Rédaction de Marie-Thérèse Guettab d’après une première traduction orale de Georges Dreyfus
Titre de l’édition originale anglaise : Treasury of Dharma
Tharpa Publications 1988, ISBN 0-948006-04-8
Première édition française 1997
© Edition Rabten
e-mail: info@editionrabten.com
www.rabten.eu/xvCatalog_fr.htm
Composition : Edition Rabten
Photographies : Ruedi Hofstetter;
Photographie de Guéshé Rabten : Gonsar Rimpoché
Couverture : Edition Rabten
ISBN 3-905497-12-3
eBook Herstellung: Edition Rabten
eBook: ISBN 978-2-88925-073-8
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Ce texte est le compte-rendu de deux sessions d’enseignements dispensés en 1974, à Rolle (Suisse), par le Vénérable Guéshé Rabten, sur l’invitation de quelques-uns de ses disciples occidentaux, et en particulier de Madame Ansermet qui assura l’essentiel de l’organisation de cet événement qui compte parmi les tous premiers exposés approfondis du Bouddhisme tibétain en Europe.
Je souhaite, à travers ces lignes, rédigées à la demande du Vénérable Gonsar Tulkou Rimpoché, exprimer ma gratitude envers le Vénérable Guéshé Rabten dont les qualités exceptionnelles, vivantes illustrations de ses enseignements, ont fait naître en moi l’inébranlable conviction en l’aptitude de chacun à développer son esprit.
Puisse ce livre être un guide transmettant le rayonnement de sa sagesse et perpétuant son oeuvre d’amour et de compassion.
Je tiens également à remercier tous ceux qui m’ont aidée dans la réalisation de ce travail; tout d’abord, Georges Dreyfus pour sa traduction initiale, le Vénérable Gonsar Tulkou Rimpoché pour les précisions qui semblaient nécessaires au respect de l’authenticité de la transmission, Elisabeth Brun d’Aubignosc, Catherine Pedron, Pierre Arenes, Suzanne Cornillac pour leurs corrections ou suggestions et Sylvie Chapeyrou pour l’impression du manuscript.
Marie-Thérèse Guettab
Quelques pierres précieuses ne font pas un trésor. Un trésor, c’est une profusion de joyaux, d’objets et de métaux précieux dont le propriétaire peut jouir tout à loisir. Ce livre est semblable au réceptacle d’un trésor. Parce qu’il renferme les points essentiels de la pratique du Dharma (les enseignements du Bouddha), il est plus précieux qu’un amoncellement de centaines et de milliers de joyaux.
Celui qui posséderait un diamant de la grosseur d’une tête pourrait, en l’exploitant intelligemment, se mettre à l’abri de la pauvreté et satisfaire tous ses besoins matériels, se vêtir, se nourrir, se loger... Mais le bonheur qu’il pourrait en tirer serait, de toutes façons, limité. En outre, la possession de ce bien précieux entraînerait à sa suite une cohorte d’expériences indésirables liées à la crainte de le perdre, d’en être dépossédé par des voleurs, d’être attaqué par des malfaiteurs... En revanche, une seule parcelle du précieux Dharma ne nous comblera pas seulement de bienfaits temporaires, mais nous procurera un bonheur définitif.
Le Bouddha a clairement enseigné que les êtres vivants ne pouvaient trouver la racine, la cause profonde et essentielle du bonheur et de la souffrance, qu’en leur propre esprit et non à l’extérieur. Certes, de nombreux objets extérieurs, animés ou inanimés opèrent en tant que conditions de notre bonheur et de notre souffrance; toutefois, la principale cause de ces derniers réside dans nos états d’esprit vertueux ou non vertueux. Lorsque des facteurs mentaux tels que l’ignorance, l’égoïsme, la cupidité, la haine, l’orgueil, la jalousie prennent violemment possession de notre courant de conscience, au lieu de la paix et du bonheur auxquels nous aspirons, ils engendrent des problèmes et des souffrances interminables, pour nous-mêmes et pour autrui. Dès lors, les conditions extérieures, même les plus favorables en apparence, nous deviennent hostiles. Mais lorsque la satisfaction, le contentement, l’altruisme, la patience, l’amour, la compassion, la sagesse sont puissamment établis en l’esprit, même les conditions adverses sont transformées en agents favorables et sont sources de bienfaits et de joies infinis pour soi-même et pour autrui.
Ceci n’est ni un dogme, ni une théorie, ni une hypothèse philosophique, mais le fondement en est établi par l’expérience directe. Par conséquent, il est extrêmement important d’engager en soi-même un processus de transformation positive en reconnaissant les causes profondes du bonheur et de la souffrance. Dans la mesure où elles ne font pas partie intégrante de la nature de l’esprit lui-même, il est possible d’éliminer totalement toutes ces imperfections, quelle que soit leur apparente gravité. C’est par ailleurs un fait que les indispensables qualités de l’esprit, si infimes soient-elles, peuvent être développées à l’infini par des méthodes appropriées. Ces méthodes élaborées constituent l’essence des enseignements du Bouddha pleinement éveillé. Le Bouddha a enseigné à tous les êtres la manière d’atteindre la libération de toute souffrance et de réaliser un bonheur durable en leur montrant les méthodes à appliquer pour développer leur esprit.
Globalement, la totalité des enseignements du Bouddha est comprise dans le Tripitaka, ce que l’on traduit par les Trois Corbeilles, encore accessible de nos jours sous la forme d’une collection de plus de cent volumes connue en tibétain sous le nom de Kagyour (bka-igyur). Ces Ecritures sont hautement révérées et font l’objet d’études exhaustives dans les monastères bouddhistes. Toutefois, parce qu’elles sont aussi profondes que les océans et aussi vastes que l’espace, de nos jours, beaucoup de gens se trouvent limités dans leurs capacités intellectuelles, leur détermination, leur persévérance et par le temps; il leur est difficile de les étudier de manière approfondie, de les comprendre, et encore plus de les mettre correctement en pratique.
