Le 17 juin, ayant terminé depuis deux jours l'appel nominal de tous les députés aux États généraux, le Tiers, auquel s'étaient déjà réunis 12 curés, se proclamait Assemblée nationale, et, prévoyant que cet acte révolutionnaire serait suivi de représailles, décidait d'opposer à une répression possible la menace de la grève de l'impôt: «Considérant qu'en effet les contributions, telles qu'elles se perçoivent actuellement dans le royaume, n'ayant point été consenties par la nation, sont toutes illégales, et, par conséquent nulles dans leur création, extension ou prorogation;
«L'Assemblée déclare, à l'unanimité des suffrages, consentir provisoirement, pour la nation, que les impôts et contributions, quoique illégalement établis et perçus, continuent d'être levés de la même manière qu'ils l'ont été précédemment, et ce, jusqu'au jour seulement de la première séparation de cette Assemblée, de quelque cause qu'elle puisse provenir.
«Passé lequel jour, l'Assemblée nationale entendait décréter que toute levée d'impôts et contributions de toute nature qui n'aurait pas été nommément, formellement et librement accordée par l'Assemblée, cessera entièrement dans toutes les provinces du royaume, quelle que soit la forme de l'administration….»
Le 19 juin, l'ordre du clergé décidait par 149 voix contre 135 de se réunir au Tiers. Mais, le même jour, l'ordre de la noblesse adressait au roi une vigoureuse protestation contre les actes révolutionnaires du Tiers État et les chefs de la minorité du clergé, l'archevêque de Paris et le cardinal de La Rochefoucauld, faisaient le voyage de Marly pour pousser le roi à la résistance. Necker était justement absent auprès de sa belle-soeur mourante à Paris. Un témoin oculaire, Rabaut de Saint-Étienne, député à la Constituante, a raconté en ces termes la journée du lendemain:
Tandis que les députés se rendaient à la salle [des séances] une proclamation, faite par des hérauts d'armes et affichée partout, annonça que les séances étaient suspendues et que le roi tiendrait une séance royale le 22. On donnait pour motifs de la clôture de la salle pendant trois jours la nécessité des préparatifs intérieurs pour la décoration du trône. Cette raison puérile servit à prouver qu'on n'avait voulu que prévenir la réunion du clergé, dont la majorité avait adopté le système des communes. Cependant les députés arrivent successivement, et ils éprouvent la plus vive indignation de trouver les portes fermées et gardées par des soldats. Ils se demandent les uns aux autres quelle puissance a le droit de suspendre les délibérations des représentants de la nation. Ils parlent de s'assembler sur la place même, ou d'aller sur la terrasse de Marly offrir au roi le spectacle des députés du peuple; de l'inviter à se réunir à eux dans une séance vraiment royale et paternelle, plus digne de son coeur que celle dont il les menace. On permet à M. BAILLY, leur président, d'entrer dans la salle avec quelques membres pour prendre les papiers; et là il proteste contre les ordres arbitraires qui la tiennent fermée. Enfin il rassemble des députés dans le jeu de paume de Versailles, devenu célèbre à jamais par la courageuse résistance des premiers représentants de la nation française. On s'encourage en marchant; on se promet de ne jamais se séparer et de résister jusqu'à la mort. On arrive; on fait appeler ceux des députés qui ne sont pas instruits de ce qui se passe. Un député malade s'y fait transporter. Le peuple, qui assiège la porte, couvre ses représentants de bénédictions. Des soldats désobéissent pour venir garder l'entrée de ce nouveau sanctuaire de la liberté. Une voix s'élève [celle de Mounier]; elle demande que chacun prête le serment de ne jamais se séparer et de se rassembler partout jusqu'à ce que la constitution du royaume et la régénération publique soient établies. Tous le jurent, tous le signent, hors un [Martin d'Auch]; et le procès-verbal fait mention de cette circonstance remarquable. La cour, aveuglée, ne comprit pas que cet acte de vigueur devait renverser son ouvrage. [Note: Précis de l'histoire de la Révolution française, réimp. De 1819, pp. 56-57.]
