – pourvu que je ne sois pas assez sot pour confesser moi-même mon cas!» L’idée fait son chemin tortueux et dévastateur jusqu’à ce qu’il se sente inexorablement poussé à tout avouer.
«Le démon de la perversité» est cette force qui incite à accomplir un acte, pour la seule raison qu’il ne faudrait surtout pas l’accomplir. L’inculpation la plus décisive est toujours celle du sujet lui-même. Qu’on l’appelle «bonne conscience», «cœur», «petite voix».
Loin de la rengaine souvent entendue, l’ouvrage nous invite à quitter les dogmes qui tendent à associer la culpabilité à un modèle judéo-chrétien ou à des schémas familiaux ou sociaux.
La culpabilité est une étape normale dans un parcours de vie.
Notre expérience clinique nous a fait repérer six attitudes types de culpabilité: imposer (1), aveugler (2), se prendre pour (3), induire (4), jalouser (5), oublier (6).
Nous les développerons et les expliquerons à l’aide d’histoires de consultants où chacun pourra trouver une résonance à son propre vécu.
Chez José, chez Maria, chez Valéria, Léonardo ou Pierre sont à l’œuvre autant de mécanismes de désunion entre la vie sexuelle et la vie spirituelle.
Très souvent, on constate dans la psychopathologie mentale et somatique de la culpabilité une juxtaposition de ces deux vies. Dans l’excès ou dans le manque. Par oubli, par injonction ou par interposition de frontières.
Le livre invite à une démarche volontariste et endogène: il s’agit de retrouver en soi les ressources pour réconcilier les deux pôles. Et plus généralement pour reconsidérer notre vision contemporaine de l’amour et les attitudes pathogènes qui se sont développées.
Cerner la culpabilité, la comprendre à travers ses errances, ses dogmes, ses conséquences parfois très lourdes – y compris somatiques – est l’objet de ce livre.
Les six attitudes principales qui sont indissociables de la culpabilité seront analysées et illustrées par des observations cliniques où nous retrouverons un miroir plus ou moins évocateur des problèmes inhérents à chacun de nous.
Au travers d’un riche parcours clinique, il s’est dégagé peu à peu un schéma ou un dénominateur commun. Il ouvre des portes complexes et multiples sur la psyché, en s’extrayant du bien et du mal.
Cette approche se matérialisera autour d’un colimaçon complexe2 mais synthétique.
Il sera notre pierre de Rosette pour décrypter les divers langages de la culpabilité: corporels, relationnels, spirituels, en passant par les somatisations, les perversions, les idéologies.
Nous illustrerons ce colimaçon par des histoires vécues.
Nous irons à la rencontre de sujets dans la souffrance passionnelle, comme dans la recherche d’extrême jouissance, atteints de pathologies des moins graves aux plus féroces. Nous observerons des comportements – sans jamais les juger.
En fin d’ouvrage vous trouverez le récit d’une histoire d’amour, précédée de réflexions philosophiques sur le respect ou sur les vestiges de connaissance initiatique retrouvés au cours de nos pérégrinations.
Ce colimaçon est à la fois notre base de travail et notre synthèse. Nous y reviendrons sans cesse dans un balancement entre vie intérieure et extérieure, entre introversion et extraversion.
Poursuivons ainsi le développement des 6 attitudes fondamentales en 12 puis en 24 comportements qui génèrent 48 errements.
Ainsi se dessine la figure suivante, cristallisation de notre recherche:
2Ou rotationnel pour évoquer aux physiciens la dynamique des champs psychiques.
Telles sont les attitudes comportementales qui résultent de la culpabilité.
Conférence à l’institut de psychanalyse et de psychothérapie
Charles Baudouin à Genève – 1994
Permettez-moi de vous proposer mes réflexions de clinicien sur la culpabilité. L’exposé oral autorise un langage imagé que vous me pardonnerez peut-être et goûterez, je l’espère, en hommage aux textes rabelaisiens.
La culpabilité a des conséquences y compris somatiques. Je veux parler aussi bien du cancer, du sida, voire de la tuberculose, que de la petite vérole ou de la grande vérole. Disons-le crûment: ces malades souffrent d’un «cul pas habilité». Ne soyez pas étonnés: un jeu de mots peut se révéler un excellent remède aux tristes maux.
