JE BÉGAIE…
LAISSEZ-MOI PARLER!
Bien vivre avec le bégaiement
De la même auteure
Le bilinguisme, un atout dans son jeu. Pour une éducation bilingue réussie (2016).
@AgatheTupula |
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AgatheTupulaKabola |
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www.kabola.ca |
JE BÉGAIE…
LAISSEZ-MOI PARLER!
Bien vivre avec le bégaiement
«Qui parle sème; qui écoute récolte.»
Pythagore
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Tupula Kabola, Agathe, 1986-, auteur
Je bégaie… laissez-moi parler! / Agathe Tupula Kabola.
(Parlons parents)
Comprend des références bibliographiques.
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-89619-875-7 (couverture souple)
ISBN 978-2-89619-876-4 (PDF)
ISBN 978-2-89619-877-1 (EPUB)
1. Bégaiement chez l’enfant - Traitement. 2. Bégaiement chez l’adolescent - Traitement. I. Titre.
RJ496.S8T86 2018 |
618.92’8554 |
C2018-942065-0 |
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C2018-942066-9 |
Illustration de la couverture: Sébastien St-Pierre
Conception graphique: Nicole Tétreault
Distribution
Québec: Prologue inc.
France, Belgique et Luxembourg: CEDIF et Daudin
Suisse: Servidis S.A.
Éditions du CHU Sainte-Justine
3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine
Montréal (Québec) H3T 1C5
Téléphone: (514) 345-4671
www.editions-chu-sainte-justine.org
© Éditions du CHU Sainte-Justine 2018
Tous droits réservés
Dépôt légal:
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Bibliothèque et Archives Canada, 2018
Imprimé au Canada
Membre de l’Association nationale des éditeurs de livres |
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REMERCIEMENTS
À Marise Labrecque et Marie-Ève Lefebvre, des Éditions du CHU Sainte-Justine, qui m’ont rappelé qu’elles attendaient avec impatience mon prochain manuscrit et qui me soutiennent dans mon parcours de nouvelle auteure.
À mes parents, qui me donnent sans compter depuis ma naissance leur amour, des racines et des ailes. Merci de m’encourager dans absolument tout ce que j’entreprends.
À Déodat, l’amour de ma vie, un homme admirable qui contribue à faire de moi la femme épanouie que je suis aujourd’hui et qui me motive à concrétiser mes rêves les plus fous.
À Dramatik, de son vrai nom Bruno Jocelyn, artiste au parcours inspirant qui fait partie des exemples de réussite que je mentionne à mes patients pour les aider à apprivoiser leur bégaiement et mieux l’accepter. Merci d’avoir spontanément accepté de préfacer ce livre. J’en suis honorée et immensément reconnaissante.
À Daniel Aubé, Audrey Bigras, Laurent Lagarde, Geneviève Lamoureux, Jean-François Leblanc et Daniele Rossi. Merci pour vos témoignages et votre générosité qui continuent de m’inspirer dans ma pratique comme orthophoniste clinicienne.
À toutes les personnes qui bégaient et à leurs proches qui m’accordent leur confiance. À tous ceux qui se questionnent et entretiennent des craintes à propos des impacts du bégaiement.
PRÉFACE
L’histoire se répète, elle doit être bègue comme ma mère l’était des décennies avant de me passer le flambeau sans le savoir. Je suis bègue depuis le début d’une enfance tourmentée de stigmates émotionnels avec les cris des crises familiales comme bruit de fond. Aurais-je oublié de me présenter? Je m’appelle Jocelyn, alias Dramatik avec un cas. En personne, il m’arrive de craindre ce moment où je sais que les présentations seront inévitables, ce moment qui brisera la façade que j’ai créée pour me fondre avec la normalité. Ce moment d’hésitation sur la première syllabe de mon nom va à jamais laisser une empreinte dans la mémoire des nouveaux collègues qui viennent de découvrir que je suis bègue, membre de la famille du 1% de la population. Des gens croyaient que ma tête était vide parce que je parlais en écho, et pourtant ce ne sont pas les mots qui manquent dans cette fontaine sans fin. Je suis considéré comme étant l’un des meilleurs artistes rap depuis que cette culture de mots s’est installée au Québec; c’est que j’arrive à déballer les mots à un débit de fou une fois accompagné de ma béquille, la musique. Chaque soir, je répète ce beau miracle qui m’élève parmi cette masse qui ne peut déballer aussi rapidement son contenu. La vie a un sens de l’humour bien à elle, elle vous a rendus fans atteints du bègue aimant.