Dans ces conditions, on ne peut se passer d’instructions indiquant de quelle manière un individu peut concentrer et mettre en pratique dans son courant de conscience l’entière essence des enseignements du Bouddha. De telles instructions ne peuvent être purement et simplement inventées ou interprétées selon les besoins par quelque habile beau-parleur. Elles doivent provenir d’un Maître authentique qui possède, d’une part, la sagesse née d’une analyse approfondie de ces enseignements, écartant toute invention personnelle et vue incorrecte, et qui, d’autre part, en les intégrant totalement à son esprit et en les mettant en pratique, ait fait naître en lui une solide réalisation. En outre, de telles instructions doivent être transmises dans un esprit de compassion à l’égard des êtres vivants et ne doivent être motivées ni par l’appât du gain ni par le désir de renommée.
Ces véritables Maîtres sont généralement très rares et les écrits composés par des êtres si exceptionnels le sont tout autant. Chaque jour, nous voyons apparaître une littérature toujours plus abondante qui prétend traiter du Dharma, mais n’en a que l’apparence. Ces ouvrages, dépourvus de la véritable essence du Dharma ne contiennent, en fait, que des bavardages oisifs qui séduisent les lecteurs en abusant de leur naïveté. En pareille époque, la publication de si précieuses instructions réunies sous la forme d’un livre est indubitablement une oeuvre dont les bienfaits sont illimités.
L’auteur de cet ouvrage est notre grand Maître, le Vénérable Guéshé Rabten Rimpoché qui fut non seulement un Pandit d’une extraordinaire érudition, mais également un Siddha hautement réalisé. Il incarnait la compassion et fut un refuge insurpassable pour cette vie et les suivantes pour d’innombrables êtres, y compris moi-même.
Il naquit à Dargye, au Tibet oriental, en 1921 et partagea les tâches familiales jusqu’à l’âge de dix-neuf ans. Puis, de son propre chef, il choisit le renoncement d’une vie monastique. Il intégra la plus prestigieuse université monastique du Tibet, Sera Thekchenling, et commença ses études au Collège de Sera Djé. Sous la conduite de ses Maîtres, le Vénérable Guéshé Djampa Khedrup notamment, se consacrant à l’étude, à la contemplation et la méditation, il acquit une parfaite maîtrise de l’ensemble des enseignements du Dharma réunis dans les Trois Véhicules et les Quatre Classes de Tantras. Au monastère et à l’extérieur, il était connu pour son ardeur à l’étude, réputé comme adversaire imbattable dans les débats philosophiques et renommé pour sa piété à la pratique et ses qualités insurpassables de Maître. Intégrant ses connaissances intellectuelles à sa pratique méditative, il parvint à la profonde réalisation de la véritable nature des phénomènes et acquit les compétences nécessaires à l’accomplissement de tout bien, pour soi-même et pour autrui.
Attirés par toutes ces qualités, nombreux furent ceux qui, en quête de Dharma, devinrent ses disciples lorsqu’il s’exila en Inde et, plus tard, en Occident. Bon nombre d’entre eux sont devenus aujourd’hui d’éminents Maîtres qualifiés. Je n’en citerai que quelques-uns connus en Occident, dont Lama Thupten Yeshe, Lama Zopa Rimpoché, Guéshé Karyang, Guéshé Tenzin Gonpo, Guéshé Pemba, Guéshé Thupten Trinley, Guéshé Thupten Ngawang... et bien d’autres encore de grand renom en Inde et au Tibet. Ses qualités remarquables étaient reconnues et appréciées, non seulement par ses disciples mais aussi par les grands Maîtres de notre temps, tels que Sa Sainteté le Dalaï-Lama et ses deux éminents précepteurs, en particulier le second précepteur de Sa Sainteté, Kyapche Tridjang Dordjé Tchang, qui le considérait comme l’un de ses plus proches fils spirituels, de même que Guéshé Rabten Rimpoché voyait en ce dernier son principal Gourou, son père spirituel, personnalisation de tous les objets de refuge.
En 1964, Sa Sainteté le Dalaï-Lama, parmi plusieurs centaines de Guéshés, choisit Guéshé Rimpoché ainsi que le Vénérable Lati Rimpoché pour nouveaux Tsen Shap (assistants de philosophie). En 1969, pour répondre aux souhaits de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, Guéshé Rimpoché commenca à donner des enseignements aux Occidentaux à Dharamsala. En 1974, invité par Mme. Ansermet et plusieurs autres disciples, il vint en Europe pour la première fois. Il y enseigna alors le Dharma dans de nombreux pays, ouvrant ainsi à cette partie du monde la grande porte du Dharma. Il y revint l’année suivante, envoyé par Sa Sainteté le Dalaï-Lama comme abbé de l’Institut Monastique Tibétain de Rikon (Suisse), pour combler les aspirations spirituelles des Occidentaux et des Tibétains vivant en Europe. Face au nombre croissant de personnes sérieusement intéressées par l’étude approfondie et la pratique du Bouddhisme, il vint à fonder le Centre de Hautes Etudes Tibétaines, Tharpa Choeling au Mont-Pèlerin en Suisse, le Centre de Tashi Rabten à Feldkirch en Autriche, le Centre Tibétain de Jang Chub Choeling à Hambourg en Allemagne, l’Association Phuntsog Rabten à Munich en Allemagne et le Centre Ghe Phel Ling à Milan. Ces centres et monastères sont devenus des pôles d’attraction pour toutes celles et ceux qui aspirent à étudier sérieusement un Dharma authentique. Cela aussi est le fruit de son infatigable dévouement à la seule cause des enseignements du Bouddha et du bien des êtres pour laquelle, jusqu’à la fin de sa vie, il fit inlassablement tourner la roue du Dharma. Pour toutes ces raisons, on peut dire, à juste titre, que Guéshé Rimpoché fut le principal fondateur d’une tradition pure et complète du Dharma en Europe.
