Les Éditions du CRAM |
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Montréal (Québec) H2L 1H9 |
Édition |
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Marie Desjardins |
www.editionscram.com |
Révision et correction linguistique |
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Marie-Claude Hébert |
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Illustration de couverture |
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II est illégal de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l’autorisation
de la maison d’édition. La reproduction de cette publication, par quelque
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Dépôt légal — 3e trimestre 2018
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Copyright © Les Éditions du CRAM inc.
Distribution au Canada: Diffusion Prologue
Distribution en France et en Belgique: DG Diffusion
Distribution en Suisse: Transat Diffusion
Catalogage avant publication de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Robichaud, Valois, 1946-, auteur
L’accompagnement en fin de vie: nouveau regard sur les soins palliatifs / Valois Robichaud.
(Psychologie)
Comprend des références bibliographiques.
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-89721-178-3 (couverture souple)
ISBN 978-2-89721-179-0 (PDF)
ISBN 978-2-89721-180-6 (EPUB)
ISBN 978-2-89721-181-3 (MOBI)
1. Accompagnement de la fin de la vie.2. Soins palliatifs.I. Titre.II. Collection: Collection Psychologie (Éditions du CRAM).
R726.8.R62 2018 |
362.17’5 |
C2018-941995-4 |
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C2018-941996-2 |
Imprimé au Canada
| Remerciements
J’exprime ma reconnaissance à Jacques Fortier de La Guadeloupe (village du Québec-Chaudière-Appalaches), pour le travail de relecture et de révision, et à Olivier Sylvain Tine, analyste en sécurité de l’information dans le réseau de la santé de Montréal.
L’auteur est diplômé du Centre Pluridisciplinaire de Gérontologie, Grenoble, Professeur Michel PHILIBERT
–Scolarité en psychogérontologie de Lyon, Professeur Hélène REBOUL
–Docteur en sciences de l’éducation, Université des sciences de l’homme, Grenoble, Henri CLAUSTRE
–TRA, Thérapeute en relation d’aideMD – Montréal, Colette PORTELANCE, Docteur en Science de l’éducation
–Formé aux États-Unis (Californie) au programme La Jolla – Approche centrée sur la Personne selon Carl Rogers
–Facilitateur auprès du PCAI-France, Patrick et Olga KAUFFMANN
| Prologue
Une étoile filante traverse le ciel et mes yeux ont peine à la suivre; elle laisse derrière elle un jet de lumière ou de feu, gaz et débris, manifestant à la fois sa vie en éclairant, et sa mort en se désintégrant dans l’atmosphère. Cette étoile filante est un corps circulant dans l’espace, croisant l’orbite de la Terre et qui se meurt; ce corps céleste poursuit son chemin ou sa course, entraîné dans un mouvement de descente ou de montée pour aller se perdre en vapeurs de particules et disparaître. L’étoile est une météorite lumineuse parce qu’elle brûle et se transforme; elle offre aux Terriens un spectacle de l’infiniment petit et de l’infiniment grand.
Par un beau samedi matin de juin 2017, je roule sur un chemin de la plaine de Lamèque, au Nouveau-Brunswick. Je vais donner une conférence aux participants d’un colloque provincial. Voilà qu’une inspiration jaillit, me suggérant d’écrire un nouvel ouvrage sur la thématique de la mort au quotidien, sur la fin de la vie, principalement à l’égard de la personne âgée, bien que ma réflexion puisse aussi soutenir ceux qui accompagnent un enfant, un adolescent ou un adulte jusqu’à la mort.
Immédiatement, je note cette incursion dans ma conscience. Cette inspiration m’est venue des confins de ma personnalité, de mon subconscient, ou de l’univers. Je ne peux qu’accueillir ce qui est là.
Selon Daniel Sibony1, «la mort a ceci de vivant qu’elle se donne avec la naissance». En quittant le nid douillet du ventre de notre maman, nous mourons déjà à la sécurité, au silence, au calme et à la protection, à cet état de ne faire qu’un. Notre naissance, qu’elle soit naturelle, provoquée, prématurée ou par césarienne, est déjà une première séparation, une fissure par laquelle nous perdons un paradis, un royaume, un lieu de béatitude, un infini territoire qui nous a constitués à l’origine. Cet endroit, nous chercherons à le retrouver, à le ressentir au cours de notre vie dans nos relations, dans les plaisirs de l’existence, etc.