Dramatik
Table des
MATIÈRES
PROLOGUE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1
Bégaiement ou hésitations normales?
Quelles sont les manifestations du bégaiement?
Comment se développe le bégaiement et comment le détecter?
L’iceberg du bégaiement
Qu’est-ce qui cause le bégaiement?
Quels sont les facteurs qui peuvent faire varier le bégaiement?
Facteurs linguistiques
Facteurs psychologiques
Facteurs environnementaux
Quels sont les facteurs de récupération naturelle?
Quand consulter une orthophoniste?
CHAPITRE 2
Mythes et réalités au sujet du bégaiement
Le bégaiement peut-il être causé par un événement marquant ou traumatisant dans l’enfance?
Est-ce de ma faute ou celle de mon mari si notre enfant bégaie?
Le bégaiement peut-il être causé par la gêne ou la peur?
Le bégaiement a-t-il un sexe?
Les personnes qui bégaient sont-elles moins intelligentes?
Le bégaiement peut-il se guérir?
Le bégaiement peut-il être appris?
N’est-ce pas tout le monde qui bégaie? Quand je suis nerveux ou fatigué, je bafouille aussi!
Le bégaiement n’est-il pas parfaitement normal jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans?
Punir mon enfant quand il bégaie peut-il aider à diminuer son bégaiement?
Est-ce qu’on bégaie de la même façon dans toutes les langues?
Est-il est vrai qu’une personne ne bégaie pas lorsqu’elle chante?
CHAPITRE 3
Impacts du bégaiement
Situations de handicap vécues dans la vie quotidienne
Situations difficiles à l’école pour l’élève qui bégaie
Quand bégaiement rime avec force et résilience
Parler de son bégaiement avec humour et en faire un moteur de créativité
CHAPITRE 4
À quoi s’attendre lors de la première visite chez l’orthophoniste?
L’histoire de cas
Évaluation de la parole
Caractéristiques associées
Attitudes communicatives des parents
Observations complémentaires
Et après l’évaluation?
CHAPITRE 5
Comment traite-t-on le bégaiement?
Traitement en orthophonie chez les enfants d’âge préscolaire
Le Programme Lidcombe (PL)
Le Programme Palin Parent-Child Interaction (PCI)
Traitement en orthophonie chez les enfants d’âge scolaire
Programme Lidcombe adapté
Modification du bégaiement
Désensibilisation
Affirmation de soi
Thérapie cognitivo-comportementale
Thérapie de groupe ou self help
Traitement en orthophonie chez les adolescents (13 ans et plus)
Programme Camperdown
Solution-Focused Brief Therapy (SFBT)
Que faire en cas de rechute?
Un mot sur le SpeechEasy
Un mot sur la téléorthophonie
Quand dirige-t-on vers une ressource externe?
CHAPITRE 6
Trucs et astuces pour mieux vivre avec le bégaiement
Stratégies de communication à privilégier pour favoriser la fluidité
Et à l’école, comment aider un élève qui bégaie?
Intervenir au sujet de l’intimidation
Les présentations orales
Des ressources pour les familles
Conseils pour les enfants et les adolescents
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
Ressources
PROLOGUE
«On peut dire n’importe quoi n’importe comment: c’est toujours coupé. La conversation est un jeu de sécateur, où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu’elle pousse.»
Jules Renard
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours «côtoyé» le bégaiement. Je me rappelle très bien ce garçon qui bégayait à mon école primaire et qui, malheureusement, subissait les moqueries de bien des élèves. Par ailleurs, plusieurs de mes cousins et petits-cousins du côté paternel bégaient, tant ceux qui habitent le Québec que ceux demeurés en République démocratique du Congo, le pays d’origine de mon père.
