Saint de Sales Francis

Introduction à la vie dévote

Publié par Good Press, 2022
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EAN 4064066078201

Table des matières


INTRODUCTION
A
LA VIE DÉVOTE,
DE
SAINT FRANÇOIS DE SALES,
ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENÈVE,
INSTITUTEUR DE L'ORDRE DE LA VISITATION DE SAINTE MARIE.
SENTIMENT D'ALEXANDRE VII
Sur cet ouvrage, et les autres écrits de saint François de Sales.
ORAISON
DÉDICATOIRE.
PRÉFACE.
INTRODUCTION
A
LA VIE DÉVOTE.
PREMIÈRE PARTIE.
CONTENANT LES AVIS ET LES EXERCICES PROPRES A CONDUIRE L'AME, DEPUIS SON PREMIER DÉSIR DE LA VIE DÉVOTE, JUSQU'A UNE FERME RÉSOLUTION DE L'EMBRASSER.
CHAPITRE PREMIER.
Description de la vraie dévotion.
CHAPITRE II.
Propriétés et excellence de la dévotion.
CHAPITRE III.
Que la dévotion convient à toutes sortes de vocations et de professions.
CHAPITRE IV.
De la nécessité d'un directeur pour entrer et pour avancer dans la dévotion.
CHAPITRE V.
Qu'il faut commencer par purifier l'ame.
CHAPITRE VI.
Du premier retranchement, qui est celui des péchés mortels.
CHAPITRE VII.
Du second retranchement, qui est celui des affections au péché.
CHAPITRE VIII.
Du moyen de faire ce second retranchement.
CHAPITRE IX.
Première méditation.—De la création.
CHAPITRE X.
CHAPITRE XI.
Troisième méditation.—Des bienfaits de Dieu.
CHAPITRE XII.
Quatrième méditation.—Des péchés.
CHAPITRE XIII.
Cinquième méditation.—De la mort.
CHAPITRE XIV.
Sixième méditation.—Du jugement.
CHAPITRE XV.
Septième méditation.—De l'Enfer.
CHAPITRE XVI.
Huitième méditation.—Du paradis.
CHAPITRE XVII.
Neuvième méditation.—Sur le choix du paradis.
CHAPITRE XVIII.
Dixième méditation.—Sur le choix de la vie dévote.
CHAPITRE XIX.
Comment il faut faire la confession générale.
CHAPITRE XX.
Protestation authentique, pour graver dans l'ame la résolution de servir Dieu, et pour conclure les actes de pénitence.
CHAPITRE XXI.
Conclusion de ce qui a été dit du premier degré de pureté de l'ame.
CHAPITRE XXII.
Qu'il faut se délivrer de toute affection aux péchés véniels.
CHAPITRE XXIII.
Qu'il se faut défaire de l'affection aux choses inutiles et dangereuses.
CHAPITRE XXIV.
Qu'il se faut défaire des mauvaises inclinations.
SECONDE PARTIE
CONTENANT DIVERS AVIS POUR L'ÉLÉVATION DE L'AME A DIEU PAR L'ORAISON ET LES SACREMENS.
CHAPITRE PREMIER.
De la nécessité de l'Oraison.
CHAPITRE II.
Courte méthode pour bien méditer. Et d'abord de la présence de Dieu; premier point de la préparation.
CHAPITRE III.
De l'invocation; second point de la préparation.
CHAPITRE IV.
De la proposition du mystère; troisième point de la préparation.
CHAPITRE V.
Des considérations; seconde partie de la méditation.
CHAPITRE VI.
Des affections et des résolutions; troisième partie de la méditation.
CHAPITRE VII.
De la conclusion et du bouquet spirituel.
CHAPITRE VIII.
Quelques avis très-utiles, au sujet de la méditation.
CHAPITRE IX.
Des sécheresses d'esprit qui arrivent dans la méditation.
CHAPITRE X.