Dans la somme incalculable de ses enseignements figure le contenu de ce livre, fruit d’un enseignement qu’il donna en 1974 à Prés de Vert, commune de Rolle, en Suisse. Ce fut un cours de méditation intensif, d’une durée de trois semaines, s’adressant à plus de cent personnes. Ce texte réunit, sans exception, tous les points essentiels du Dharma exposés à la lumière de sa propre expérience et présentés de façon extrêmement claire et compréhensible du fait de son immense compassion et de sa grande habileté. Telles étaient, en effet, les qualités notoirement connues de ses enseignements, indubitablement porteurs de lumière en l’esprit de ceux qui éprouvent un intérêt sincère pour le Dharma. Le lecteur pourra en juger par lui-même. Cet exposé fut tout d’abord traduit oralement du tibétain en français par M. Georges Dreyfus puis transcrit et admirablement rédigé par mon amie dans le Dharma, Marie-Thérèse Guettab, l’une des anciennes élèves de Guéshé Rimpoché. Grâce à son travail, d’innombrables lecteurs pourront bénéficier de cet enseignement. C’est là, sans aucun doute, une manière de servir notre Maître en satisfaisant ses voeux, tant pour le Dharma que pour le bien des êtres. Je tiens à lui exprimer mes plus vifs remerciements.
Celui qui garde sur son coeur les précieux joyaux tirés de ce trésor n’en sera jamais dépossédé. Ils feront rayonner sur lui-même et sur autrui une lumière de bienfaits et de bonheurs incommensurables.
Je conclus cette préface avec mes prières pour la longue vie du Vénérable Tenzin Rabgye Rimpoché, si cher à notre coeur, jeune réincarnation de l’auteur de ce livre, notre Maître bien-aimé, le Vénérable Guéshé Rabten Rimpoché.
Gonsar Tulkou
Le Mont-Pèlerin, Suisse
Avril 1997
Je suis très heureux de vous voir tous rassemblés ici. Notre rencontre d’aujourd’hui, résultat de notre intérêt commun pour le Dharma, est très certainement le fruit de relations que nous avons établies dans le passé.
Durant ces prochains jours, malgré le temps limité dont nous disposons, nous allons tenter d’acquérir quelque expérience dans le domaine des enseignements du Bouddha. Tout individu est une combinaison du corps, de la parole et de l’esprit. Toutefois, c’est essentiellement notre esprit qui sera sollicité ici.
Pendant toute la durée de ce cours, nous vivrons en collectivité et il est bon que nous adoptions une certaine discipline. D’habitude, nous parlons beaucoup, souvent à tort et à travers, de choses sans grande importance. Maintenant, nous voulons pratiquer le Dharma et la méditation. Et pour ce faire, nous allons essayer de réduire le flot de nos propos et réserver nos paroles à des discussions en rapport avec le Dharma ou au règlement nécessaire de questions pratiques. Lorsque nous recevons un enseignement, nos bavardages habituels sont sans incidence immédiate, mais lorsque nous voulons méditer sur ce que nous avons entendu, ils font obstacle à la réalisation recherchée.
Nous sommes habituellement libres de nos mouvements; mais pour l’occasion, nous éviterons les déplacements inutiles. Les internes sont invités à ne pas quitter la propriété; les externes, en rentrant chez eux le soir, limiteront leurs allées et venues et leurs activités à l’indispensable. En effet, la dispersion en déplacements et travaux divers empêcherait la réalisation du résultat de la méditation. Nous devrons appliquer cette même discipline à nos activités mentales. D’innombrables pensées (projets, préoccupations en tout genre, réflexions et supputations diverses) envahissent généralement notre esprit. Pour ces quelques jours que nous allons consacrer à la méditation, tâchons d’écarter toutes ces idées qui n’ont aucune relation avec le Dharma afin d’être totalement centrés sur les pratiques que nous allons effectuer ici. C’est seulement si notre corps, notre parole et notre esprit sont associés dans la concentration que nous pourrons espérer des résultats.
Vous êtes tous venus pour écouter le Dharma et j’en suis très heureux. Durant le temps que nous allons passer ensemble, efforcez-vous d’être bienveillants les uns envers les autres et faites régner en vous le calme et la tranquillité car le Dharma a pour but de répandre la paix et l’harmonie.
Il serait préférable que vous vous absteniez de fumer, au moins dans les chambres et dans la salle de méditation.
Enfin, faites en sorte que toute votre énergie soit consacrée à la pratique; vous en tirerez un plus grand bénéfice, même sur une période aussi courte, et le temps passé aura été utilisé à bon escient.
Je donnerai des enseignements chaque jour. Il est possible que certains d’entre vous, pour qui ce domaine est entièrement nouveau, éprouvent des difficultés de compréhension. Ne laissez pas de côté les points qui vous paraissent obscurs. Notez-les et nous pourrons revenir ensemble sur ces questions. J’espère que vous prenez des notes. Pensez à les relire et consacrez-y de longues réflexions.