Le bégaiement est présent dans toutes les cultures et toutes les couches sociales. Or, la perception qu’ont les gens du bégaiement ou d’une personne qui bégaie varie considérablement selon leurs croyances (vraies ou fausses), leurs expériences, leur éducation et leur culture d’appartenance. À titre d’exemple, au Québec, il ne nous viendrait jamais à l’esprit qu’un enseignant puisse se moquer d’un de ses élèves qui bégaie devant toute la classe et le traiter comme un phénomène de foire. Pourtant, cet agissement est monnaie courante dans certaines régions de la République démocratique du Congo, où bégaiement rime trop souvent avec simplicité d’esprit et marginalité.
Pour certains, le bégaiement est un trouble d’élocution banal ou un simple phénomène étrange, et pour d’autres, c’est la fin du monde et la source de bien des angoisses. Il y a cependant un trait qui me semble être commun entre toutes les personnes qui bégaient à travers le monde: elles doivent surmonter des préjugés et des mouvements d’impatience.
Je reçois régulièrement des courriels ou des messages sur les réseaux sociaux en provenance du continent africain (Maroc, Tunisie, Côte d’Ivoire, Sénégal, Congo, etc.), de parents ou de personnes qui bégaient et qui ont cherché en vain à obtenir du soutien dans leur pays. Étant donné que les maladies mortelles sont difficilement prises en charge par leur gouvernement, vous imaginez bien que des troubles comme le bégaiement ne retiennent guère l’attention des pouvoirs publics. C’est la triste réalité à laquelle font face trop de bégayeurs africains: intimidation, préjugés, absence de ressources, stigmatisation, perspectives d’emploi perdues, moqueries de la part du personnel enseignant, scolarisation en classe spécialisée ou dans un institut pour enfants handicapés. Dans plusieurs régions du continent africain, les enfants bègues sont considérés comme des sorciers; de plus, les orthophonistes manquent d’équipement et n’ont pas accès à de la formation continue sur le bégaiement, trouble qui continue de faire l’objet de nombreuses études à travers le monde et pour lequel les découvertes sont en pleine effervescence.
Bien que le portrait soit moins sombre au Canada, il n’en demeure pas moins que les personnes qui bégaient connaissent souvent un parcours semé d’embûches. J’ai rencontré des enfants qui ont échoué leur exposé oral en classe en raison de leur bégaiement ou qui ont été victimes d’intimidation à l’école, et même des adultes qui se sont sentis contraints à réorienter leur carrière ou leur choix d’études en raison de leur trouble de la parole.
Pour la majorité des gens, parler est un acte tout simple auquel ils n’ont pas besoin de penser. Mais pour les personnes qui bégaient, s’exprimer verbalement peut s’avérer beaucoup moins facile et il arrive même que leur trouble d’élocution les amène à renoncer à leur droit de parole.
Les enfants, adolescents et adultes1 bègues forment une grande partie de la clientèle que je rencontre en clinique ou par téléorthophonie (traitement par visioconférence). Ces dernières années, ils m’ont inspirée dans la rédaction de cet ouvrage par leurs questions, leurs témoignages, leurs doutes, leurs inquiétudes et leurs histoires.
Le bégaiement a déjà fait l’objet de multiples ouvrages, mais on en trouve peu qui s’adressent aux parents et aux intervenants sans adopter un angle alarmiste où le bégaiement est systématiquement vu comme une souffrance. Grâce à ma formation et à mon expérience personnelle et professionnelle, je souhaite vous apporter un nouvel éclairage sur le sujet, avec une vision originale, des propos vulgarisés et accessibles ainsi que des exemples relatifs à différentes situations. En effet, le sujet est loin d’être épuisé. Ce livre se veut éducatif et convivial, porteur d’informations fouillées et de stratégies pratiques, applicables au quotidien pour amener les enfants, les adolescents et les adultes qui gravitent autour d’eux à bien vivre avec le bégaiement. Que votre enfant bégaie depuis peu ou depuis plusieurs années, que vous soyez un parent ou un professionnel œuvrant auprès d’enfants bègues, vous avez un rôle clé à jouer. Non, vous ne trouverez pas dans cet ouvrage de «recettes» toutes faites pour éliminer le bégaiement en quelques jours (comme le proposent beaucoup trop de sites Web), mais vous y trouverez certainement des réponses à vos questions concernant des situations particulières. Je vous invite à mieux comprendre le bégaiement pour savoir mieux vous y prendre!