De quelques autres exercices, et premièrement de l'exercice du matin.
CHAPITRE XI.
De l'exercice du soir et de l'examen de conscience: second exercice.
CHAPITRE XII.
De la retraite spirituelle: troisième exercice.
CHAPITRE XIII.
Des aspirations ou oraisons jaculatoires, et des bonnes pensées; quatrième exercice.
CHAPITRE XIV.
De la très-sainte Messe, et de la manière de l'entendre; cinquième exercice.
CHAPITRE XV.
Des autres exercices de dévotion publics et communs.
CHAPITRE XVI.
Qu'il faut honorer et invoquer les saints.
CHAPITRE XVII.
Comment il faut entendre et lire la parole de Dieu.
CHAPITRE XVIII.
Comment il faut recevoir les inspirations.
CHAPITRE XIX.
De la sainte confession.
CHAPITRE XX.
De la fréquente communion.
CHAPITRE XXI.
Comment il faut communier.
TROISIÈME PARTIE
CONTENANT PLUSIEURS AVIS TOUCHANT À L'EXERCICE DES VERTUS.
CHAPITRE PREMIER.
Du choix que l'on doit faire quant à l'exercice des vertus.
CHAPITRE II.
Suite du même sujet.
CHAPITRE III.
De la patience.
CHAPITRE IV.
De l'humilité pour l'extérieur.
CHAPITRE V.
De l'humilité plus intérieure.
CHAPITRE VI.
Que l'humilité nous fait aimer notre propre abjection.
CHAPITRE VII.
Comment il faut conserver la bonne renommée en pratiquant l'humilité.
CHAPITRE VIII.
De la douceur envers le prochain, et du remède contre la colère.
CHAPITRE IX.
De la douceur envers nous-mêmes.
CHAPITRE X.
Qu'il faut s'appliquer aux affaires avec soin, sans empressement ni trouble.
CHAPITRE XI.
De l'obéissance.
CHAPITRE XII.
De la nécessité de la chasteté.
CHAPITRE XIII.
Avis pour conserver la chasteté.
CHAPITRE XIV.
De la pauvreté d'esprit au milieu des richesses.
CHAPITRE XV.
Comment il faut pratiquer la pauvreté réelle au milieu des richesses.
CHAPITRE XVI.
Comment il faut pratiquer la richesse d'esprit au milieu de la pauvreté réelle.
CHAPITRE XVII.
De l'amitié, et premièrement de la mauvaise.
CHAPITRE XVIII.
Des amitiés sensuelles.
CHAPITRE XIX.
Des vraies amitiés.
CHAPITRE XX.
De la différence qu'il y a entre les vraies et les vaines amitiés.
CHAPITRE XXI.
Avis et remèdes contre les mauvaises amitiés.
CHAPITRE XXII.
Quelques autres avis sur les amitiés.
CHAPITRE XXIII.
Des exercices de mortification extérieure.
CHAPITRE XXIV.
Des compagnies et de la solitude.
CHAPITRE XXV.
De la bienséance des habits.
CHAPITRE XXVI.
De parler, et premièrement comment il faut parler de Dieu.
CHAPITRE XXVII.
De l'honnêteté des paroles, et du respect que l'on doit aux personnes.
CHAPITRE XXVIII.
Des jugemens téméraires.
CHAPITRE XXIX.
De la médisance.
CHAPITRE XXX.
Quelques autres avis touchant le parler.
CHAPITRE XXXI.
Des passe-temps et des jeux; et premièrement de ceux qui sont permis et louables.
CHAPITRE XXXII.
Des jeux défendus.
CHAPITRE XXXIII.
Des bals et autres passe-temps permis, mais dangereux.
CHAPITRE XXXIV.
Quand on peut jouer ou danser.
CHAPITRE XXXV.
Qu'il faut être fidèle dans les petites choses aussi bien que dans les grandes.
CHAPITRE XXXVI.