L’étude du Dharma requiert trois qualités particulières. Soyez le moins distraits possible. Si vous regardez tout autour de vous et que vous suivez toutes les pensées qui se présentent à votre esprit, il est certain que vous n’arriverez pas à comprendre l’enseignement. Si nous retournons une tasse, quelle que soit la quantité d’eau que nous y versons, le liquide ne pourra être gardé. L’enseignement reçu par un auditeur distrait se perdra de la même façon. Lorsque vous écoutez attentivement et que vous saisissez bien le sens de ce qui vous est exposé, efforcez-vous de ne pas l’oublier. Repensez-y souvent. Ne le laissez pas se perdre, mais faites en sorte de retenir ce que vous avez appris. Ne soyez pas comme une tasse percée qui conserve le liquide très peu de temps ou qui ne retient rien du tout. La pratique du Dharma a pour but d’éliminer la souffrance, celle du corps et celle de l’esprit. Elle ne doit pas être détournée vers l’obtention de gains, la jouissance d’une bonne réputation ou vers d’autres objectifs mondains. Il est important de suivre les enseignements avec la motivation appropriée : se libérer de la souffrance. Les élèves doivent donc réunir trois qualités : être attentifs aux enseignements, les retenir et posséder une juste motivation. De son côté, le Maître doit voir les disciples comme des malades, se voir comme un médecin et considérer le Dharma comme un remède. Les disciples, quant à eux, sauront qu’ils sont pareils à des patients atteints d’un mal profond et en quête de guérison.
Dans la première partie de ce cours, je traiterai de ce qui est appelé les Quatre Nobles Vérités, à savoir la Vérité de la Souffrance, la Vérité de l’Origine de la Souffrance, la Vérité de la Cessation de la Souffrance et la Vérité du Chemin. Je parlerai ensuite du Mahayana, le Grand Véhicule. Cet enseignement se veut non dogmatique. Il est destiné à agir sur notre esprit avec profit.
Cette introduction m’a permis de vous donner quelques indications sur la discipline générale à suivre.
Bouddha Chakyamouni
Fondateur du Bouddhisme. Cette Photo représente la statue principale du grand temple de Rabten Choeling.
Djé Tsong Khapa
Un marchand, disciple de Djé Tsong Khapa, trouva miraculeusement dans un lac une statue de son maître dont il fit faire un moule que Djé Tsong Khapa bénit personnellement. S’adressant à son disciple, il dit: ô Marchand, ceci est une action vertueuse. Depuis lors, les statues confectionnées à partir de ce moule, comme celle qui est représentée ici, sont appelées Tsong Peune Guéleg (le marchand vertueux). Elles sont rares et particulièrement vénérées au Tibet.
Vénérable Guéshé Rabten Rimpoché
Vénérable Rabten Tulkou Rimpoché
Réincarnation du Vén. Guéshé Rabten, né en 1987 dans le Nord de l’Inde. Il vit actuellement en Suisse avec le Vén. Gonsar Rimpoché.
Tous les êtres vivants de la planète, humains ou animaux, sont continuellement affairés. Nous n’avons pas besoin d’amples explications pour faire le constat de cette agitation perpétuelle physique, verbale et mentale propre aux êtres humains. A priori, cet état de chose nous paraît normal; il nous semble qu’il ne peut pas en être autrement. Mais prenons la peine de nous interroger à ce sujet.
Toutes ces activités sont orientées vers la recherche et l’obtention du bonheur, vers l’élimination de la souffrance. En termes simples, nous recherchons ce qui est plaisant et fuyons ce qui est déplaisant. Nous assimilons habituellement la notion de bonheur à ce qui est plaisant et celle de souffrance à ce qui est déplaisant. Tous les êtres vivants, jusqu’au plus petit insecte, veulent éviter la souffrance, qu’ils soient ou non capables de prononcer ce mot. Nous savons bien que les animaux vont vers la chaleur lorsqu’ils ont froid et cherchent l’ombre, la fraîcheur, lorsqu’ils ont chaud. Et nous, les êtres humains, faisons de même, quelles que soient notre race, notre position sociale, que nous parlions ou non de souffrance, nous travaillons sans cesse à l’éviter. Nous sommes également identiques aux animaux du point de vue de notre recherche du bonheur. Les animaux, du plus petit au plus grand, cherchent ce qui leur est plaisant, que ce soit à boire ou à manger, etc. Il n’y a aucune difficulté à observer cela. C’est une évidence. De même, les humains veulent toujours plus de bonheur. Lorsque l’un de leurs désirs est comblé, il leur faut un autre bonheur, puis un autre, puis encore un autre. Et jamais ils n’ont de satisfaction. Obtenir le bonheur et éviter la souffrance : là peut se résumer la raison d’être de toutes nos activités, de nos travaux, du mouvement, de l’agitation dans lesquels nous sommes impliqués. Tous, humains ou animaux, sommes mûs par ce même objectif : éliminer la souffrance et trouver le bonheur; et cette aspiration est légitime. Tout le monde peut comprendre cela avec tant soit peu de réflexion. Cette observation appelle pourtant une analyse approfondie.
Il existe plusieurs sortes de souffrances qui peuvent se répartir en trois niveaux distincts :
1 La souffrance de la souffrance
Le premier est appelé la souffrance de la souffrance. Il est constitué par ce qui est communément désigné par le terme souffrance et reconnu comme tel : douleur physique, maladie, souffrance morale (tristesse, souci, inquiétude, déception...). C’est cette première forme de souffrance que nous cherchons à éliminer de toutes nos forces, par le corps, la parole et l’esprit, et les animaux en font autant. L’homme dispose cependant de moyens supérieurs, grâce à son intelligence, à sa faculté de penser, d’analyser, de réfléchir, qui lui permet de prévoir le long terme et de ne pas se limiter à l’instant présent. L’animal, lui, peut seulement remédier à ses souffrances du moment, ou prévenir leur échéance à très court terme. Il est incapable de planifier, de travailler pour le futur. Sachant que notre supériorité d’être humain réside dans notre faculté de penser, nous devrions faire de notre esprit le meilleur usage possible. Mais de quelle manière ? En l’appliquant à la mise en oeuvre d’actes propres à éliminer nos souffrances présentes et à venir, pour cette vie et les suivantes.