1.L’emploi du masculin pour désigner des personnes n’a d’autres fins que celle d’alléger le texte.
INTRODUCTION
«Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d’entendre, ce que vous croyez entendre, ce que vous entendez, ce que vous avez envie de comprendre, ce que vous comprenez, il y a dix possibilités qu’on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même.»
Bernard Werber
Qu’ont en commun Aristote, Winston Churchill, Albert Einstein, Marilyn Monroe, Isaac Newton, Jean-Jacques Rousseau, Tiger Woods et Bruce Willis? Ces célébrités ont toutes bégayé. Selon les plus récentes recherches dans le domaine, jusqu’à 10% de la population présenterait un bégaiement à un moment ou à un autre de la vie, particulièrement durant l’enfance, et ce problème d’élocution persisterait chez 1% des gens. Pourtant, le bégaiement demeure un phénomène mal compris. Encore aujourd’hui, beaucoup de préjugés sont associés à ce trouble de la communication. Bien que pratiquement tout le monde connaisse ou ait été amené à interagir avec quelqu’un qui bégaie, on parle très peu du bégaiement dans les médias, contrairement à d’autres problématiques auxquelles le public est de plus en plus sensibilisé, comme l’autisme ou le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). En 2011, la sortie du film oscarisé Le discours du roi (The King’s Speech), qui raconte l’histoire vraie et méconnue de l’arrivée au pouvoir du roi d’Angleterre George VI (père de la reine Elizabeth II), de son combat contre le bégaiement et de son amitié avec son orthophoniste aux méthodes atypiques, a ravivé l’intérêt de la population pour ce trouble de la parole qui reste bien mystérieux.
Un petit
plus
L’orthophonie est un domaine très vaste qui concerne tout ce qui touche de près ou de loin à la communication humaine. L’orthophoniste est la professionnelle2 qui, par différents moyens, prévient, évalue et traite les troubles de la communication, du langage oral et écrit, de la parole, de la voix et de la déglutition.
›Langage: Le langage représente un ensemble de codes et de conventions qui sont partagés par un groupe et qui permettent à ses membres de se comprendre. Le langage utilise un système conventionnel de symboles arbitraires pour partager des idées, des besoins, des expériences, des informations ou des sentiments. Chez l’humain, c’est un système abstrait qui inclut la connaissance du sens des mots et la capacité à organiser ces mots en phrases. Les phrases se combinent dans la conversation pour exprimer différents propos. Les troubles du langage les plus souvent rencontrés sont le trouble développemental du langage (anciennement appelé «dysphasie»), la dyslexie, la dysorthographie et l’aphasie.
›Voix: Si nous sommes capables de produire un large éventail de sons, c’est grâce à l’interaction de plusieurs structures de notre corps, notamment nos muscles respiratoires, nos cordes vocales, notre larynx, de même que les différentes cavités de la gorge et du visage. C’est le larynx qui produit les sons grâce aux cordes vocales, qui se trouvent au sein de ce dernier. Ensuite, les muscles respiratoires donnent de l’intensité à ces sons, alors que les structures de la gorge et du visage donnent à la voix son timbre particulier. Les principaux troubles de la voix sont la dysphonie et l’aphonie. Dans le cas de cette dernière, la voix est réduite à un chuchotement et devient à peine audible. Quant à la dysphonie, elle correspond à une modification de la voix, qui peut devenir enrouée, cassée, plus grave, plus aiguë.
›Parole: Elle est le moyen de concrétiser ou d’actualiser le langage. Elle représente la façon dont nous utilisons notre voix et le langage pour nous exprimer. Il faut faire vibrer les cordes vocales et bouger plusieurs muscles de la bouche et de la langue pour produire la parole. On pourrait vulgariser en disant que la parole, c’est l’étape où les muscles se coordonnent pour nous permettre de prononcer les mots. La parole n’est pas nécessaire pour produire le langage: on peut utiliser le langage écrit et le langage des signes pour exprimer un nombre infini de choses. La parole nous permet d’exprimer nos pensées et nos émotions grâce à la coordination des muscles responsables de la prononciation. Les problèmes d’articulation ou de fluidité (à l’instar du bégaiement) lorsqu’on parle sont des troubles de la parole.