Qu'il faut avoir l'esprit juste et raisonnable.
CHAPITRE XXXVII.
Des désirs.
CHAPITRE XXXVIII.
Avis pour les gens mariés.
CHAPITRE XXXIX.
De l'honnêteté du lit nuptial.
CHAPITRE XL.
Avis pour les veuves.
CHAPITRE XLI.
Deux mots aux vierges.
QUATRIÈME PARTIE
CONTENANT LES AVIS NÉCESSAIRES CONTRE LES TENTATIONS LES PLUS ORDINAIRES.
CHAPITRE PREMIER.
Qu'il ne faut point s'amuser aux paroles des enfans du siècle.
CHAPITRE II.
Qu'il faut avoir bon courage.
CHAPITRE III.
De la nature des tentations, et de la différence qu'il y a entre sentir la tentation et y consentir.
CHAPITRE IV.
Deux exemples remarquables sur ce sujet.
CHAPITRE V.
Encouragement à l'ame qui est dans la tentation.
CHAPITRE VI.
Comment la tentation et la délectation peuvent être péchés.
CHAPITRE VII.
Remède aux grandes tentations.
CHAPITRE VIII.
Qu'il faut résister aux petites tentations.
CHAPITRE IX.
Comment il faut remédier aux petites tentations.
CHAPITRE X.
Comment il faut fortifier son cœur contre les tentations.
CHAPITRE XI.
De l'inquiétude.
CHAPITRE XII.
De la tristesse.
CHAPITRE XIII.
Des consolations spirituelles et sensibles, et comment il faut s'en servir.
CHAPITRE XIV.
Des sécheresses et des stérilités spirituelles.
CHAPITRE XV.
Confirmation et éclaircissement de ce qui a été dit, par un exemple remarquable.
CINQUIÈME PARTIE
CONTENANT DES EXERCICES ET DES AVIS PROPRES A RENOUVELER L'AME, ET A LA CONFIRMER DANS LA DÉVOTION.
CHAPITRE PREMIER.
Qu'il faut chaque année renouveler ses bons propos par les exercices suivans.
CHAPITRE II.
Considération sur la grâce que Dieu nous a faite en nous appelant à son service, conformément à la protestation indiquée en première partie.
CHAPITRE III.
De l'examen de notre ame sur son avancement dans la vie dévote.
CHAPITRE IV.
Examen de l'état de notre ame envers Dieu.
CHAPITRE V.
Examen de l'état de notre ame envers nous-mêmes.
CHAPITRE VI.
Examen de l'état de notre ame envers le prochain.
CHAPITRE VII.
Examen sur les affections de notre ame.
CHAPITRE VIII.
Affections qui doivent suivre l'examen.
CHAPITRE IX.
Des considérations propres à renouveler nos bons propos.
CHAPITRE X.
Première considération. Sur l'excellence de nos ames.
CHAPITRE XI.
Seconde considération. Sur l'excellence des vertus.
CHAPITRE XII.
Troisième considération. Sur l'exemple des saints.
CHAPITRE XIII.
Quatrième considération. Sur l'amour que Jésus-Christ nous porte.
CHAPITRE XIV.
Cinquième considération. Sur l'amour éternel de Dieu pour nous.
CHAPITRE XV.
Affections générales sur les considérations précédentes, et conclusion de l'exercice.
CHAPITRE XVI.
Des sentimens qu'il faut conserver après cet exercice.
CHAPITRE XVII.
Réponses à deux objections qui peuvent être faites sur cette Introduction.
CHAPITRE XVIII.
Trois derniers et principaux avis pour cette Introduction.
Manière de réciter devotement le chapelet, et de bien servir la Vierge Marie.
Oraison de l'Eglise pour le jour de la fête de saint François de Sales, composée par le pape Alexandre VII.
FIN.