A certains moments de l’existence, cette souffrance manifeste semble s’apaiser, par exemple lorsqu’un traitement médical approprié chasse la maladie et que nous recouvrons la santé. Pourtant, ce n’est pas ainsi que nous repousserons la souffrance pour toujours. C’est uniquement par la pratique de ce qu’on appelle le Dharma. Si nous persistons dans la manière de vivre qui a été la nôtre jusqu’à aujourd’hui, sans chercher à dépasser nos conceptions et nos comportements, jamais nous n’atteindrons une libération de nos maux qui soit totale et définitive. Nous n’aboutirons qu’à des accalmies momentanées. Nous savons bien qu’en continuant d’user des mêmes méthodes, nous n’éliminerons pas véritablement la souffrance. Quand le corps est tranquille, c’est l’esprit qui est perturbé. Et quand les problèmes de l’esprit sont résolus, ceux du corps se réveillent... Nous sommes presque toujours plongés dans ces souffrances, et les trêves ne sont que provisoires. De plus, ce qui nous torture mentalement est infiniment plus difficile à supporter que la douleur physique et nous le savons bien. Par conséquent, ce qui est capital, c’est la suppression des tourments de l’esprit. Ceci s’applique de la même façon à la mesure du bonheur : le bonheur de l’esprit est autrement plus puissant, plus intense, plus solide que celui du corps. En effet, nous savons, pour en avoir probablement fait l’expérience, combien les blessures morales affligent les êtres, même s’ils jouissent d’une parfaite santé et que les besoins de leur corps sont satisfaits. Et nous savons aussi qu’un esprit serein supporte beaucoup mieux la maladie et les souffrances physiques. C’est pourquoi, dans la pratique du Dharma, ce qui compte essentiellement, c’est l’esprit, autrement dit, la suppression des souffrances mentales et l’instauration du bonheur de l’esprit. Or, le Dharma n’est autre que l’instrument de ces réalisations.
Des exemples très simples peuvent éclaircir ce propos : supposons que nous soyons très riches, que nous jouissions d’un statut social élevé; s’il n’y a ni paix, ni joie en notre esprit, nous ne serons pas heureux. Cette constatation s’impose d’elle-même lorsque nous observons le domaine de la politique. On peut être ministre, député, président. Mais il est alors très difficile d’être heureux car le métier de politicien est quasiment incompatible avec la sérénité de l’esprit. Il est, au contraire, source de nombreux tracas, donc de souffrances. En revanche, le dénuement matériel, une nourriture insuffisante, le manque de vêtement... ne sauront altérer la tranquillité d’un esprit paisible et content. C’est donc pour obtenir le bonheur et pour éliminer la souffrance, surtout celle de l’esprit, que nous pratiquons le Dharma. Il est le seul moyen d’atteindre ces objectifs.
Vous n’avez sans doute aucune difficulté à comprendre ce premier niveau de souffrance, la souffrance de la souffrance. Elle est ce que nous appelons souffrance : douleur physique ou mentale, maladie, faim, soif, chagrin, dépression, désespoir... Vous en avez tous fait l’expérience et il est inutile de s’y attarder davantage.
2 La souffrance du changement
La signification de la seconde forme de souffrance est beaucoup plus profonde, plus difficile à cerner. Elle est appelée la souffrance du changement. Ce que nous tous, humains et animaux, appréhendons comme étant le bonheur, ce que nous qualifions de bonheur est en fait la souffrance du changement. En effet, tout ce qui nous est agréable ne constitue pas un bonheur parfait, durable, définitif. Nos expériences plaisantes seraient un bonheur véritable si nous pouvions en jouir à l’infini, sans qu’elles se dégradent à aucun moment. Or, nous nous apercevons qu’elles se détériorent progressivement pour se transformer finalement en souffrance. Par exemple, à l’approche des vacances, nous débordons d’enthousiasme à l’idée d’un voyage, d’un séjour à la mer ou à la montagne, lequel représente pour nous un véritable bonheur. En effet, lorsque nous arrivons à la montagne, pour quelques temps, nous nous y sentons bien. Nous sommes heureux. Mais si notre séjour se prolonge, le bonheur initialement éprouvé se modifie, il s’altère petit à petit et devient souffrance. Nous voulons aller ailleurs, faire autre chose. Certains ressentiront, à la longue, un malaise physique, parce que le corps ne supporte pas ceci ou pas cela. Pour d’autres, il s’agira plutôt d’une lassitude de l’esprit. Dans tous les cas, ce bonheur dégénère en souffrance. S’il était un véritable bonheur, il ne devrait cesser de croître à mesure que nous en jouissons. Or, c’est le contraire qui se produit. Si nous avons extrêmement chaud, l’idée de plonger dans l’eau fraîche d’un lac nous ravit et nous serons vivement contrariés par ce qui pourrait entraver la concrétisation de ce qui nous semble être un véritable bonheur. Mais, supposons que nous y allions : pendant quelques instants nous serons heureux, puis nous n’aurons plus envie de rester dans l’eau et nous voudrons en sortir. Il en va de même des richesses, des biens, des positions sociales que nous convoitons. Tant qu’ils ne sont pas en notre possession, nous les considérons comme de réels bonheurs. Les avons-nous obtenus, aux premiers instants tirés de leur jouissance succèdent toutes sortes de tracas : les choses ne se passent pas comme nous le souhaiterions et la souffrance réapparaît.
Ce ne sont pas là des affirmations gratuites, sans fondement. Je n’invente rien. Réfléchissez honnêtement par vous-mêmes. Creusez dans vos expériences personnelles et voyez ce qu’il en est. Jusqu’à présent, toute notre énergie a été mobilisée en vue de ce que nous croyons être le bonheur. Tous nos travaux ont convergé vers la réalisation de ce bonheur... qui n’en est pas un.
Les humains comme les animaux, tous reconnaissent le premier niveau de souffrance, la souffrance de la souffrance. Nous en connaissons les tourments et c’est pourquoi nous cherchons à l’éviter. Mais, seules des méditations étayées par les enseignements du Dharma nous éclaireront sur la signification de la souffrance du changement. Alors, ce que nous avons coutume d’appeler bonheur nous révélera son véritable caractère de souffrance.
