Jacques Cartier

Relation originale du voyage de Jacques Cartier au Canada en 1534

Publié par Good Press, 2022
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EAN 4064066075323

Table des matières


DOCUMENTS INÉDITS SUR JACQUES CARTIER ET LE CANADA (NOUVELLE SÉRIE) PUBLIÉS PAR H. MICHELANT ET A. RAMÉ
VOIAGE
JACQUES CARTIER
APPENDICE
LE MANOIR
JACQUES CARTIER
M. ALFRED RAMÉ
MANOIR DE JACQUES CARTIER
DOCUMENTS INÉDITS
LE CANADA
M. ALFRED RAMÉ
DEUXIÈME SÉRIE
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV.
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
XXIX
XXX
XXXI
XXXII
TABLE DES DOCUMENTS

DOCUMENTS INÉDITS
SUR
JACQUES CARTIER ET LE CANADA (NOUVELLE SÉRIE)
PUBLIÉS PAR
H. MICHELANT ET A. RAMÉ

Table des matières

Accompagnés de deux portraits de Cartier et de deux vues de son Manoir

PARIS
LIBRAIRIE TROSS
5, RUE NEUVE-DES-PETITS-CHAMPS, 5

1867



M. d'Avezac, dont il faut toujours citer l'ingénieuse et profonde érudition lorsqu'il s'agit de recherches sur l'histoire de la géographie, se plaignait naguère, et non sans raison, de l'indifférence que les Français avaient apportée en tout temps à faire valoir leurs découvertes; il regrettait surtout que le récit du premier voyage de Jacques Cartier au Canada ne nous fût parvenu que par des traductions. En effet, le plus ancien qui ait paru en France, de l'aveu de l'éditeur, n'est qu'un travail de seconde main dont on ignore l'origine, car cette version, sur quelques points, s'écarte de celle de Ramusio, de beaucoup antérieure, sans cadrer exactement avec celle que nous a conservée Hakluyt, qui diffère également des deux autres. Du reste, on s'aperçoit aisément qu'elle n'a pu être l'oeuvre ni de Cartier, ni d'aucun de ses compagnons de voyage, surtout si on la rapproche de la relation du second voyage, que l'on croit pouvoir attribuer soit au chef, soit à un des marins de l'expédition. Celle-ci, par le style autant que par l'orthographe, révèle une main inexpérimentée, plus habile à guider un navire sur l'océan et affronter les tempêtes qu'à manier une plume. On arrive donc à cette conclusion, qu'au XVIe siècle il existait trois relations du récit du premier voyage de Cartier, une en italien, celle de Ramusio, une en anglais, publiée par Hakluyt, et une troisième que nous ne connaissons pas, celle que Raphaël du Petit-Val a fait traduire en 1598, pour en donner une édition française. Il est à supposer qu'il n'a agi ainsi que faute d'avoir pu se procurer une rédaction originale, qui seule, en reproduisant exactement les faits, eût permis d'apprécier l'exactitude de l'auteur et de régler la créance que l'on pouvait accorder à ses allégations. L'importance qu'elle eût offerte alors n'a pas diminué aujourd'hui, et nous croyons qu'il y a encore quelque intérêt pour nous à posséder la source primitive des différentes versions étrangères, c'est-à-dire la première relation, qui a dû être rédigée par Cartier lui-même (la supposition selon nous la plus vraisemblable) ou du moins par un de ses compagnons de route. Elle n'a pu évidemment être écrite qu'en français, dans le langage habituel des marins, et spécialement des marins bretons, c'est-à-dire avec des locutions provinciales, des incorrections compensées par un emploi plus exact des termes propres à la profession maritime et à l'art nautique. A ce point de vue, nous pouvons essayer un rapprochement curieux entre la version de Raphaël du Petit-Val et la publication de 1545, reproduite si soigneusement par M. d'Avezac, qui attribue à Cartier la relation du second voyage. Quoique ce dernier texte paraisse déjà amélioré, puisqu'il s'écarte dans maint passage des trois versions manuscrites de la Bibliothèque impériale, qui ne sont pas non plus identiques entre elles, on peut remarquer que la langue en est beaucoup plus incorrecte que la traduction de 1598. Si, au contraire, nous venons à le comparer avec celui que nous publions, on y remarquera de nombreuses analogies d'expressions, de tournures, d'idiotismes, nous dirons mieux, d'incorrections et de fautes qui décèlent une même origine. Il n'est pas nécessaire de les signaler en détail, elles frappent au premier coup d'oeil; et sans qu'il soit besoin d'insister plus longuement, il nous paraît résulter non moins clairement du récit lui-même qu'on peut l'attribuer avec assurance à Cartier, quoiqu'il ait évité avec soin de se désigner expressément. Cependant, malgré ses précautions pour cacher sa personnalité sous des termes généraux, tels que: nous partîmes..., nous arrivâmes..., il se trahit quand il lui échappe de dire: Je nomme icelle isle saincte Katherine... (p. 7.) Or ce droit appartenait exclusivement au chef de l'expédition, et le chef c'était Jacques Cartier. Parfois il se laisse entraîner à émettre son opinion personnelle par ces mots: j'estime... p. 11; j'ai seu... (p. 12); je presume mielx que aultrement à ce que j'ai veu... (p. 20); et la façon modeste avec laquelle il nous dit: Icelluy fut nommé le hable Cartier... (p. 7) ne fait que confirmer notre hypothèse, car toute autre personne de l'équipage n'eût pas manqué d'observer que c'était en l'honneur du capitaine, ce que celui-ci voulait au contraire éviter, en relatant simplement le fait. Au surplus, voici le point capital: la relation que nous publions est bien la version primitive, écrite par un homme peu lettré, parlant le français en usage dans la partie de la Bretagne qui avoisine Saint-Malo, en un mot l'original qui a dû servir aux diverses traductions publiées antérieurement. Quant aux variantes que présentent ces divers textes, elles sont légères et s'expliquent facilement par des erreurs de copistes, des fautes de lecture ou des bévues de traducteurs.