Armand Brette a complété ce récit. «Sur les 19 curés affiliés dès ce moment à la cause du Tiers, sept seulement adhérèrent au serment le 20 juin ou le 22 juin, 12 s'abstinrent…, 4 députés du Tiers seulement refusèrent de signer … il n'y eut qu'un seul opposant, Martin d'Auch, qui déclara qu'il ne pouvait jurer d'exécuter des délibérations qui ne sont pas sanctionnées par le roi…, tous les nobles députés du Tiers présents à Versailles, les royalistes les plus éprouvés, Malouet, Mounier, Flachslanden, l'ami intime du roi, Hardy de La Largère, dont le fils fut anobli sous la Restauration en souvenir du constituant, Charrier, qui en 1792 souleva la Lozère et paya de sa tête son dévouement à la cause royale, vingt autres enfin, dont l'affection pour le roi était notoire, ont signé le serment et ont ainsi légitimé l'audacieuse constitution du Tiers en Assemblée nationale.» [Note: A. BRETTE, La séance royale du 23 juin 1789, ses préliminaires et ses suites. La Révolution française, t. XX, p. 442 et 534.]
Parmi ceux qui signèrent le serment, cet acte solennel de rébellion, il y en eut qui éprouvèrent une émotion intense. L'un d'eux devint fou.
Le lendemain un député de Lorraine, nommé Mayer, est devenu fou. Il avait prêté le serment et en avait la conscience bourrelée. Il était à côté d'un filou qui venait de voler sous le costume d'un député du Tiers. Lorsqu'on est venu prendre ce filou, il a cru qu'on arrêtait tous les députés du Tiers pour avoir fait le serment; la peur l'a pris et la tête lui a sauté. Cette frayeur d'être arrêté n'était pas mal fondée, car le bruit général était que ce parti violent avait été proposé, les uns disaient dans le conseil et d'autres dans un de ces conseils tenus fréquemment chez MM. de Polignac et chez M. le comte d'Artois. [Note: Journal de l'abbé Coster dans Brette, id., pp. 37-38.]
Le 21 juin, à une députation de la noblesse conduite par le duc de Luxembourg, le roi avait répondu qu'il ne permettrait jamais qu'on altérât l'autorité qui lui avait été confiée pour le bien de ses sujets. La séance royale qui devait avoir lieu le 22 juin fut remise au 23. Le 22 juin, Bailly trouvant la porte des Menus fermée, se rendit aux Récollets qui refusèrent de le recevoir. Les marguilliers de l'église Saint-Louis lui offrirent leur église. On se rendit d'abord dans la chapelle des Charniers, où avaient lieu les catéchismes, puis dans la nef. Deux membres de la noblesse du Dauphiné, les premiers de leur ordre, le marquis de Blacons et le comte d'Agoult se réunirent au Tiers et la majorité du clergé se réunit aussi, conduite par les archevêques de Vienne et de Bordeaux, les évêques de Chartres et de Rodez.
L'abbé Grégoire nous dit qu'en prévision de la séance royale du lendemain, les députés qui se réunissaient au club breton (berceau des Jacobins) arrêtèrent un plan de résistance:
La veille au soir nous étions douze ou quinze députés réunis au Club Breton, ainsi nommé parce que les Bretons en avaient été les fondateurs. Instruits de ce que méditait la Cour pour le lendemain, chaque article fut discuté par tous et tous opinèrent sur le parti à prendre. La première résolution fut celle de rester dans la salle malgré la défense du roi. Il fut convenu qu'avant l'ouverture de la séance, nous circulerions dans les groupes de nos collègues pour leur annoncer ce qui allait se passer sous leurs yeux et ce qu'il fallait y opposer. [Note: Mémoires de l'Abbé Grégoire, t. I, p. 380. Ce récit est confirmé par Bouchette, Lettre du 24 juin 1789: «Nous étions convenus d'avance quoiqu'il arrivât de ne pas nous séparer avant d'avoir pris une délibération et nous la fîmes ainsi» (Lettres de Bouchette, Paris, 1909).]
Enfin la séance royale arriva; elle eut tout l'appareil extérieur qui naguère en imposait à la multitude; mais ce n'est pas un trône d'or ni un superbe dais, ni des hérauts d'armes, ni des panaches flottants qui intimident des hommes libres. La cour ignorait encore cette vérité, qu'on retrouve partout dans toutes les histoires. La garde nombreuse qui entourait la salle n'effraya pas les députés; elle accrut au contraire leur courage. On répéta la faute qu'on avait faite le 5 mai, de leur affecter une porte séparée et de les laisser exposés dans le hangar qui la précédait, à une pluie assez violente, pendant que les autres ordres prenaient leurs places distinguées; enfin ils furent introduits.