›Déglutition: Il s’agit de l’action d’avaler, que ce soit pour les aliments solides ou liquides, ou pour la salive.
L’orthophoniste peut être amenée à travailler dans différents milieux du secteur de la santé ou de l’éducation et intervient auprès d’individus de tous âges. Dans certains cas, le travail en orthophonie s’intègre à une intervention multidisciplinaire et l’orthophoniste fournit ses références aux professionnels appropriés. Elle agit pour favoriser l’intégration sociale, scolaire ou professionnelle des individus ainsi que leur participation sociale. Elle favorise ainsi la réalisation des habitudes de vie de son patient dans son milieu et participe à l’épanouissement de ce dernier. La clinicienne établit avec son patient des objectifs à atteindre en regard des difficultés qu’il rencontre dans son quotidien. S’ensuit alors une série de thérapies qui ont pour objectif d’améliorer ses capacités de communication et les aptitudes sociales qui y sont liées. L’orthophoniste peut également déterminer différentes stratégies avec le patient et son entourage, toujours dans le but de pallier les incapacités et les difficultés de la personne.
Tout au long de votre lecture, vous découvrirez que, comme le dit si bien Laurent Lagarde, auteur du blogue Goodbye Bégaiement! Conseils pour en sortir, le bégaiement de votre enfant ou de votre adolescent n’est pas une faute, encore moins votre faute ou la sienne. Mais qu’est-ce qui cause le bégaiement? Quand et qui consulter? Comment aider votre enfant ou votre adolescent qui bégaie? Comment faire en sorte que le bégaiement ne sème pas d’embûches dans son parcours scolaire? Comment intervenir en tant que parent, proche, éducateur ou enseignant pour favoriser la fluidité de la parole? Comment traite-t-on le bégaiement, de la petite enfance à l’adolescence? Quelles sont les approches orthophoniques qui ont fait leurs preuves? Quelles sont les meilleures stratégies à mettre en pratique quand on communique avec une personne qui bégaie?
Un petit
plus
Lorsque vous écoutez quelqu’un parler, il y a de fortes probabilités que vous portiez davantage attention au contenant qu’au contenu. Selon certaines recherches en psychologie, les éléments les plus importants dans la communication, c’est-à-dire ceux qui ont le plus d’impacts, sont nos gestes et le ton de notre voix. En effet, la communication se divise en communication verbale (45%) et non verbale ou langage corporel (55%). Dans la communication verbale, l’intonation vocale compte pour 38% alors que le sens des mots ne pèse que de 7% dans la balance.
Nombreux sont les parents et les professionnels du milieu de la santé et de l’éducation qui se posent des questions au sujet du bégaiement. Celui-ci n’est pas une fatalité et de nos jours, il existe des traitements en orthophonie qui permettent soit d’éliminer ce trouble du langage durant la petite enfance, soit de permettre à l’enfant d’âge scolaire ou à l’adolescent de le contrôler, de l’apprivoiser et de mieux vivre lui. Ce livre concis se veut un outil d’intervention éducatif et accessible qui combat les idées reçues sur le bégaiement. Il fournit des exemples et des conseils concrets pour intervenir, répond aux principaux questionnements des parents et éclaire les enseignants, éducateurs et autres intervenants en petite enfance ou en milieu scolaire œuvrant auprès d’enfants ou d’adolescents qui bégaient, et ayant le souci de faciliter la communication avec eux.
Un petit
plus
Le 22 octobre est la journée mondiale du bégaiement, qui a pour but d’informer et de sensibiliser le grand public à ce trouble de la parole. À cette occasion, plusieurs associations qui s’impliquent dans la cause du bégaiement à travers le monde organisent des activités spéciales pour leurs membres et la population, à l’instar de l’Association des bègues du Canada (ABC), qui propose une journée-rencontre annuelle à Montréal. Le programme de cette journée comprend des conférences et se conclut par une session à micro ouvert durant laquelle les participants peuvent relever le défi de s’exprimer librement devant l’auditoire et de partager leurs expériences ou leurs opinions. L’événement ne s’adresse pas seulement aux personnes qui bégaient: les proches, les parents d’enfants qui bégaient, les orthophonistes qui s’intéressent au bégaiement et tous ceux qui ont ce trouble de la parole à cœur sont invités à participer. Paris, Toulouse, Dakar et Bruxelles ne sont que quelques autres exemples de villes où il est possible de participer à des activités spéciales en lien avec la journée mondiale du bégaiement.