De fait, cette culpabilité ou ce cul qui n’est pas habilité génère des effets secondaires ou primaires selon les cas, non seulement sur l’état psychique, psychologique de nos patients, mais aussi sur leur état physique, physiologique, voire sur la cellule. La culpabilité peut générer un monde de folâtreries dans tous les sens du terme.
Les exemples cliniques vont vous démontrer l’importance fondamentale du sujet et la pluralité de ses expressions corporelles et psychiques.
La première expérience que j’en fis remonte à plus de soixante ans. Vous me direz que je n’étais pas encore entré en profession ni dans le bon ordre: c’était à propos de notre professeur de mathématiques au lycée Henri Poincaré à Nancy. C’était un homme droit comme une planche, avec une face triangulaire, brave homme qui ne pouvait sortir de son raisonnement ou de sa vie que par l’intermédiaire d’équations! Et à force de faire des équations et des lignes algébriques, il finit par être complètement desséché. Il n’eut pas le bonheur de terminer sa carrière et d’avoir le bénéfice d’une retraite voyageuse. Il vécut plutôt une préretraite terminale!…
Bien que reçu major à l’agrégation, il «n’avait rien où je pense», ce qui se sent bien quand on est un potache chahuteur et cela ruine évidemment toute autorité. Espiègles comme nous l’étions, nous l’arrosions généreusement avec l’encre de nos stylos dès qu’il nous tournait le dos, aussi sa blouse ressemblait-elle à une constellation colorée, et les bulles ornaient nos copies, car le dessèchement de ses testicules était peut-être conforme à la mathématique scolastique, mais ne faisait pas régner l’ordre.
Nommé interne des hôpitaux, comme on entre en religion, il me fut nécessaire de consacrer tout mon temps et toute mon énergie sous la férule de messieurs les professeurs, et dans ces maisons de Bonsecours, je rencontrai des gens apparemment «ensorcelés». Certains honoraient une bonne douzaine de femelles par semaine! À force de les questionner – malgré le désaccord de mes supérieurs pontificaux, qui ne voyaient pas à quoi pouvaient bien servir mes questions – j’obtins d’eux une première réponse: «Je cherche non pas fortune, mais je cherche à trouver bonheur et paradis!» Je trouvai alors que cette réponse n’en était pas une, mais une simple élucubration. En conséquence, je laissai toute cette affaire en plan.
Une brave paysanne venue de la Lorraine profonde vint consulter pour «étouffement de la gorge». Elle avait un goitre aussi gros qu’un cul de porcelet: il fallait la calmer, bien sûr, et l’opérer en grande urgence, sinon elle allait trépasser d’asphyxie dans les plus brefs délais. C’est vrai qu’elle avait la glande thyroïde aussi grosse que quatre paires de fesses… et longue d’une bonne coudée… J’étais ébahi devant pareille aberration de la nature. Quand elle fut réveillée après l’intervention, j’allai lui rendre visite, histoire de voir comment elle se comportait et de bien veiller à ce que tout fût dans la norme qui nous était indiquée. J’appliquai à la lettre les ordres donnés, mais, tenté par la curiosité, je lui posai quelques questions.
Elle me raconta sans trop de difficultés sa peur obsédante et permanente d’être touchée par son homme! À chaque fois qu’il la pénétrait, c’était pour elle un véritable viol, parce que son corps devait être donné à Dieu comme souhaitait sa brave mère! Pour elle, le paradis et le bonheur, c’était de «tout donner à Jésus», en faisant malgré elle un très petit devoir conjugal! Son homme s’en contentait. J’en fus étonné. Cette situation devait se retrouver chez bon nombre de bourgeoises réfrigérantes. Elles enseignaient le catéchisme à la place du curé et étaient fort racornies.
Je notai cela sur mes cahiers et je saisis déjà une direction: ces deux types de maladies fort opposées parlaient de bonheur et de paradis, mais reposaient sur des problèmes différents: d’un côté un goitre aussi gros que quatre paires de fesses, et de l’autre des gens qui déraisonnaient.
Les ensorcelés de la chair et de la concupiscence avaient un dessèchement de la glande thyroïde, ce qui entraînait des pulsions permanentes, tandis que l’autre avait radicalement coupé toutes ses pulsions.