3 La souffrance inhérente à l’existence samsarique conditionnée
Le troisième niveau de souffrance est encore plus difficile à appréhender. Il est appelé la souffrance inhérente à l’existence samsarique conditionnée. Notre corps et notre esprit, soit nos agrégats psycho-physiques, en sont les constituants. Reconnaître la souffrance dans ce que nous appelons habituellement le bonheur, voir que ces bien-être se transforment presque instantanément en souffrance n’est, à vrai dire, pas très difficile si l’on veut bien y réfléchir. Mais comprendre que nos agrégats psycho-physiques, que les composants mêmes de notre personnalité sont souffrance est infiniment plus délicat et plus ardu. Supposons que nous ayons une blessure au bras; si nous y étalons une pommade ou que nous soufflons dessus, nous éprouvons une sensation apaisante. Par contre, si nous appuyons sur la plaie, que nous nous cognons dessus ou que nous y mettons du sel, nous ressentons une vive douleur. Cette blessure est la base dont sont issues tour à tour sensation plaisante et sensation déplaisante. Elle est souffrance par nature, même si nous ne sentons rien en dehors de l’intervention d’un agent extérieur. La douleur réveillée par le choc illustre la souffrance de la souffrance. Le bien-être que nous procurent les soins qui l’apaisent est un exemple de la souffrance du changement. Sans aucune action extérieure, nous ne sentons rien, mais la blessure est là. Elle est une illustration de la troisième sorte de souffrance : dans sa nature même, elle est souffrance.
Les trois niveaux de souffrance vous ont été brièvement expliqués, mais j’aurai l’occasion d’y revenir par la suite. En résumé, notre situation est celle d’individus prisonniers des maux qui les accablent. L’important, à présent, est de consacrer toute votre attention à des réflexions poussées sur ce que vous venez d’entendre.
S’il n’existait aucun moyen d’échapper à la souffrance, nous n’aurions rien à faire ici et nous pourrions tous continuer à vivre comme avant. Or, ce moyen existe et nous l’avons en nous. Il consiste en une utilisation juste et appropriée de notre esprit, de notre faculté de penser, de réfléchir, de raisonner. Nous n’avons pas à l’obtenir d’autrui moyennant paiement ou autre contrepartie d’un échange. Il ne s’achète pas comme un bien commercial. S’il en était ainsi, nous pourrions craindre certaines difficultés. Mais, tous, mendiants ou richissimes, nous en sommes détenteurs. Tout le monde, pauvre, nanti, homme, femme... peut se libérer de la souffrance et l’éliminer définitivement. La méthode consiste à appliquer son esprit à la pratique du Dharma. Pour cela, nous devrons parvenir à le contrôler afin d’en disposer à notre guise. Pour l’instant, notre esprit est comme un bien sans propriétaire. Il va où il veut, pense ce qu’il veut. Nous sommes impuissants à le diriger. Il nous suffit de l’observer un peu pour en faire le constat. La pratique du Dharma va nous amener à exercer sur lui un contrôle, à le dompter, à nous en rendre maîtres. Il est à présent comme un éléphant sauvage et dangereux que rien n’arrête. Comme on capture l’éléphant pour le domestiquer et, par le dressage, le transformer en animal docile au service de l’homme, on peut, de même, prendre possession de son esprit et le discipliner. Or, la maîtrise de l’esprit s’acquiert par la méditation.
Si nous étions moins limités par la durée de ce cours, il aurait été préférable de vous donner d’abord une vue d’ensemble des enseignements pour que vous les méditiez ensuite. Mais, puisque nous avons peu de temps, nous procéderons à des séances de méditation au fur et à mesure des sujets exposés, alternant sessions d’enseignement et sessions de méditation.
Il existe de nombreuses formes de méditation. Mais comment aborde-t-on la pratique de la méditation ? C’est ce que nous allons voir à présent. Quelle en est la finalité ? Acquérir la maîtrise de son esprit pour en disposer librement et en faire l’instrument de la suppression de nos souffrances.
Posture
La position la mieux adaptée à la méditation est connue sous le nom de position du lotus. Vous pourrez aussi vous asseoir en tailleur ou en demi-lotus. L’essentiel n’est pas la position. Il importe que vous soyez installés confortablement, que ce soit sur une chaise ou à même le sol. Ne vous forcez pas à demeurer dans une posture qui vous serait pénible car vous aurez mal aux jambes ou aux genoux et votre esprit, préoccupé par la douleur de vos articulations, sera incapable de s’absorber dans la méditation. Vos mains devront être placées au niveau du nombril, le dos de la main droite posé sur la paume gauche, les pouces se touchant et formant un triangle avec les paumes. Si vous éprouvez une certaine fatigue à les maintenir ainsi, vous pourrez les soutenir à l’aide d’un petit coussin. Les bras seront légèrement écartés du corps de manière à laisser passer l’air. Les épaules et la colonne vertébrale devront être droites et la tête légèrement inclinée vers l’avant, le menton rentré. Ne laissez pas votre regard se promener tout autour de vous. Dirigez vos yeux vers le bas et gardez-les mis-clos et détendus. Si vous essayez de fixer la pointe de votre nez, vous fatiguerez votre vue et finirez par éprouver des tensions désagréables. La langue doit être légèrement appuyée sur le palais, la bouche et la mâchoire conservant leur position naturelle. Toutes ces précisions à propos de la position de méditation ont leur importance. En effet, le méditant a tendance à perdre la conscience de son corps et l’ensemble de cette posture lui permet d’en conserver le maintien sans aucun effort volontaire.
Puisque la méditation est une activité de l’esprit, nous allons tout d’abord y instaurer le calme et purifier les canaux où circule l’énergie indispensable à tout fonctionnement mental. Ce travail préliminaire favorisera le déroulement correct de notre pratique méditative.