Cette pièce (no 5, portefeuille LVII de Fontette) porte pour suscription: Voyage de Jacques Cartier, 1544. Malgré ces chiffres, on ne saurait regarder cette date comme rigoureusement exacte; mais pour quiconque a l'habitude des manuscrits de cette époque, il est facile de lui en donner une approximative qui ne s'en écarte guère. La simple vue fait reconnaître une écriture de la première moitié du XVIe siècle, qui, par son aspect général, se rapproche singulièrement de divers documents de la même collection (voy. Port. XXVII, p. 70), qui remontent aux années 1533-35. La relation occupe dix-sept feuillets dont les douze premiers, écrits avec netteté, semblent annoncer une copie soignée; mais ensuite l'écriture se lâche, les abréviations se multiplient, se compliquent, et la lecture, facile au début, devient sur la fin d'une difficulté extrême. Nous avons reproduit ce texte aussi scrupuleusement que possible, et nous ne nous sommes permis que les modifications que réclamait impérieusement l'impression.

Nous avons ajouté en appendice une pièce qui nous a paru assez curieuse en ce qu'elle établit et résume exactement les découvertes faites par les Français et les Anglais dans l'Amérique du Nord. Elle est postérieure à 1630, puisqu'elle relate des faits arrivés à cette époque, dont elle se rapproche beaucoup par l'écriture; quoiqu'elle ne soit pas signée, elle offre l'aspect d'un document officiel et prouve que déjà alors on s'était préoccupé de déterminer les droits respectifs des deux nations.

L'intérêt qui s'attache au pilote malouin a engagé l'éditeur à enrichir sa publication de deux portraits de Cartier, dont l'un se trouve à l'hôtel de ville de Saint-Malo, et l'autre au département des estampes de la Bibliothèque impériale. De son côté, M. Ramé, infatigable dans ses recherches, a recueilli une nouvelle série de documents précieux sur l'histoire du Canada, qui nous apprennent quels rapports ont existé jusqu'en 1619 entre la colonie et la province où était né celui qui avait découvert cet immense territoire. M. Ramé a fait plus, il a su attacher un intérêt artistique à sa nouvelle collection, par la description de l'ancien manoir de Jacques Cartier, dont le souvenir ne se conservera plus qu'au moyen des croquis que nous devons au crayon de notre collaborateur.