J’osai parler de ceci à mes sommités pontificales. Ils me répondirent: «Mon cher ami, je ne puis répondre, car nous n’en savons rien! Tout ce que je sais, c’est que l’élève dépassera le maître!» J’en fus éberlué, car j’attendais à vrai dire une recette, du moins un début d’explication cartésienne, une bonne monnaie sonnante et trébuchante pour gens de raison, du moins de bon sens.
De recette, je ne vous en donnerai pas, mais je vous exposerai des cas cliniques qui, au fur et à mesure, vous expliqueront les différentes pistes que j’ai suivies. Ils montrent que chacun peut devenir un vrai thérapeute: c’est cela le secret!
Qu’est-ce que la maladie, en effet? C’est le mal dit, le mal entendant et le mal disant!
Vous savez aussi bien que moi combien la langue humaine est plus dure qu’une lame d’épée. Elle peut faire plus de ravages que n’importe quelle arme qui puisse être inventée, car elle est plus venimeuse que le cobra royal ou le trigonocéphale!
Quelques lunes plus tard, en compagnie de mon maître, M. le Pr Valgrass, je fus amené à consulter un brave damoiseau pour une poussée intense et inquiétante de glycémie.
Il fallait lui administrer absolument des piqûres d’insuline, car il avait des poussées jusqu’à 6, 7, 8 g chaque fois.
C’était un «insulinodépendant».
Mon cher maître, devenu depuis un vieil ami, me dit: «Ce n’est pas pour nous, c’est pour l’endocrinologue et le diabétologue, mais avant de l’envoyer chez le confrère, je voudrais bien qu’on recherche un petit peu le pourquoi. Car le cas d’un jeune homme de 12 années peut être surprenant. Et comme vous, mon cher élève, avez déjà commencé à le questionner, eh bien, je vous attends!»
Je me suis remis à l’interroger ainsi que sa douce mère et son vénérable père. J’appris que le père n’avait aucun intérêt pour son fiston, puisqu’il n’avait été que le gène ambulatoire nécessaire pour poursuivre la renommée du nom.
Pour la mère, c’était le poussin «bien couvé». Elle l’avait confié à sa propre mère, une matriarche inquisitoriale. La chère grand-mère avait «un croc non usé3» envers sa fille qui avait cependant mené une vie parfaite sur le plan de sa carcasse, mais non pas au goût de son auguste mère qui était du genre «fouille-merde» dogmatique. Elle en avait fait l’amer reproche à son petiot de petit-fils lui assénant que «sa mère de sein était une catin de première ligne» alors qu’il n’avait guère plus de sept années! Depuis ce temps-là, le fils avait peur de perdre sa mère, donc il restait désespérément dans le giron de celle-ci. Pour s’y être attardé, il développait une dépendance totale… et l’insulinodépendance fâcheusement constatée, comme l’absence totale d’intérêt pour les choses de l’«entre-deux» selon la morale crétinisante de la culpabilité. On coupe bien les «pompons» des chats mâles pour les faire rester à la maison, eh bien, les diabétiques sont rarement utilisateurs de ces diableries de famille qui n’attirent que des ennuis selon une morale très épanouissante et malheureusement trop répandue!
Voyez chers lecteurs, par ces trois exemples, notamment le dernier, que notre société a amputé et désire amputer systématiquement tous ceux qui s’écartent de ses règles dogmatiques et fort bien incestueuses.
En effet, la matriarche avait l’irrespect de juger l’attitude de sa fille qui avait fait quelques brouillons avant son mariage; la traitant comme une catin éhontée alors qu’elle ne faisait que vivre à sa façon une recherche d’indépendance vis-à-vis de son excellente mère très catholique. Celle-ci avait traduit par la manière forte le rejet insupportable à ses yeux de cette façon de vivre, alors que sa fille voulait seulement dire à sa mère: «Vivons notre vie simplement en cherchant le sens de la vie.»
Honni soit qui mal y croit, qui mal y pense!
La terrible grand-mère avait tout déformé, appliquant à la lettre la sainte morale apostolique du cul non habité ou non habilité pour raison d’apostasie criminelle. Vous voyez donc que la langue du crotale d’ecclésiaste, fourbe et émule de Torquemada, avait détruit, pratiquement tué, ce petiot de poussin.
Vous qui n’ignorez pas les travaux de neurophysiologie ni les lois neuronales, vous savez que la maturation du cerveau résulte des poussées hormonales notamment génitales car les «roustons», apparents ou cachés, secrètent de quoi ouvrir le cerveau à la vie, à rendre plus adulte, plus indépendant, ce qui ouvre aussi les ouïes et les yeux.