INTRODUCTION

A

LA VIE DÉVOTE,

Table des matières

DE

Table des matières

SAINT FRANÇOIS DE SALES,

Table des matières

ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENÈVE,

INSTITUTEUR DE L'ORDRE DE LA VISITATION DE SAINTE MARIE.

Table des matières

Édition corrigée A. M. D. G.

A LYON, CHEZ PERISSE FRÈRES, LIBRAIRES, rue Mercière, nº 33.

A PARIS, AU DÉPÔT DE LIBRAIRIE DE PERISSE FRÈRES, place Saint-André-des Arts, nº 11.

1832.


SENTIMENT D'ALEXANDRE VII

Table des matières

Sur cet ouvrage, et les autres écrits de saint François de Sales.

Table des matières

Mon cher neveu, c'est avec regret que j'ai souffert votre absence et notre séparation; mais il nous faut rejoindre par le commerce des lettres; et pour le commencer par un sujet digne de vous et de moi, je ne saurois, ce me semble, mieux faire que de vous continuer le discours que je vous faisois sur le point de votre départ. Je vous conjure donc, encore une fois, de faire vos délices et plus chères études des œuvres de M. de Sales, d'être son lecteur assidu, son fils obéissant, et son imitateur fidèle. C'est à sa Philothée, qui est la meilleure guide qu'on puisse prendre pour se conduire dans le chemin de la vertu, que je dois depuis vingt ans, après Dieu, la correction de mes mœurs; et s'il y a quelque chose en moi exempt de vice, je lui en ai obligation. Je l'ai lue une infinité de fois, et je ne saurois me passer de la relire; elle ne perd jamais pour moi la grâce de la nouveauté, et toutes les fois qu'elle repasse sous mes yeux, il me semble qu'elle me dit toujours quelque chose de plus que ce qu'elle m'avoit dit auparavant. Si vous m'en croyez, ce livre sera le miroir de votre vie, et la règle sur quoi vous prendrez la mesure de toutes vos actions, et de toutes vos pensées. Il ne vous oblige pas à l'austérité et à la solitude d'un ermite; il ne vous persuade pas d'entreprendre un genre de vie extraordinaire; son dessein est de vous mener au bout de la perfection chrétienne, et de vous instruire dans la solide piété, par une voie douce et facile, qui s'accommode admirablement à toutes les différentes conditions des hommes, quelque basses ou relevées qu'elles puissent être. Si la vertu, disoit un ancien, pouvoit nous être représentée avec des couleurs assez vives, et des traits dignes de son mérite, elle attireroit tous les mortels à son amour, avec une ardeur et une passion extrêmes. Il me semble, certes, que le grand François de Sales a réussi parfaitement dans ce dessein; en effet, il nous l'a représentée au vif avec tout l'éclat de sa majesté, et tous les attraits de ses beautés et de ses grâces. Mais ce qui est le plus digne de louange, et le plus agréable en cet excellent écrivain, c'est que se proposant Notre-Seigneur pour son modèle, il a commencé à bien faire avant que de bien dire, et que son premier soin a été d'exécuter lui-même ce qu'il devoit enseigner aux autres. De sorte qu'on peut dire avec raison, que ceux qui étudient ses livres, étudient encore sa vie, et que ses préceptes et ses avis sont d'autant plus faciles à pratiquer, qu'ils sont prévenus et autorisés de son exemple. Cet homme, né dans une famille noble et riche, élevé dans la vertu et les belles-lettres, de la manière dont on a accoutumé d'instruire les enfans de bonne maison, a paru dans la cour des rois, et les palais des princes, dans les maisons des particuliers, dans les compagnies de ses amis, dans les affaires du monde, dans les exercices de dévotion: bref, dans tous les emplois de sa charge épiscopale, avec une conduite et une sainteté merveilleuses; tellement que nous avons bien sujet de nous couvrir de rougeur et de honte, et de condamner notre lâcheté, nous, à qui le prétexte, ou de la coutume du monde, ou de l'occupation des grandes affaires, ou de la condition de notre naissance, sert d'excuse ordinaire pour nous dispenser de vivre dans les règles exactes de la piété chrétienne. Or ce que je dis de la Philothée, je le dis encore du Théotime: je veux dire, de ce livre tout d'or de l'amour divin; bref, de tous les autres ouvrages de ce grand homme, je vous avoue que les lisant souvent, et de nuit, je me suis fait comme une idée en moi-même, et un recueil de ses plus beaux sentimens, et des points principaux de sa doctrine, que je rumine puis après à mon loisir, que je goûte et que je fais passer, pour ainsi dire, dans mon estomac, afin de le transformer en mon sang et en ma substance. Voilà mon sentiment touchant ce saint homme, mon cher neveu, dont je vous fais part, vous exhortant de tout mon cœur à le suivre: car en vérité, si vous le prenez pour le censeur et le guide de votre vie, si vous pratiquez en sa personne ce que Sénèque même nous enseigne, qu'il nous faut choisir l'exemple de quelque homme illustre, qui serve de patron à notre conduite, et en présence de qui nous nous imaginions d'être et d'agir en toutes occasions, ni je n'aurai sujet de me repentir du conseil que je vous donne, ni vous de l'avoir mis en exécution. Je finis, mon cher neveu, en vous disant avec Horace:

Adieu, vivez content, et si vous savez quelque chose de meilleur que ces avis, je vous prie de m'en faire part en toute sincérité; sinon, servez-vous comme moi de ceux-ci, et faites-en votre profit.


ORAISON

DÉDICATOIRE.

Table des matières

O doux Jésus! mon Seigneur, mon Sauveur et mon Dieu, me voici prosterné devant votre Majesté, vouant et consacrant cet écrit à votre gloire. Animez-en les paroles de votre sainte bénédiction, afin que les ames pour lesquelles je l'ai fait, en puissent recevoir les inspirations que je leur désire, et particulièrement celle d'implorer sur moi votre immense miséricorde, afin qu'en montrant aux autres le chemin de la dévotion en ce monde, je ne sois pas réprouvé et confondu éternellement dans l'autre; mais qu'à jamais je chante avec eux pour cantique de triomphe le mot que de tout mon cœur je prononce maintenant en témoignage de fidélité parmi les hasards de cette vie mortelle: Vive Jésus! vive Jésus! Oui, Seigneur Jésus, vivez et régnez en nos cœurs par tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


PRÉFACE.

Table des matières

Mon cher lecteur, je vous prie de lire cette Préface pour votre satisfaction et la mienne.