Un nombre infini de canaux (Skrt. Nadi) parcourent notre corps. Nous nous concentrerons sur trois d’entre eux situés le long de notre colonne vertébrale. Nous devrons avoir le dos le plus droit possible (sans que cela nous soit pour autant inconfortable). A droite, partant du bas de notre colonne vertébrale (à une distance d’environ quatre doigts au-dessous du nombril), remontant le long de celle-ci jusqu’au sommet de la tête et suivant la courbure du crâne par l’intérieur, pour se terminer à la base de la narine droite, nous visualiserons un canal latéral rouge. Symétriquement, à gauche, nous visualiserons un canal blanc dont le parcours est identique, et dont l’extrémité supérieure se trouve à la base de la narine gauche et l’extrémité inférieure à une distance de quatre doigts au-dessous du nombril. Les deux canaux s’ouvrent dans les narines. Ils sont de la grosseur d’un doigt de taille moyenne. Dans le canal rouge circule le sang et dans le blanc le liquide séminal.
Dans un premier temps, nous imaginons l’extrémité inférieure du canal gauche blanc emboîtée dans le canal droit rouge (fig.1). Lorsque nous en avons une vision claire, avec l’index droit, nous bouchons la narine droite et inspirons lentement par la narine gauche. En même temps, nous visualisons l’air entrant par la narine et descendant dans le canal gauche blanc. A l’expiration, nous déplaçons l’index droit pour boucher, du revers du doigt, la narine gauche. Nous penserons que l’air continue de descendre dans le canal gauche pour passer ensuite dans le canal droit rouge et remonter jusqu’à la narine droite d’où il est expulsé. Au cours de cette respiration, nous penserons qu’en descendant, et surtout en remontant, l’air purifie le canal rouge qu’il traverse, comme le vent balayant la poussière. Imaginons un tuyau rempli de saletés. Lorsque nous soufflons par l’une de ses extrémités, nous en chassons les impuretés qui sont expulsées à l’autre bout. Tout comme le tuyau n’a que deux extrémités, nous penserons que l’air inhalé entre par un canal et sort par l’autre, n’ayant pas d’autre issue. Précisons que nous utiliserons le même doigt (l’index droit) pour boucher successivement la narine droite quand nous inspirons par la gauche, puis la narine gauche pour expirer par la droite. A l’expiration, nous pouvons comparer notre narine droite, d’où s’échappe l’air vicié, à une cheminée d’usine rejetant sa fumée chargée de déchets. L’évocation de cette image peut nous aider à concrétiser la visualisation.
Pendant tout ce temps, la respiration devra être lente, posée et profonde, tant à l’inspiration qu’à l’expiration, sans forcer toutefois. Il suffit de respirer normalement, aussi régulièrement que possible. Au début, nous éprouverons une certaine gêne due aux limites imposées par notre rythme respiratoire. Progressivement, les temps d’inspiration et d’expiration s’allongeront et les difficultés disparaîtront. Nous répéterons cet exercice (inspiration par la narine gauche et expiration par la droite) trois fois de suite. Le canal rouge, à droite, traversé par l’air dans son mouvement ascendant se trouvera dès lors entièrement purifié et semblable à un faisceau lumineux de couleur rouge.
Nous procéderons ensuite à la purification du canal gauche (fig.2). Pour ce faire, nous penserons que l’extrémité inférieure du canal rouge (à droite) s’engage dans le canal blanc (à gauche), toujours à une distance d’environ quatre doigts au-dessous du nombril. Bouchant la narine gauche avec l’index gauche, nous inspirerons par la narine droite. Puis, déplaçant l’index gauche, du revers du doigt nous obstruerons la narine droite pour expirer par la gauche. Nous ferons également cet exercice trois fois de suite, expulsant ainsi toutes les impuretés du canal blanc de gauche qui luira alors comme un tube de verre blanc traversé par la lumière (mais dont il n’aura évidemment pas la dureté).
Pour la troisième phase de cette pratique, nous visualiserons, au centre, entre les deux autres, un troisième canal, de couleur bleue, dont l’extrémité inférieure est toujours située à quatre doigts au-dessous du nombril (fig.3). Son parcours est identique à celui des deux canaux latéraux : il longe la colonne vertébrale en sa partie antérieure jusqu’à la nuque, suit la courbure de la boîte cranienne par l’intérieur et se termine au-dessus du point médian entre les deux sourcils. Il est un peu plus gros que les deux précédents et est appelé en tibétain Tsa Ouma : le canal central. C’est le plus important de tous les canaux de notre corps. Nous allons également le purifier. Pour ce faire, imaginons que les deux canaux latéraux s’incurvent à leur extrémité inférieure et entrent dans le canal central. Posons nos mains à plat, le dos de la main droite posé sur la paume gauche, les pouces écartés se rejoignant un peu au-dessus du nombril. Nous inspirons et expirons cette fois par les deux narines. L’air entre dans les deux canaux latéraux puis s’engage dans le canal central dont les impuretés sont expulsées, avec l’expiration, par le point situé un peu au-dessus de la jonction des sourcils. Nous répétons trois fois cet exercice et le canal central est ainsi entièrement purifié. Il est alors semblable à un rayon de lumière bleue.
Désormais, les trois canaux sont parfaitement purs et les respirations suivantes se font avec une parfaite aisance, traversant, sans aucune résistance, des conduits libérés de tout obstacle. Parce qu’elle apporte le calme en l’esprit, la concentration sur l’ensemble de ces neuf respirations, lorsqu’elle est effectuée avec attention et précision, constitue une excellente préparation à la méditation dont elle améliore l’efficacité.