Plus précisément, cet ouvrage s’articule autour de cinq points:
›Différencier les hésitations ou disfluidités normales (perturbations de la parole, accrochages au niveau du discours) du bégaiement réel;
›Démystifier le bégaiement et déboulonner les mythes qui l’entourent;
›Avoir une vue d’ensemble des approches de traitement du bégaiement et de leur efficacité chez les enfants et les adolescents;
›Mettre en pratique des stratégies simples pour faciliter la communication avec une personne qui bégaie et favoriser la fluidité durant les échanges;
›Amener l’enfant ou l’adolescent, de même que ses proches, à bien vivre avec le bégaiement en leur fournissant des outils concrets.
Bonne découverte!
2.L’orthophonie est une profession essentiellement féminine. Le terme est donc féminisé dans cet ouvrage pour refléter la représentation dominante des femmes en orthophonie, mais il englobe également le genre masculin.
Chapitre 1
BÉGAIEMENT
ou hésitations normales?
«Il ne suffit pas de parler, il faut parler juste.»
William Shakespeare
Lorsque les personnes qui bégaient parlent de leur trouble d’élocution autour d’elles, il n’est pas rare qu’elles se fassent répondre: «Moi aussi je bégaie quand… (remplacez les points de suspension par quelque chose d’anecdotique comme «quand je suis stressé» ou «quand je suis fatigué» ou encore «quand je suis en colère»). Mais s’agit-il vraiment d’un bégaiement? Pas tout à fait. Le bégaiement va au-delà d’une perturbation du rythme de la parole de temps à autre. Tant les personnes qui bégaient que les non-bègues produisent des disfluidités, qui réfèrent à des interruptions involontaires de la parole. Certaines sont jugées normales, d’autres pas. La distinction entre disfluidité normale et bégaiement n’est pas toujours facile à faire.
Quelles sont les manifestations du bégaiement?
Le bégaiement est un trouble d’exécution de la parole ayant une origine neuromusculaire, c’est-à-dire que le trouble concerne les commandes nerveuses des muscles impliqués dans la production de la parole. Il n’affecte pas le langage, qui correspond aux concepts linguistiques nous permettant de formuler nos idées. Ainsi, le bégaiement, contrairement au trouble du langage, n’affecte pas la connaissance du sens des mots, le choix des mots, la capacité à organiser ces mots en phrases ou la façon de combiner ces phrases dans la conversation pour exprimer différents propos. Ce n’est pas la pensée qui «accroche», c’est à la sortie que ça bloque. Les personnes qui bégaient n’ont pas de difficulté à accéder au mot juste et à utiliser un vocabulaire précis. Elles savent pertinemment quels mots et quelle structure grammaticale utiliser, mais les mots sortent difficilement au moment d’articuler les sons. Le bégaiement est davantage un problème d’ordre «mécanique» perturbant la fluidité de la parole.
Le discours de la personne qui bégaie est disfluide et marqué par des interruptions involontaires plus ou moins longues qu’on appelle des moments de bégaiement. Ceux-ci peuvent se manifester sous forme de répétitions de sons, de parties de mots (syllabes) ou de mots, d’allongements de sons, d’ajouts de sons ou de mots superflus, ou encore de pauses ou de blocages. Par exemple, un moment de bégaiement peut survenir lorsqu’il y a un excès de tonicité des muscles du larynx et que ceux-ci se crispent. Les sons ont alors du mal à se former au niveau des cordes vocales. À d’autres moments, le problème peut se situer plus haut, lorsque le muscle de la langue se plaque contre le palais et se bloque au moment de l’émission d’un mot. Il arrive également que les muscles qui entourent les lèvres se contractent, formant ainsi un obstacle au son qui tente de sortir de la bouche. Ainsi, le bégaiement affecte la coordination des organes et des muscles qui sont impliqués dans la production de la parole: les muscles de la respiration, les cordes vocales, la langue, les lèvres, la mâchoire, etc. Les interruptions involontaires de la fluidité de la parole qui en résultent sont perçues comme étant anormales.