La bouquetière Glycera savoit si bien diversifier la disposition et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisoit une grande variété de bouquets: de sorte que le peintre Pausias demeura court quand il voulut imiter cette diversité d'ouvrages; car il ne put changer sa peinture en autant de manières que Glycera faisoit ses bouquets. Ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignemens qu'il nous donne sur la dévotion par la plume et la bouche de ses serviteurs, que la doctrine restant toujours la même, les discours néanmoins qui s'en font sont bien différens, selon les diverses formes qu'ils reçoivent. Je ne puis certes ni ne veux écrire en cette Introduction que ce qui a déjà été dit avant moi sur ce sujet. Ce sont les mêmes fleurs que je présente à mon lecteur, mais le bouquet que j'en ai fait sera différent des autres, à cause de la forme que je lui ai donnée.

Ceux qui ont traité de la dévotion ont presque tous regardé l'instruction des personnes retirées du monde: on du moins ils ont enseigné une sorte de dévotion qui conduit à cette entière retraite. Pour moi j'ai l'intention d'instruire ceux qui vivent dans les villes, dans leur ménage, à la cour, et qui par leur condition sont obligés de mener une vie commune quant à l'extérieur, lesquels bien souvent, sous le prétexte d'une prétendue impossibilité, ne veulent pas même penser à l'entreprise de la vie dévote, s'imaginant que, comme aucun animal n'ose goûter de la graine du Palma Christi, nul homme aussi ne doit prétendre à la palme de la piété chrétienne, tandis qu'il vit parmi les embarras des affaires temporelles. Or je leur montre ici le contraire; car, de même que les mères-perles vivent au sein de la mer sans prendre une seule goutte d'eau marine; que vers les îles Chélidoines il y a des fontaines d'eau douce au milieu des eaux salées de l'océan, et que les pyraustes volent à travers les flammes sans se brûler les ailes; de même aussi une ame vigoureuse et constante peut vivre dans le monde sans prendre l'humeur mondaine, trouver les sources d'une douce piété parmi les ondes amères du siècle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres sans brûler les ailes des saints désirs de la vie dévote. Il est vrai que cela est malaisé; aussi voudrois-je que plusieurs y employassent leur soin avec plus d'ardeur qu'on ne l'a fait jusqu'à présent; et c'est pourquoi, tout foible que je suis, je vais essayer par cet écrit de soutenir les cœurs généreux qui feront cette digne entreprise.

Toutefois si cette Introduction voit le jour, ce n'a pas été de mon choix et de mon propre mouvement. Il y a quelque temps qu'une ame vraiment pleine d'honneur et de vertu, se sentant pressée par la grâce de Dieu d'entrer dans la vie dévote, me pria de l'assister en ce bon dessein; et moi qui lui étois fort dévoué par toutes sortes de devoirs, et qui avois depuis long-temps remarqué en elle de grandes dispositions à la piété, je me rendis fort soigneux à la bien instruire; et l'ayant conduite par tous les exercices convenables à ses désirs et à sa condition, je lui en laissai des mémoires par écrit, afin qu'elle pût y recourir en cas de besoin. Depuis elle les communiqua à un docte et dévot religieux, qui, croyant que plusieurs personnes en pourroient profiter, m'exhorta fort à les rendre publics; ce qu'il n'eut pas de peine à me persuader, parce que son amitié avoit beaucoup d'empire sur ma volonté, et son jugement un grand ascendant sur le mien.

Or, afin de rendre cet ouvrage plus utile et plus agréable, je l'ai revu, j'y ai mis quelque ordre, et j'y ai ajouté plusieurs instructions qui alloient à mon but: mais tout cela, je l'ai fait presque sans en avoir le loisir. C'est pourquoi l'on ne verra rien ici que de très-imparfait, qu'un amas d'avertissemens que je donne de bonne foi, en tâchant de les expliquer le plus clairement que je puis. Et quant aux ornemens du style, je n'y ai pas seulement voulu penser, comme ayant assez d'autres choses à faire sans cela.

J'adresse mes paroles à Philothée, parce que, voulant rapporter à l'utilité commune des ames ce que j'avois d'abord écrit pour une seule, je dois me servir d'un nom commun à tous ceux qui aspirent à la dévotion; et ce nom, c'est Philothée, qui veut dire celui ou celle qui aime Dieu.