Le discours et les déclarations du roi eurent pour objet de conserver la distinction des ordres, d'annuler les fameux arrêtés de la constitution des communes en assemblée nationale, d'annoncer en trente-cinq articles les bienfaits que le roi accordait à ses peuples, et de déclarer à l'assemblée que, si elle l'abandonnait, il ferait le bien des peuples sans elle. D'ailleurs toutes les formes impératives furent employées, comme dans ces lits de justice où le roi venait semoncer le parlement. Dans ces bienfaits du roi promis à la nation, il n'était parlé ni de la Constitution tant demandée, ni de la participation des états généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté de la presse; et presque tout ce qui constitue la liberté civile et la liberté politique était oublié. Cependant les prétentions des ordres privilégiés étaient conservées, le despotisme du maître était consacré et les états généraux abaissés sous son pouvoir. Le prince ordonnait et ne consultait pas; et tel fut l'aveuglement de ceux qui le conseillèrent qu'ils lui firent gourmander les représentants de la nation, et casser leurs arrêtés comme si c'eût été une assemblée de notables. Enfin, et c'était le grand objet de cette séance royale, le roi ordonna aux députés de se séparer tout de suite, et de se rendre le lendemain matin dans les chambres affectées à chaque ordre pour y reprendre leurs séances.
Il sortit. On vit s'écouler de leurs bancs tous ceux de la noblesse et une partie du clergé. Les députés des communes, immobiles et en silence sur leurs sièges, contenaient à peine l'indignation dont ils étaient remplis, en voyant la majesté de la nation si indignement outragée. Les ouvriers, commandés à cet effet, emportent à grand bruit ce trône, ces bancs, ces tabourets, appareil fastueux de la séance; mais, frappés de l'immobilité des pères de la patrie, ils s'arrêtent et suspendent leur ouvrage. Les vils agents du despotisme courent annoncer au roi ce qu'ils appellent la désobéissance de l'assemblée…. [Note: Rabaut, op. cit., pp. 58-59.]
A ce récit de Rabaut Saint-Étienne, Montjoye ajoute ce détail qu'«à l'instant même où le roi se plaça sur son trône, tous les députés des trois ordres, par un mouvement simultané, s'assirent et se couvrirent et ils étaient déjà assis et couverts lorsque M. le garde des sceaux dit: le roi permet à l'Assemblée de s'asseoir.»
Le roi veut que l'ancienne distinction des trois ordres de l'État soit conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume; que les députés librement élus par chacun des trois ordres, formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec l'approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être considérés comme formant le corps des représentans de la nation. En conséquence, le roi a déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l'ordre du Tiers-État le 17 de ce mois ainsi que celles qui auraient pu s'ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles (Décl. I. 1).
Sont nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en commun celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains États-Généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres (id. 8).
Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline ecclésiastique, le régime des ordres et corps séculiers et réguliers (id. 9).
Les affaires qui auront été décidées dans les assemblées des trois ordres réunis seront remises le lendemain en délibération si cent membres de l'Assemblée se réunissent pour en faire la demande (id. 12).
Toutes les propriétés sans exception seront constamment respectées et S.M. comprend expressément sous le nom de propriétés les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux, et généralement tous les droits et prérogatives utiles ou honorifiques, attachés aux terres et fiefs, ou appartenant aux personnes (Décl. II. 12).
Les deux premiers ordres de l'État continueront à jouir de l'exception des charges personnelles, mais le roi approuvera que les États-Généraux s'occupent des moyens de convertir ces sortes de charges en contributions pécuniaires, et qu'alors tous les ordres de l'État y soient assujettis également (id. 15).
Dans d'autres articles le roi avait promis de n'établir aucun nouvel impôt sans le consentement des représentants de la nation, de faire connaître le tableau annuel des recettes et des dépenses et de le soumettre aux États généraux, de sanctionner la suppression de tous les privilèges en matière d'impôts, d'abolir la taille, le franc-fief, les lettres de cachet, la corvée, d'établir des États provinciaux composés de deux dixièmes de membres du clergé, de trois dixièmes de membres de la noblesse et de cinq dixièmes de membres du Tiers, etc.
Le roi termina par les paroles suivantes:
Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues; elles sont conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien public; et, si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes peuples; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant; et connaissant vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe entre le voeu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j'aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu'il doit m'inspirer.
Réfléchissez, Messieurs, qu'aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi je suis le garant naturel de vos droits respectifs; et tous les ordres de l'État peuvent se reposer sur mon équitable impartialité.
Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C'est moi jusqu'à présent qui fais tout le bonheur de mes peuples; et il est rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.
Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances, j'ordonne en conséquence au grand-maître des cérémonies de faire préparer les salles.