Oui, chaque jour, nous mourons un peu pour entrer dans l’inconnu, l’imprévu, la nouveauté, l’ordre ou le désordre, en quête d’un mieux-être ou d’un plus. Nous ne cessons d’espérer, enfin être heureux, pendant un moment, dans un espace ou un environnement qui nous ressemble et que nous souhaitons conserver le plus longtemps possible. Nous entrons ainsi dans la vie chaque matin, et nous mourons à l’instant qui passe, à la journée d’hier et à notre passé qui ne laissent que des traces mnésiques, empreintes, pas sur le sable. Notre trajectoire deviendra évanescente, limpide, transparente et traversera, elle aussi, le cosmos. Certaines personnes, et vous en connaissez peut-être, ont une telle peur de vivre qu’elles meurent même à leur vie!
J’écris parce que j’éprouve un urgent et profond besoin d’aider les gens à mieux vivre. Vivre, c’est avoir la sagesse et la liberté d’accueillir les imprévus, les changements et les épreuves qui nous font découvrir une nouvelle manière de voir la vie, les choses, les êtres et les évènements, tout ce qui nous transforme en lumière pour les autres, et cela, jusqu’à notre dernier souffle.
La nature nous donne bien des signes: la mort, en effet, est dans la vie… Les feuilles de l’arbre jonchent le sol à l’automne, la forêt craque et s’abandonne, la poule meurt de vieillesse et ne peut plus se percher.
Je réfléchis sur la mort parce que je tiens à la vie, à toute la lumière qu’elle peut m’offrir, comme le soleil levant en ce beau jour de juillet. Je traiterai dans cet essai de la dernière mort, celle d’où l’on ne revient pas. Je soulignerai les grandes étapes ou cycles de la vie avec leurs changements, leurs transformations, leurs morts au quotidien: ruptures, séparations, déceptions, maladies. Autant d’illusions par lesquelles nous essayons de combler le monde de désirs qui nous habite. Enfin, les renoncements… On choisit, ou on subit les coups du destin pour marcher sur des chemins nouveaux qui deviennent les nôtres.
Certains ne voudront pas quitter l’enfance, redoutant la vie adulte avec toutes ses responsabilités, craignant la paternité et la maternité avec leur lot d’exigences. D’autres, attirés par le besoin de se réaliser, amorceront la rencontre avec eux-mêmes sur le chemin des études, du travail, de la maturité, de la retraite, et du processus silencieux du vieillissement humain. La quête du bonheur sera la plus grande motivation pour embarquer dans l’aventure de sa vie et essayer d’en faire une réussite.
«Ô temps, suspends ton vol», disent des gens heureux, car il leur semble que l’éternité, à certains moments, pourrait être au rendez-vous! Mais pour les personnes souffrantes de ce monde, le temps est insupportable et il devrait passer plus rapidement. Certains n’ont pas de nourriture pour refaire leurs forces, pas de toit pour dormir ou encore, la mort est au rendez-vous.
Pour les frères et les sœurs qui fuient les pays en guerre ou sous le joug d’une dictature, pour ceux et celles qui sont torturés ou dont les droits de la personne sont bafoués, la mort, souvent, les délivrera de la souffrance insupportable.
N’observons-nous pas, depuis un certain temps, que la planète semble se refermer sur elle-même, asphyxiée, apeurée, souvent bien incapable de construire des passerelles entre les peuples? Pourquoi tant de divisions? Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, nous assistons paradoxalement à la multiplication des remparts entre les États du monde. On compte aujourd’hui près de soixante-quinze murs construits sur la Terre, terminés ou annoncés. Les séparations physiques proclament la mort de l’autre qui devient invisible. Ceux qui construisent ces murs affirment leurs peurs de l’autre, du terrorisme, de l’immigration, etc. L’Europe devient une forteresse. L’Amérique se coupe du monde! En sera-t-il de même à moindre échelle dans nos villes et villages pour le «vivre ensemble»? N’assistons-nous pas à une certaine mort d’un humanisme ambiant? Ainsi, aurons-nous assez d’humanité pour accompagner les personnes déficientes, malades, atteintes d’une maladie chronique ou incurable, et même les personnes âgées? Pourrons-nous donner à chacune des soins appropriés?