Considérant donc en tout ceci une ame qui, par le désir de la dévotion, aspire à l'amour de Dieu, j'ai partagé cette Introduction en cinq parties. Dans la première, je tâche, par les considérations et les exercices convenables, de changer le simple désir de Philothée en une résolution formelle d'embrasser la dévotion; ce qu'elle fait, après sa confession générale, par une solide protestation qui est suivie de la très-sainte communion, dans laquelle recevant son Sauveur et se donnant à lui, elle entre heureusement dans son saint amour. Après cela, pour la conduire plus avant, je lui montre deux grands moyens de s'unir de plus en plus à la divine Majesté: savoir, l'usage des sacremens, par lesquels ce bon Dieu vient à nous; et la sainte oraison, par laquelle il nous tire à lui: c'est ce qui compose la seconde partie. Dans la troisième, je montre à Philothée comment elle doit s'exercer en plusieurs vertus très-propres à son avancement; ce que je fais par certains avis particuliers qu'elle auroit peine à trouver ailleurs, ou par elle-même. Dans la quatrième, je lui découvre quelques embûches de ses ennemis, et lui montre comme elle doit s'en démêler et passer outre. Enfin, dans la cinquième partie, je la conduis à l'écart pour se rafraîchir un peu, reprendre haleine et réparer ses forces, de manière à pouvoir ensuite plus heureusement gagner pays, et s'avancer en la vie dévote.

Notre siècle est fort bizarre; et je prévois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux, et aux gens de dévotion, de donner ainsi des règles particulières à la piété; que cela requiert plus de loisir que n'en peut avoir un évêque chargé d'un diocèse aussi pesant que le mien, et que cela détourne trop l'entendement qui doit être occupé de choses importantes.

Mais, mon cher lecteur, je répons, avec le grand saint Denis, qu'il appartient principalement aux évêques de perfectionner les ames; parce qu'étant de l'ordre suprême parmi les hommes, comme les séraphins parmi les anges, leur loisir ne peut être mieux employé qu'à cela. Les anciens évêques et les Pères de l'Eglise étoient pour le moins aussi affectionnés à leurs charges que nous; et cependant ils ne laissoient pas de vaquer à la conduite particulière de plusieurs ames qui recouroient à eux, comme on le voit par leurs épîtres; imitant en cela les apôtres, qui, tout occupés qu'ils étoient de la moisson générale de l'univers, recueilloient néanmoins très-soigneusement et avec une affection spéciale certains épis plus remarquables que les autres. Qui ne sait que Timothée, Tite, Philémon, Onésime, sainte Thècle, Appia, étoient les chers enfans du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Pétronille de saint Pierre? Je dis sainte Pétronille, car elle ne fut pas sa fille selon la chair, mais bien selon l'esprit, ainsi que le prouvent très-savamment Baronius et Galonius; et saint Jean n'écrit-il pas une de ses épîtres canoniques à la dévote dame Electa?

C'est une peine, je le confesse, de conduire les ames en particulier; mais une peine qui soulage, pareille en ce point à celle des moissonneurs et des vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que lorsqu'ils sont fort occupés et chargés. C'est un travail qui délasse et avise le cœur par la consolation qui en revient à ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinamome à ceux qui le portent à travers l'Arabie Heureuse. On dit que lorsque la tigresse retrouve un de ses petits que le chasseur lui laisse exprès sur le chemin pour l'amuser tandis qu'il emporte les autres, elle s'en charge aussitôt, tel gros qu'il soit, et, loin d'en être plus pesante, n'en est au contraire que plus prompte à le sauver dans sa tanière, l'amour naturel l'allégeant par ce fardeau. Or, combien plus volontiers un cœur paternel se chargera-t-il d'une ame qu'il aura trouvée dans un vrai désir de la sainte perfection, la portant en son sein comme une mère porte son petit enfant, sans nullement se ressentir de ce faix bien-aimé!

Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel: et c'est pourquoi les apôtres et les hommes apostoliques appellent leurs disciples non-seulement leurs enfans, mais encore plus tendrement leurs petits enfans.

Au demeurant, mon cher lecteur, il est vrai que j'écris de la vie dévote sans être dévot, mais non pas certes sans désir de le devenir. Et c'est encore ce qui me porte avec plus d'affection à vouloir vous en instruire. Car, comme disoit un savant homme, la bonne façon d'apprendre, c'est d'étudier; une meilleure, c'est d'écouter; mais la très-bonne, c'est d'enseigner; et il arrive souvent, dit saint Augustin en écrivant à la pieuse Florentine, que l'office de donner sert de titre pour recevoir, et que la charge d'enseigner sert de fondement pour apprendre.