Dreux-Brezé, grand-maître des cérémonies, vint rappeler aux communes immobiles l'ordre du roi. Bailly lui répondit que les représentants du peuple ne reçoivent les ordres de personne, que, du reste il allait prendre les ordres de l'assemblée. Alors Mirabeau lança la célèbre apostrophe qu'il a lui-même rappelée en ces termes:
Bientôt M. le marquis de Brezé est venu leur dire [aux députés des communes]: «Messieurs, vous connaissez les ordres du roi.» Sur quoi un des membres des communes lui adressant la parole a dit: «Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au Roi, et vous qui ne sauriez être son organe auprès des États-Généraux, vous qui n'avez ici ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours; [Note: Le garde des sceaux, d'après le protocole, était seul qualifié pour communiquer les ordres du roi aux États généraux. Dreux-Brezé outrepassait ses pouvoirs. Il ne devait être que le porteur d'ordres écrits du roi.] cependant pour éviter toute équivoque et tout délai, je vous déclare que si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force, car nous ne quitterons nos places que par la puissance de la baïonnette.» Alors, d'une voix unanime, tous les députés se sont écriés: «Tel est le voeu de l'Assemblée.» [Note: Treizième lettre de Mirabeau à ses commettants.]
Le Tiers, sur la proposition de Camus et de Sieyès, déclara persister dans ses précédents arrêtés, récidivant ainsi sa désobéissance. Il décréta en outre, sur la proposition de Mirabeau, que la personne des députés était inviolable. «Ce n'est pas manifester une crainte, avait dit Mirabeau, c'est agir avec prudence; c'est un frein contre les conseils violents qui assiègent le trône.»
Le roi céda devant l'attitude résolue des nobles patriotes, l'offre de démission de Necker, qui n'avait déjà pas assisté à la séance royale, devant l'agitation du monde des rentiers qui craignait la banqueroute, devant l'insubordination de l'armée et les manifestations populaires.
On se rappelle cette célèbre réponse de Mirabeau au grand maître des cérémonies qui nous sommait de nous retirer. Cette réponse, me dit d'André, [Note: D'André, député de la noblesse d'Aix aux États généraux, devint avec Barnave et les Lameth un des chefs du côté gauche de la Constituante.] ayant été rapportée à la cour par M. de Brézé, il fut donné ordre à deux ou trois escadrons des gardes du corps de marcher sur l'Assemblée et de la sabrer, s'il le fallait, pour la dissoudre. Et certes, les députés, dans un pareil moment, se seraient tous laissé égorger plutôt que de bouger. Au moment où cette troupe avançait, plusieurs députés de la minorité de la noblesse étaient rassemblés sur une terrasse attenant, si je me le rappelle bien, au logement de l'un des Crillon. Il y avait entre autres les deux Crillon, d'André, le marquis de Lafayette, les ducs de La Rochefoucauld, de Liancourt, etc., tous dans les opinions de Necker, voulant l'établissement d'un gouvernement constitutionnel à l'anglaise, avec la branche régnante de la dynastie. Lorsque d'André vit les gardes du corps s'avancer pour exécuter l'ordre dont je viens de parler: «Eh quoi! s'écrie-t-il, aurions-nous la lâcheté de laisser égorger sous nos yeux et sans aucune démarche vigoureuse pour en empêcher, des hommes qui nous donnent un si bel exemple de fermeté et de dévouement! Marchons au-devant des escadrons et sauvons les députés des communes ou périssons avec eux.» Ils partent tous à l'instant; ils barrent le chemin au détachement, enfoncent leurs chapeaux empanachés, mettent l'épée à la main et déclarent au commandant qu'il leur passera sur le corps à tous avant qu'il parvienne aux députés des communes, que c'était à lui à juger les conséquences. Le commandant répond d'abord qu'il ne connaît que ses ordres, et fait un mouvement pour se porter en avant et leur passer sur le corps. Mais ces braves gens étant restés inébranlables à l'approche de cette cavalerie, le commandant n'osa pas aller plus loin; il retourna au château rendre compte de ce qui s'était passé et demander de nouveaux ordres. La Cour effrayée, irrésolue, donna l'ordre de rétrograder. Le fait est notoire et je n'ai aucun doute sur les détails. D'André n'est ni imposteur ni fanfaron, et tous les hommes que je viens de citer étaient capables de toutes sortes de grandes et belles actions. [Note: Mémoires de La Révellière-Lépeaux, t. I, pp. 82-84.]