Quel sera l’avenir des soins palliatifs? Verrons-nous se profiler, là aussi, la peur de l’autre, de l’inconnu, la rupture relationnelle entre la famille et la personne qui meurt? Les assises de la médecine dite du mourir incluront-elles les dimensions humaines, sociales et spirituelles de manière à ce que l’accompagnement du malade soit aussi valorisé que peut l’être le modèle de soins le plus perfectionné et avant-gardiste? L’aide médicale à mourir ne serait-elle pas une cassure civilisationnelle, caractérisant ainsi une rupture d’humanité entre celui qui part et les survivants? Serait-elle l’arrivée d’un temps nouveau pour la médecine du mourir, alors que la personne souhaite vivre sa mort selon sa conscience et sa liberté? Je m’interroge.
On accueillera ceux et celles qui demanderont l’aide médicale à mourir, on les entendra tout en intégrant cette démarche au cœur même de la philosophie des soins palliatifs. Lorsque la souffrance, ce tissu d’angoisse, d’anxiété, de peurs et de douleurs, est prise en compte par une équipe de soignants formée à l’accompagnement, il n’est pas rare de constater que la demande pour mourir se transforme en demande pour vivre jusqu’au bout sa propre mort. C’est en ces moments tragiques qu’une force de vivre émane des profondeurs de l’être, par laquelle les regards, les mots et les touchers de la personne qui part prennent la forme d’un témoignage et d’un héritage à laisser aux vivants.
Puis-je identifier les petites morts accompagnées des deuils qui surviennent chaque jour chez moi? L’entrée du petit dernier à la maternelle, le conjoint qui part travailler au loin, un chômage imprévu en raison de la fermeture soudaine d’une usine, le départ des grands-parents, l’hospitalisation d’un ami, l’annonce d’un diagnostic fatal, etc.
Certains prennent conscience du temps qui passe quand une décennie se termine, au mitan de la vie, ou encore lorsque le corps subit les marques d’une maladie chronique. Cette vie savourée au moment de la jeunesse se transforme peu à peu. Comprenons que notre quotidien est fait de ces petits changements qui nous conduisent vers une nouvelle liberté de vivre, où le temps nous est enfin donné pour accomplir les tâches laissées en suspens!
Accueillir les petites morts au quotidien, c’est enfin reconnaître qu’en moi et autour de moi le temps est au rendez-vous! La matière, les cellules de mon corps, les neurones, la vie psychique et physique n’y échappent pas! La brique ou la pierre ne sont pas les seules à subir l’érosion du temps; mon corps physique et mon corps psychique la subissent également.
Si les changements physiques chez la personne sont observables, la vie de l’être, elle, prend son envol. Plus l’être humain avance en âge, plus il ressent les êtres et les choses, il voit différemment, il est plus sensible, plus léger, plus à l’écoute de son environnement. Le temps qui passe le place sur une nouvelle trajectoire de vie. L’humain devient androgyne et spirituel. Il tend la main, sourit, aime, nourrit les liens, se rapproche de ses semblables, car il sait que tout est précaire, précieux, volatile, et que lui aussi est marqué par la finitude. L’école de la vie prépare également l’adulte au milieu de sa vie à faire usage des deux hémisphères de son cerveau, s’ouvrant pour voir, entendre et percevoir les nouvelles vibrations émanant de soi et de l’autre.
Si j’accueille ce qui est précieux en moi, autour de moi, je m’ouvre aux trésors intérieurs de mon être qui frappent à ma porte. Ces perles sont l’amour de soi et des autres, la vérité, la réconciliation, la rédemption de soi, la paix, la tranquillité d’esprit, le courage d’être. Plus l’être humain chemine, avançant en âge, plus il devient universel; il voit plus loin que son nombril; il se laisse toucher et vit ses émotions, en retrouvant son enfant intérieur qui s’émerveille et goûte à la vie.