Les moments de bégaiement peuvent également être accompagnés de mouvements associés, aussi appelés comportements secondaires: clignements des yeux, hochements ou coups de tête, mouvements des pieds ou des mains, dilatation des narines, ouverture exagérée de la bouche, tremblement ou pression des lèvres, etc. Ces manifestations font partie du problème de bégaiement et constituent souvent des stratégies inefficaces développées avec le temps par la personne pour tenter de se sortir de ses moments de disfluidité. Une tension musculaire peut aussi être présente au niveau du visage ou du cou, comme un serrement au niveau de la gorge.
À partir de l’âge scolaire et particulièrement chez les adolescents, il n’est pas rare que le bégaiement provoque des pensées et des émotions négatives associées ainsi que certains comportements d’évitement. Après avoir traîné le bégaiement avec eux pendant de nombreuses années, plusieurs enfants et adolescents ont accumulé des situations d’échec sur le plan de la communication, de sorte qu’ils souffrent d’un manque de confiance et évitent de s’exprimer dans des contextes où le bégaiement est susceptible de se manifester davantage: prendre la parole devant un groupe, parler au téléphone ou parler à une personne inconnue, par exemple. L’évitement peut aussi concerner les mots ou les sons choisis. En effet, les personnes qui bégaient depuis longtemps sont souvent capables d’anticiper les moments de bégaiement et savent à l’avance qu’elles risquent de buter davantage sur un son ou un mot en particulier. Ainsi, elles peuvent avoir recours à des synonymes plus faciles à prononcer au moment d’exprimer leur pensée, ou aller au plus court dans la formulation employée.
Comment se développe le bégaiement et comment le détecter?
Le bégaiement apparaît habituellement entre 2 et 4 ans et touche quatre fois plus de garçons que de filles pour une raison obscure. Il est plutôt rare que le bégaiement se produise dès l’apparition des premiers mots. Il se développe le plus souvent avec la complexification du langage, quand l’enfant fait des phrases plus longues, qu’il est en mesure d’expliquer ou d’élaborer ses idées. Dans 95% des cas, le bégaiement se manifeste avant l’âge de 7 ans. On peut donc affirmer que le bégaiement est un trouble qui se déclenche pendant l’enfance et rarement à l’âge adulte. S’il se déclenche à l’âge adulte, les causes ne sont pas les mêmes.
Pour détecter un éventuel bégaiement chez l’enfant, l’adulte doit prendre en considération l’hésitation normale. Tous les locuteurs, c’est-à-dire les personnes qui parlent, produisent des disfluidités. C’est surtout le cas des jeunes enfants. Chez la majorité des locuteurs, les disfluidités sont peu fréquentes et considérées comme étant normales. De nombreux parents s’interrogent et s’inquiètent lorsque leur enfant d’âge préscolaire semble bégayer. De 2 à 6 ans, il peut arriver que les tout-petits répètent des mots entiers dans une même phrase, car ils apprennent tout simplement les règles du langage. Ce dernier se développe doucement et l’apprentissage de certains mots ou sons peut être difficile. Il est aussi nécessaire de prendre en considération le fait que l’enfant dispose d’un vocabulaire moins riche qu’un adulte et qu’il aura donc tendance à utiliser souvent les mêmes mots. Enfin, de nombreux enfants souhaitent imiter les adultes en s’exprimant avec un rythme régulier, et pour cela, il leur arrive de mélanger les syllabes, d’ajouter des sons ou des mots ou encore de recommencer leurs phrases pour corriger leurs erreurs. Soucieux de bien faire, les enfants en bas âge formulent parfois le reste de leurs phrases dans leur tête et répètent le dernier mot en même temps qu’ils réfléchissent. Ce sont donc des hésitations normales. À l’âge préscolaire, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’enfant hésite. Ce phénomène prend le plus souvent fin sans l’intervention d’un spécialiste. L’hésitation normale, tant chez l’enfant que chez l’adulte, peut survenir en cas de fatigue, de surexcitation, de tristesse, de stress, etc. Il nous arrive à tous, par moment, d’avoir du mal à exprimer clairement nos idées.
Un petit
plus