Sur ce sujet, je pourrais encore vous donner beaucoup d’exemples. Étant interne du service de médecine du cher professeur Valgrass, j’avais trouvé un système de recherche diagnostique par les odeurs en côtoyant les malades, pour avoir vu mon cher maître pratiquer ainsi avec succès uniquement en ouvrant la porte de leur chambre! C’était donc un homme bien complet! C’est vrai que son cul avait un fonctionnement parfait. Alors qu’il satisfaisait déjà son honorable compagne, un peu sèche cependant, car trop intellectuelle, il lui fallait encore consoler ses secrétaires, infirmières et aides-infirmières lorsqu’elles étaient dans le désarroi – non pas, comme il le disait si bien – «pour chercher et trouver paradis, mais pour apporter soulagement à la misère humaine»!
Je trouvais tout cela très drôle et très bon enfant dès lors que tout le monde était content. C’était une autre nature généreuse, car il distribuait son trop-plein d’énergie ainsi, d’autant qu’il avait toujours une mine superbe comme un soleil réjoui. C’était bien de soulager la misère humaine toujours prospère et envahissante. Il est vrai que ses secrétaires, infirmières et aides-infirmières avaient toutes la mine épanouie! Dès que l’une avait l’air d’être en piteux état, il s’empressait de la consoler. Après, elle avait une mine superbe, comme s’il lui avait transmis le soleil! Un sage me dit un jour à ce propos: «Ce qui mène la vie, c’est l’ivresse du réchauffement du cul!»
Cela est tout à fait vrai j’en conviens. Mais côté cœur? Sa femme était-elle heureuse de cette situation même ignorante des faits? Encore une autre histoire ou une autre conférence?
Nous reçûmes ensemble une «foldingot» qui se privait de manger. Elle refusait toute mangeaille, tout amuse-gueule, car elle punissait ainsi ses parents d’avoir croqué la pomme! Elle affligeait son entourage en s’infligeant le rejet de son billet de naissance parce que, selon sa fâcheuse idée, c’était pécher que d’avoir généré et donné la vie.
C’est un peu l’hypothèse fondamentale de la diablerie romaine catholique et inquisitoriale. Il fallait soulever chiffons ou jupons à grand-peine pour pouvoir accomplir au plus vite son devoir conjugal. Dès que le gène était transmis, il fallait se l’arracher au plus vite. Elle refusait donc toute mangeaille.
Après quelques semaines et nombreuses piqûres et fâcheries de toutes sortes, je la découvris un soir en train de manger. J’en fus surpris. Je ne dis rien et observai à distance. Une infirmière me fit signe de venir près d’elle: dans la chambre voisine, il y avait un beau mâle en manque. Il se mit à flirter avec elle, trop délaissée. Oh! La chasse fut bonne! On les surprit très discrètement dans le même lit. Il était à vrai dire fort étroit, sans doute devaient-ils se mettre l’un sur l’autre… la vie avait repris… Il lui avait redonné la vie et le goût de vivre non seulement par les caresses, la langue dans tous les termes qu’on pouvait appliquer, mais aussi par un cul bien chaud et bien accueillant. Depuis ce jour, avec les années, elle est devenue une bonne mère de famille et une bonne épouse, tout cela a donné un couple harmonieux.
Le miracle s’est opéré tout seul et notre cher professeur et ami Valgrass en fut tout réjoui. Cela lui confirmait ses théories prônées chaque jour dans une maison de Bon Secours, très bien tenue par des chères sœurs de Saint-Charles ou de Saint-Barnabé, peu importe, en cornette ma foi. La miséricorde ne pouvait passer que par la transmission de la vie, et donc par le soleil.
Il faut donc avoir un cul bien habilité pour pouvoir bien vivre!
J’ai eu la divine surprise de rencontrer mademoiselle Lostie de Kermaure qui avait aussi une sainte horreur de manger; ainsi elle se torturait l’estomac. Je lui demandai de préciser ses goûts et aversions alimentaires, des questions qui paraissent absurdes pour un médecin! Elle me souligna que de tous les aliments, ce qui la dégoûtait le plus vraiment, c’étaient les bananes, les mandarines ou les oranges, c’est-à-dire les pommes d’or.