À l’exemple de l’étoile filante, moi aussi je passe, je traverse le temps et l’espace pour, un jour, disparaître en cendres. Mon dernier souffle libérera mon esprit pour entrer à la Maison, ce lieu où, je l’espère, un Amour éternel m’attend pour La rencontre. Verrai-je mes disparus? Avec quelle conscience? Mes yeux et mes autres sens, en effet, n’y seront plus. Restera-t-il de moi quelque chose pour quelqu’un, serai-je absorbé par la Conscience créatrice de l’univers qui sans cesse se crée et recrée, reviendrai-je sur Terre dans une nouvelle âme, ou la trajectoire de mon âme se fondra-t-elle en Dieu?
Je vous invite à faire ce voyage de la vie et de la mort, pour vivre plus consciemment votre quotidien, le goûter et le partager fraternellement.
On accompagne la personne en son histoire. On accompagne cette personne jusqu’au soir de sa vie, depuis son enfance, jusqu’à la fin de son parcours terrestre.
1Daniel Sibony, Entre deux, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 147.
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Regard sur mon enfance |
L’enfance est le printemps de la vie. Je tente de me souvenir: ai-je eu une enfance heureuse, malheureuse, éprouvante? Me suis-je senti aimé, accepté? Quels souvenirs marquants continuent à fleurir dans mon jardin? Quelles ténèbres ombragent toujours ma vie d’adulte? Devrais-je tout oublier ou aller à la rencontre des coins plus sombres de mon âme? L’enfant se présentera à moi au soir de ma vie; en ces heures de solitude, de souffrance peut-être, bref, lorsque j’en serai à mes derniers moments.
L’enfant que j’ai été vit encore en moi; il a sa place à la table de mon existence; c’est lui qui a accompagné mes premiers mots, mes premiers pas; cet enfant formé dans le sein d’une mère et porté pendant neuf mois. Entre lui et la mère tout se communiquait: les peurs, les angoisses, les inquiétudes, les rires, les joies, les petits bonheurs ou encore les souffrances, les blessures de l’âme, les rejets, les violences physiques et psychiques.
Le fœtus, en effet, peut reconnaître la voix de son père, entendre de la musique, et quoi encore! Nous sous-estimons les profondeurs de ces ressentis, de ces dépôts psychiques et affectifs, harmonieux ou non, qui dorment dans les profondeurs de l’inconscience.
L’enfant transporte tous les dépôts historico-culturels du temps où il a été porté, dont les conditions de sa naissance prématurée, naturelle ou par césarienne. Est-il né à la maison, à l’hôpital? A-t-il été accueilli avec amour, été la cause d’une déception? A-t-il été rejeté? Abandonné, adopté? Son histoire remonte au temps précé dant sa conception, jusqu’à ses grands-parents et arrières grands-parents.
L’être humain, inscrit dans une culture et une histoire, transmet d’une génération à l’autre des dispositions phonétiques, affectives, des manières de marcher, de parler, voire de régler les problèmes, de réagir à l’égard des évènements. Tout cela est emprunté aux dépôts héréditaires qu’il porte en lui.
Un étudiant me disait en ces termes toute sa difficulté à s’aimer, à s’apprécier, à reconnaître sa valeur: «J’étais moins qu’un être humain, et il me semblait ramper sous terre comme un ver, tellement je n’avais pas d’estime et encore moins d’amour pour moi. Un jour, l’attention et le regard d’accueil et d’amour que quelqu’un m’a donnés ont fait que j’ai commencé à croire en moi.» En effet, les regards, les caresses, les touchers et les mots qui les accompagnent font de l’humain un être pour la vie. Hegel2 a beaucoup insisté sur le regard d’autrui. Il considérait que la rencontre de l’autre est un moyen de s’élever, de grandir, de devenir pleinement humain. Rappelons-nous tous les regards qui nous ont été offerts au fil des ans, et comment ils nous ont marqués.
Le regard d’autrui exprime l’attitude de la personne, la pensée aimante et bienveillante qui l’accompagne. Ce regard structure notre personnalité. Si le regard est malveillant, méchant, il peut blesser, détruire l’enfant sans défense.