VOIAGE

Table des matières

DE

JACQUES CARTIER

Table des matières

pres que Missire Charles de Mouy, chevallier, seigneur de la Milleraye et Visadmiral de France, eut prins les sermens et faict jurez les Cappitaine, maistres et compaignons desditz Nauires de bien et loyaulment soy porter au seruice du Roy soubz la charge dudit Cartier, Partimes du havre et port de Sainct Malo auecques lesdits deux nauires du port d'enuiron soixante tonneaulx chaincun, esquippez les deux de soixante ung homme, le vigntiesme jour d'Apuril oudit an, Mil cinq cens trante quatre; et auecques bon temps nauigans et vinmes à Terre Neuffue le dixiesme jour de May, et aterrames à Cap de Bonne viste estans en quarente huyt degrez et demy de latitude et en...... degrez de longitude. Et pour le grant nombre de glasses qui estoint le long d'icelle terre, nous conuint entrer en vng haure nomme Saincte Katherine estant au Su Surouaist d'iceluy Cap, enuiron cinq lieues où fumes l'espace dix jours, attendant nostre temps et acoustrant noz barques. Et le xxie jour dudit moys de May, partismes dudit hable auecques vng vent de Ouaist, et fumes portez au Nort, vng de Nordeist de Cap de Bonne viste, jucques à l'isle des Ouaiseaulx, laquelle isle estoit toute avironnée et circuitte d'vn bancq de glasses rompues et departies par pièces. Nonobstant ledit banc, noz deux barques furent à ladite isle pour auoir des ouaiseaulx, desqueulx y a si grant numbre, que c'est vne chosse increable, qui ne la voyt; car nonobstant que ladite isle contienne enuiron vne lieue de circumferance, en soit si très plaine qu'i semble que on les ayt arimez. Il y en a cent plus à l'enuiron d'icelle et en l'oir que dedans l'isle, dont partie d'iceulx ouaiseaulx sont grans comme ouays noirs et blancs, et ont le bec comme vng corbin, et sont tousiours en la mer, sans jamais pouoir voller en l'air pour ce qu'ilz ont petites aesles, comme la moitié d'vne; de quoy ilz vollent aussi fort dedans la mer, comme les aultres ouaiseaulx font en l'air; et sont iceulx ouaiseaux si gras que c'est vne chosse merueilleuse. Nous noumons iceulx ouaiseaulz Apponatz desqueulx noz deux barques en chargèrent, en moins de demye heure, comme de pierres, dont chaincun de noz nauires en sallèrent quatre ou cinq pippes, sans ce que nous en peumes mangier de froys.

Dauantaige, y a vne aultre sorte d'ouaiseaulx qui vont en l'air et en la mer, qui sont plus petiz, que l'on nomme Godez, qui se ariment et meptent à ladite isle soubz les plus grans. Il y en avoit d'aultre plus grans, qui sont blans, qui se mettent à part des aultres en vne partie de l'isle, qui sont fort mauuaiz à assallir; car ilz mordent comme chiens et sont nommez Margaulx. Et néantmoins que ladite isle soyt à quatorze lieues de terre, les ours y passent à no de la grant terre pour mangier desdits ouaiseaulx, desquelx noz gens en trouuèrent vng, grant comme vne vache, aussi blanc comme vng signe, qui saulta en la mer dauent eulx; et le lendemain qui est le jour de la Penthecouste, en faisant nostre routte vers terre, trouuames ledit ours enuiron le my chemin, qui alloit à terre aussi fort que nous faisions à la voille; et nous, l'ayant aperceu, luy baillames la chasse o noz barques et le prinmes à force; la chair duquel estoit aussi bonne à mangier comme d'vne génise de deux ans.

Le mercredi, XXVIIe dudit moys, nous arivames à l'entrée de la baye des Chasteaulx, et pour la contrarieté du vent et du grant nombre de glaces que trouuasmes, nous conuint entrer dedans vng hable, estant aux enuirons d'icelle entrée, nommé le Rapont où nous fumes sans en pouair sortir jucques au neuffiesme jour de Juign, que en partismes pour passer o l'aide de Dieu oultre: ledit Rapont est en cinquante et vng degrez et demy de latitude.

Description de la terre dempuis Cap Rouge jucques au hable de Brest, estant en la baye.

La terre, dempuis Cap Rouge jucques au Degrat, est la pointe de rentrée de la baye, gist de cap en cap Nort Nordest et Su Surouaist; Et est toute ceste partie de terre à isles adiaczantes et près les vnes des aultres, qu'il n'y a que petites ripvières par où bateaux peuent aller et passer parmy; Et à celle cause y a plusseurs bons hables dont ledit hable du Rapont et celuy du Degrat sont en l'vne d'icelles isles, icelle qui est la plus haulte de toutes, ou dessurs de laquelle l'on voyt clairement les deux belles isles qui sont près Cap Rouge, où l'on compte vignt cinq lieues; audit hable de Rapont y'a deux entrées, l'vne vers l'Est et l'aultre vers le Su de l'Isle; mais il se fault donner garde de la bande et pointe de l'Eist, car se sont bastures et pays somme; Et fault renger l'isle de l'Ouaist à la longueur de demy cable ou plus près qu'il veult, et puis s'en aller surs le Su vers le Rapont; et se fault donner garde de trois basses qui sont soubz l'eau on chenal devers l'isle de l'Est. Il y a de fontz par le chenal troys ou quatre brasses et beau fons; l'autre entrée gist Est Nordest et Su vers l'Ouaist à saultez à terre.

GodezRichars