J’ai parlé de la souffrance et je vous ai demandé de bien y réfléchir. Cela est extrêmement important. Le malade qui n’a pas conscience de son mal n’aura pas même l’idée de prendre un remède ou de suivre un traitement médical. Et si cette pensée ne l’effleure pas, il ne fera rien pour guérir. Se contenter d’observer le médicament du regard ne sera d’aucune utilité. Ainsi, si nous ignorons la véritable nature de nos souffrances, nous ne pourrons pas faire naître le désir de pratiquer le Dharma; et en l’absence d’une aspiration authentique, nous serons incapables de nous engager sur ce chemin. Nous pourrons bien regarder les livres, mais si nous nous arrêtons à cela, nous ne supprimerons pas la souffrance.
Je vous ai décrit la situation. C’est à vous d’y réfléchir, d’en analyser les détails et les implications profondes. Depuis bien longtemps, notre esprit s’est exclusivement soucié d’activités mondaines : travail, gains, avantages personnels divers... Ces préoccupations lui sont devenues si familières qu’il est difficile de l’amener à la pratique du Dharma. Nous devons donc agir avec beaucoup d’habileté pour l’y conduire progressivement. La technique de méditation enseignée précédemment développe notre capacité à le maîtriser : nous le rassemblons vers l’intérieur pour accroître ses facultés de concentration.
Anapanasati
La pratique qui va être expliquée maintenant est appelée en sanskrit Anapanasati: l’attention à la respiration.
Nous adopterons une position qui nous soit confortable, mais si nous n’éprouvons pas trop de difficultés, la posture la plus appropriée sera celle du lotus, telle que décrite ci-dessus, et ce, pour les raisons déjà citées. Chaque détail a sa raison d’être. Notamment le fait d’entourer le nombril en joignant les pouces au-dessus des paumes de mains sera d’une utilité particulière lors de méditations futures. Le tronc doit être droit de manière à étirer les canaux qui le parcourent et à faciliter le passage de l’air à travers ces derniers. Si notre respiration se fait aisément et que l’air emprunte les circuits adéquats, nous aurons l’esprit plus clair et donc une meilleure méditation. En inclinant légèrement la tête, on évite l’intensification de l’élément chaleur dans l’organisme, ce qui entraînerait un assèchement de la bouche et la soif. L’augmentation de l’élément chaleur peut également occasionner des maux des yeux, des migraines ou des douleurs dans la nuque. En gardant les yeux mi-clos, le regard dirigé devant soi, on empêche la dispersion naturelle de l’esprit vers les objets qui l’entourent. On évitera de fermer complètement les yeux car l’obscurité ainsi produite risquerait de provoquer la somnolence. Il est toutefois plus facile pour certains de méditer les yeux fermés et chacun choisira ce qui lui convient le mieux. La langue doit toucher légèrement le palais afin d’éviter le dessèchement de la gorge. La bouche conserve sa position naturelle. Qu’elle soit légèrement ouverte ou fermée, elle devra être complètement détendue.
Les avantages de cette posture particulièrement appropriée à la méditation n’ont été évoqués ici que de façon très succincte. Sa raison d’être nécessiterait des explications beaucoup plus amples. Une fois installés dans cette position, nous allons nous consacrer à la pratique d’Anapanassati, l’attention à la respiration. Cette dernière se décompose en six parties : compter, suivre, placer, analyser, changer, pureté parfaite.
Compter
Assis dans la posture décrite ci-dessus, nous allons procéder au comptage de nos respirations. Pour ce faire, notre esprit devra être totalement concentré sur le va-et-vient du souffle et compter mentalement de 1 à 10 à chaque couple expiration/inspiration, en commençant par l’expiration; soit :
– une expiration/une inspiration = 1, puis
– une expiration/une inspiration = 2...
et ainsi de suite jusqu’à 10 qui est ici un chiffre commode. Il ne s’agit pas de compter à haute voix et encore moins par écrit.
Nous devons être particulièrement attentifs aux phases d’expiration et d’inspiration, être conscients que nous expirons à l’expiration et que nous inspirons à l’inspiration, sans aucune confusion entre les séquences d’absorption et d’expulsion de l’air. Au cours de cet exercice, nous nous efforcerons de ne pas penser à autre chose qu’à la respiration. Nous ne pourrons pas en tirer profit si notre esprit vagabonde et songe à la montagne, au lac... Durant cette pratique, nous suivrons le rythme naturel de notre respiration qui progressivement s’allongera d’elle-même. Lorsque l’esprit parvient à suivre complètement, sans aucune distraction, le mouvement de nos expirations/inspirations dix fois de suite et que notre respiration peut se prolonger avec une plus grande amplitude, nous aurons accompli la première phase de la pratique d’Anapanassati. A ce moment- là seulement, nous pourrons entamer la seconde.
Suivre
Nous allons maintenant suivre avec précision le parcours de la respiration. D’abord à l’inspiration, nous allons suivre l’air inspiré jusqu’au cou, par exemple. Puis à l’expiration, nous le suivrons à l’extérieur, à une distance équivalente. Puis nous suivrons l’inspiration de plus en plus loin à l’intérieur et l’expiration de plus en plus loin à l’extérieur, un peu à l’image d’un jet d’eau propulsé à une certaine hauteur qui retombe ensuite d’une distance équivalente. Il n’est évidemment pas question de respirer ici avec la force d’un jet d’eau; cette image illustre seulement le trajet de la respiration qui doit être souple et naturelle.
Nous accompagnerons mentalement l’air inspiré jusqu’au niveau de la poitrine et l’air expiré jusqu’à une même distance à l’extérieur, et ainsi de suite, sans forcer. Lorsque la respiration s’allongera d’elle-même, nous la suivrons progressivement jusqu’au niveau du nombril, des genoux puis jusqu’au bout des orteils. Il peut être plus facile pour certains de visualiser l’air sous forme d’une légère fumée d’encens. Il est également possible de suivre l’inspiration au-delà des orteils, à l’extérieur de soi. Mais ceci n’est mentionné que pour information.