Des cris de Vive Necker se faisaient entendre jusqu'au château. On voulait le voir, on voulait le prier de rester à la tête des affaires. Dans l'intervalle, il a été demandé chez la reine. Le peuple l'y a suivi, et les cours du château sont restées pleines de monde. M. Necker a passé un instant chez le roi pour lui rendre compte que toutes les caisses étaient fermées à Paris, que la ville entière était prête à se soulever, et que les directeurs de la Caisse d'Escompte arrivaient dans le moment de Paris lui annoncer tous les dangers dont la Caisse était menacée. Le roi a senti que le remède à ces maux était la conservation de son ministère. Il a même exigé dit-on que M. Necker allât depuis le Château jusqu'au Contrôle général à pied, pour se montrer au peuple et l'assurer qu'il restait. Les rues, les fenêtres retentissaient d'applaudissements et de cris répétés de Vive Necker! Dans un instant tous les députés du Tiers-État se sont rendus chez M. Necker pour le féliciter et applaudir avec lui au bonheur de la nation qui le conserve. On l'embrassait, on embrassait Mme Necker et la baronne de Staël, le public embrassait les députés du Tiers, les applaudissait, criait: Vive Necker, vive l'Assemblée nationale! [Note: Journal de l'abbé Coster, dans A. Brette, La Révolution française, t. XXIII, pp. 66-67.]
Le jeudi [25 juin 1789], les soldats du régiment des Gardes françaises ayant abandonné leurs casernes s'étaient répandus dans Paris, allant par bandes dans tous les lieux publics, criant: Vive le Roi, Vive le Tiers! allant boire dans les cabarets, obtenant de l'argent de plusieurs fanatiques qui leur en distribuaient des poignées. Crainte d'une révolte générale, on n'osa les consigner. Le vendredi, ils se répandirent de même dans tous les endroits publics, firent mettre bas les armes à plusieurs patrouilles des gardes suisses qu'ils rencontrèrent et publièrent les deux imprimés ci-joints. M. du Châtelet, accouru à Paris, parvint, en allant lui-même à chaque caserne, à les contenir hier samedi. Et la réunion effectuée ne laissant pas d'animosité entre les partis, il faut espérer qu'on n'aura pas besoin de se servir des troupes, sur lesquelles V.E. voit qu'on ne pourrait faire aucun fonds.
J'apprends à l'instant que le Roi ne peut pas compter davantage sur ses propres gardes du corps. Un maréchal des logis, bas-officier avec rang de lieutenant-colonel, est venu dire, au nom de la troupe, au duc de Guiche, capitaine de quartier, que leur devoir était de garder et de protéger la personne du Roi, mais non de monter à cheval pour se battre avec la canaille; qu'en conséquence ils ne feraient point de patrouilles. Le duc Guiche a cassé le bas-officier. Sur quoi les gardes du corps sont venus présenter au Roi un mémoire, où, en l'assurant de leur attachement pour sa personne, ils ont demandé son rétablissement. Le Roi a mis au bas du mémoire: «j'ai toujours compté sur la fidélité de mes gardes du corps», et il le leur a rendu. Les gardes ont fait dire à M. de Guiche que si on ne leur rendait point leur camarade, à la fin de leur service qui se termine avec le mois de juin, le Roi pouvait disposer de 600 bandoulières, ce qui fait la moitié de tout le corps, y ayant dans ce moment double garde.
Les régiments de Reinach (Suisse) et de Lauzun (hussards) viennent d'arriver. La fidélité des régiments étrangers commence aussi à devenir suspecte. Les bourgeois les séduisent, et les Suisses de Salis-Samade logés à Issy et à Vaugirard ont assuré leurs hôtes qu'au cas où on les fît marcher, ils dévisseraient les batteries de leurs fusils. [Note: Dépêche de Salmour, ministre plénipotentiaire de Saxe, 28 juin 1789, dans FLAMMERMONT, Rapport sur les correspondances des agents diplomatiques étrangers en France avant la Révolution. Nouvelles archives des missions, t. VIII, p. 231.]
Le 24 juin, la majorité du Clergé, désobéissant à son tour au roi se rendit à la délibération du Tiers. Le 25, 47 membres de la noblesse, le duc d'Orléans en tête, en firent autant. Le 27, le roi se résigna à sanctionner ce qu'il ne pouvait plus empêcher. Il ordonna aux deux ordres privilégiés de se réunir au Tiers. Le jour même la réunion est un fait accompli.
Le serment du jeu de paume laissa un vif souvenir parmi les patriotes et une société particulière fut fondée par Gilbert Romme pour en commémorer l'anniversaire.
Les Origines des Cultes révolutionnaires