Alexandre fit peindre la belle Compaspé, qui lui étoit si chère, par la main du célèbre Apelles. Apelles, forcé de considérer longuement Compaspé, en imprima l'amour en son cœur à mesure qu'il en exprimoit les traits sur le tableau; si bien qu'Alexandre s'en étant aperçu, en eut pitié, et la lui donna généreusement en mariage, se privant pour l'amour de lui de la plus chère amie qu'il eût au monde. En quoi, dit Pline, il montra sa grandeur d'ame, plus qu'il n'eût fait par le gain d'une bataille. Or il me semble, mon lecteur mon ami, qu'étant évêque, Dieu veut que je peigne sur les cœurs non-seulement les vertus communes, mais encore sa très-chère et bien-aimée dévotion; et moi je l'entreprends volontiers, tant pour obéir et faire mon devoir, que pour l'espérance que j'ai qu'en la gravant dans l'esprit des autres, le mien à l'aventure en deviendra saintement amoureux. Or, si jamais Dieu m'en voit vivement épris, il me la donnera en mariage éternel. La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut choisie pour être son épouse, et reçut de sa part des pendans d'oreilles et des bracelets d'or. Ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu que, conduisant ses chères brebis aux eaux salutaires de la dévotion, il rendra mon ame son épouse, mettant en mes oreilles les paroles dorées de son saint amour, et en mes bras la force de les bien pratiquer; en quoi consiste essentiellement la vraie dévotion, que je supplie sa divine Majesté de vouloir bien m'accorder, à moi et à tous les enfans de son Eglise, à laquelle je veux à jamais soumettre mes écrits, mes actions, mes paroles, mes volontés et mes pensées.

A Annecy, le jour de sainte Magdeleine, 1608.


INTRODUCTION

A

LA VIE DÉVOTE.

Table des matières

PREMIÈRE PARTIE.

Table des matières

CONTENANT LES AVIS ET LES EXERCICES PROPRES A CONDUIRE L'AME, DEPUIS SON PREMIER DÉSIR DE LA VIE DÉVOTE, JUSQU'A UNE FERME RÉSOLUTION DE L'EMBRASSER.

Table des matières

CHAPITRE PREMIER.

Table des matières

Description de la vraie dévotion.

Table des matières

Vous aspirez à la dévotion, très-chère Philotée, parce qu'étant chrétienne, vous savez que c'est une vertu extrêmement agréable à la divine Majesté. Mais, comme il arrive que les petites fautes que l'on commet au commencement d'une affaire s'agrandissent beaucoup à mesure qu'on avance, et deviennent à la fin presque irréparables, il faut, avant toutes choses, que vous sachiez bien ce que c'est que la vertu de dévotion; car il n'y en a qu'une de vraie, et il y en a beaucoup de fausses et de vaines; en sorte que, sans ce discernement, vous pourriez vous tromper, et perdre le temps à suivre quelque dévotion imprudente et superstitieuse.

Le peintre Arélius donnoit à tous ses personnages la figure des personnes qu'il aimoit; et chacun peint la dévotion selon sa passion et son humeur. Celui qui est adonné au jeûne se tiendra pour bien dévot pourvu qu'il jeûne, quoique son cœur soit plein de rancune; et n'osant pas tremper sa langue dans le vin, ni même dans l'eau, par sobriété, il ne se fera pas scrupule de la plonger dans le sang du prochain, par la médisance et la calomnie. Un autre s'estimera dévot parce qu'il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours, quoiqu'après cela il se répande en paroles fâcheuses, fières et injurieuses contre ses domestiques et ses voisins. Tel autre tire volontiers l'aumône de sa bourse pour la donner aux pauvres, mais il ne peut tirer la douceur de son cœur pour pardonner à ses ennemis. Celui-ci pardonne aisément, mais de payer ses créanciers, c'est ce qu'il ne fait qu'à vive force de justice. Tous ces gens-là passent pour dévots, et ne le sont en aucune manière. Les officiers de Saül étant allés chez David pour l'arrêter, Michol mit une statue dans son lit, et l'ayant couverte des habits de David, elle leur fit accroire que c'étoit David lui-même qui dormoit malade. Ainsi beaucoup de personnes se couvrent de certaines pratiques extérieures qui appartiennent à la dévotion, et le monde croit que ce sont vraiment des gens dévots et spirituels, et dans le fait ce ne sont que des statues et des fantômes de dévotion.