Cet homme a vécu la plus grande partie de sa vie comme en réclusion de lui-même, son moi conscient étant prisonnier des empreintes «collées» sur tout le concept de soi, comme le décrit René l’Écuyer3. La porte de la prison était tellement massive; dans l’obscurité, il ne pouvait l’ouvrir pour avoir accès à son jardin intérieur, y découvrir ses beautés, y contempler ses plantes et ses fleurs. Il a reçu d’innombrables preuves d’amour, de non-jugement et de regard d’espérance avant de réussir à abandonner ses résistances, ses défenses, et enfin s’ouvrir à la lumière de l’amour que les autres lui témoignaient. Même si ces personnes lui affirmaient qu’il était important, qu’il avait de la valeur à leurs yeux, il lui était difficile d’y croire. Le chemin vers son jardin intérieur et ses trésors fut très long. «J’ai commencé à vivre à cinquante-huit ans», m’a-t-il confié.
Pouvons-nous changer le cours de notre histoire? Que pouvons-nous faire d’une enfance malheureuse quand les séquelles sont si graves que l’être humain revient à l’animalité, à des réflexes de défense, de protection, de violence envers soi et envers les autres, qu’il refuse d’aimer par peur du rejet, ne pouvant que blesser les autres parce que c’est la seule chose qu’il a connue et expérimentée? Souvent, l’obscurité intérieure se transpose en attitudes, en paroles et en comportements blessants envers les autres, car la blessure venant de la privation d’amour empêche l’humain d’aimer l’autre comme lui-même.
Lorsque l’enfant n’a pas été aimé pour ce qu’il est, lorsqu’il a vécu le rejet, le jugement, la comparaison, il développe des sous-structures du soi qui se fixent à sa personnalité. C’est à partir de ces structures qu’il se comporte au quotidien.
Voici quelques exemples du concept de soi qui, s’ils ne sont pas bien vécus dans l’enfance, seront disharmonieux chez adulte.
1.L’image de soi – désirs-rêves-projets;
2.L’estime de soi – valeur-confiance-compétences;
3.Les activités de soi – autonomie-interdépendance-actualisation;
4.Le soi social – préoccupations, altruisme, réceptivité, opinion des autres.
Comment l’adulte d’aujourd’hui qui n’arrive pas à goûter le bonheur, la paix ou la quiétude des jours ou une certaine légèreté de vivre, peut-il retrouver la liberté intérieure, le bien-être, ou du moins vivre le mieux possible son moment présent?
Première démarche
Je lui propose d’accueillir ce qu’il vit, en le nommant, et de parler avec quelqu’un en qui il a confiance. En relation d’aide, la personne peut faire l’expérience d’un chemin de transformation, de guérison, car elle est écoutée et accueillie avec empathie et sans jugement.
Scénario 1
Éphrem, venu en thérapie, n’avait pas connu son père biologique. Une fois arrivé à l’âge adulte, il avait tenté de joindre ce père; or comme le lien n’était pas établi, ce dernier ne s’investit pas dans le rapprochement qu’aurait souhaité son fils. Le fils adopta au cours de sa vie une telle attitude de perfectionnisme envers lui-même et les autres qu’il n’était jamais satisfait. Il cherchait en lui la partie manquante à sa vie. Je lui proposai alors de visualiser ce petit garçon qu’il avait été, de revoir les situations où, comme jeune enfant, puis comme adolescent, il aurait aimé voir son père. Comme dans un travail de réminiscence, vivant la déception et toute une gamme d’émotions, il réussit à nommer, à reconnaître son chemin de vie. Que pouvait-il faire de cette absence et de ce vide intérieur qu’il ressentait encore aujourd’hui? D’abord les nommer, les accueillir, et laisser s’exprimer l’émotion au rendez-vous.
Éphrem pouvait aujourd’hui poser un nouveau regard sur lui-même, car, devenu adulte, il avait la capacité de s’occuper maintenant de ses besoins, de nommer et reconnaître ses peurs, de comprendre son fonctionnement, comme s’il devenait le papa de lui-même, puisant en son être des ressources dont il ignorait la présence et la force.
Dans la relation qu’il établit avec son thérapeute, il retrouve un espace où il est vu, entendu, où il existe. Dans ces moments, de nouvelles connexions synaptiques se tissent dans sa vie intrapsychique, mais, cette fois, faites d’assurance et de confiance. Celles-ci lui permettent de vivre avec lui et les autres des évènements plus harmonieux, car il a, enfin, prise sur sa propre vie. Il a maintenant en mains le volant de son parcours, conduisant le mieux possible en déposant sur la banquette arrière l’anxiété et la peur de ne pas réussir.
Scénario 2
Sylvie, une étudiante vivant à Montréal, m’appelle pour me raconter que sa mère a peur de mourir. Malgré son état de faiblesse avancée, hospitalisée depuis quelques jours, et ayant déjà vu un prêtre, elle porte en elle une peur de Dieu, de ce qui l’attend, et veut s’accrocher à sa fille désespérément, comme si son retour à la maison lui assurait la victoire sur la mort. D’où vient cette peur de la mort? La mort est l’évènement le plus secret, le plus solitaire qui soit. Très souvent, la souffrance en fin de vie est faite d’angoisse, d’anxiété, de la peur de l’inconnu et de la douleur, peur de ne plus avoir le contrôle sur son existence, sa respiration et son hygiène corporelle. Ces peurs de souffrir, d’être seule et soumise à la réalité ouvrent souvent une porte derrière laquelle certains trouvent le néant, d’autres l’espérance ou une rencontre dans une lumière d’amour. Or, cette maman qui avait eu une vie hors de l’ordinaire portait les peurs de la petite fille qu’elle avait été et qui n’avait pas connu la stabilité émotionnelle avec sa mère et son père. Insécurisée devant l’inconnu, elle avait toujours eu besoin des autres pour porter sa vie. Maintenant la mort l’invitait à l’ultime rencontre avec elle-même, ce lieu que l’on appelle le Soi, son jardin intérieur et dont elle n’avait aucune idée. Les défenses cédaient le pas, le chemin vers le cœur se libérait. Ses peurs et son insécurité avaient été les guides de sa vie. Elle était prisonnière de ses peurs, et seule la présence aimante de sa fille a pu la rassurer et la ramener à la relation avec elle-même. Elle s’est rencontrée!
Je propose alors à cette étudiante d’inviter sa mère à verbaliser ses peurs, son besoin le plus immédiat et urgent, à lui donner enfin le droit d’exister avec son monde de représentations. Après quelques rencontres, dans l’intimité de la chambre où chacune se confie à l’autre, au fil des mots, des émotions, des pleurs et des étreintes, la maman s’assoupit et entre dans un autre univers, celui qui est désormais le sien, ayant confié à sa fille toutes les obscurités de son âme qui l’empêchaient de voir la lumière. La maman découvre alors qu’elle est habitée depuis toujours par cette force qui attendait de venir vers elle, qu’elle nommait l’Amour ou encore Dieu. Sylvie me dit que sa mère n’a plus peur de mourir. Elle est partie sereinement.
Scénario 3
Julie me raconte quand, alors qu’elle était une petite fille de huit ans, un voisin l’a abusée sexuellement pendant quelques années. Sa plus grande blessure n’est pas le viol, mais le fait que sa mère ne l’ait pas crue. Au cours de ces années, Julie s’est sentie abandonnée par sa mère. Longtemps, elle se disait salle et laide, incapable de vivre une sexualité harmonieuse.
Jean, en ce qui le concerne, était servant de messe. Ayant subi des avances sexuelles et une agression physique par un prêtre pédophile, il avait annoncé à sa mère qu’il ne voulait plus se rendre à l’église. Mais sa mère l’obligeait à y retourner pour servir la messe. Ce jeune enfant, pris en otage, une fois devenu adolescent, se sentait moins que rien, comme un déchet de la société, vivant un mal-être innommable, voire une rage envers les adultes qui l’approchaient. En thérapie, il affirmait vivre une déchirure de l’âme et du corps. L’alcool et les drogues étaient devenus les pansements psychiques de sa blessure, lui permettant d’entrer dans un monde imaginaire loin de la réalité trop pénible à affronter.
Lorsque l’être humain est écouté, lorsqu’il est cru, lorsque les mots traduisent sa douleur enfouie, une source de lumière apparaît. Il arrive qu’émerge une créature nouvelle qui fait une découverte extraordinaire: rien ni personne n’a pu ternir, briser ou atteindre le diamant pur déposé au plus profond de son être.
Un jour, j’affirmai ceci à une cliente: «On a pu toucher votre corps sans votre consentement à un moment de votre vie où vous n’étiez pas en mesure de vous défendre. Aujourd’hui, l’adulte que vous êtes peut prendre soin de cette enfant intérieure, car au plus profond de votre être, personne n’a jamais pu vous briser, vous atteindre et vous salir.»