La vraie et solide dévotion, Philothée, présuppose l'amour de Dieu, ou plutôt elle n'est autre chose qu'un vrai amour de Dieu; je dis un vrai amour, et non pas un amour tel quel; car en tant que l'amour divin embellit notre ame, il s'appelle grâce, comme nous rendant agréables aux yeux de Dieu; en tant qu'il nous donne la force de faire le bien, il s'appelle charité; mais quand il en est venu à ce degré de perfection, de nous porter non-seulement à faire le bien, mais encore à le faire soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s'appelle dévotion, et j'explique ceci par une comparaison. Les autruches ne volent jamais, bien qu'elles aient des ailes. Les poules volent, mais pesamment, rarement, et fort bas. Au contraire, les aigles, les colombes, les hirondelles ont le vol vif, élevé et presque continuel. Ainsi les pécheurs ne volent pas en Dieu, mais font toutes leurs courses sur la terre et pour la terre: les gens de bien, qui n'ont pas encore atteint la dévotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment: et il n'y a que les personnes dévotes qui s'élèvent en Dieu d'un vol prompt, fréquent et élevé. En un mot, la dévotion n'est autre chose qu'une certaine agilité et vivacité spirituelle, par laquelle la charité fait ses œuvres en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnément; et comme il appartient à la charité de nous faire pratiquer universellement tous les commandemens de Dieu, il appartient à la dévotion de nous les faire observer avec toute la diligence et toute la ferveur possibles. Ainsi celui qui n'observe pas tous les commandemens de Dieu, n'est ni juste ni dévot: il n'est pas juste, puisqu'il lui manque la charité; il n'est pas dévot, puisque, outre la charité, il lui manque le zèle et la promptitude aux actions charitables, qui est le propre de la dévotion.

Et parce que la dévotion consiste dans la perfection de la charité, elle nous rend prompts, actifs et diligens, non-seulement à observer tous les commandemens de Dieu, mais encore à faire le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encore qu'elles ne soient pas de précepte, mais simplement de conseil ou d'inspiration. Un homme qui relève nouvellement de maladie marche autant qu'il lui est nécessaire, mais lentement et pesamment: il en est de même d'un pécheur nouvellement guéri de son iniquité; il marche autant que Dieu le lui commande; mais posément et lentement; et ce n'est que lorsqu'il a atteint la dévotion, que, comme un homme sain et robuste, non-seulement il chemine, mais il court et il saute en la voie des commandemens de Dieu, et de plus, il s'élance dans les sentiers des conseils et des inspirations célestes. Enfin la charité et la dévotion ne sont pas plus différentes l'une de l'autre que la flamme ne l'est du feu; puisque la charité, qui est le feu spirituel de l'ame, s'appelle dévotion quand elle est fort enflammée. En sorte que la dévotion n'ajoute rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente non-seulement dans l'observation des commandemens de Dieu, mais aussi dans la pratique des conseils et des inspirations célestes.


CHAPITRE II.

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Propriétés et excellence de la dévotion.

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Ceux qui vouloient détourner les Israélites d'entrer en la terre promise leur disoient que c'étoit un pays qui dévoroit ses habitans, c'est-à-dire, que l'air y étoit si mauvais qu'on ne pouvoit y vivre long-temps; et qu'en outre les habitans étoient des gens si prodigieux qu'ils mangeoient les autres hommes comme des sauterelles. C'est ainsi, chère Philothée, que le monde diffame tant qu'il peut la sainte dévotion, peignant les personnes dévotes avec un visage fâcheux, triste et chagrin, publiant partout que la dévotion rend l'humeur mélancolique et le caractère insupportable. Mais, comme Josué et Caleb assuroient que, non-seulement la terre promise étoit bonne et belle, mais encore que la possession en seroit douce et agréable, de même le Saint-Esprit nous enseigne par la bouche de tous les saints, et notre Seigneur lui-même nous assure que la vie dévote est une vie heureuse, aimable et douce.

Le monde voit que les dévots jeûnent, prient, souffrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, répriment leur colère, font violence à leurs passions, se privent des plaisirs sensuels, et font mille autres choses qui de leur nature sont pénibles et rigoureuses; mais le monde ne voit pas la dévotion intérieure qui rend toutes ces pratiques agréables, douces et faciles. Regardez les abeilles sur le thym: elles y trouvent un suc fort amer; mais en le suçant elles le convertissent en miel: parce que telle est leur propriété. O mondains! il est vrai que les ames dévotes trouvent beaucoup d'amertume dans leurs mortifications; mais en les faisant, elles les convertissent en douceurs et en consolations: les feux, les flammes, les roues, les épées, sembloient des fleurs et des parfums aux Martyrs, parce qu'ils étoient dévots. Que si la dévotion peut donner de la douceur aux plus cruels tourmens, et à la mort même, que ne fera-t-elle pas pour les actions de vertu? le sucre adoucit les fruits qui ne sont pas murs, et corrige dans ceux qui sont murs l'effet souvent nuisible de leur crudité: il en est de même de la dévotion; elle est le vrai sucre spirituel qui fait perdre aux mortifications leur amertume, et aux consolations leur danger: elle ôte le chagrin aux pauvres, et l'empressement aux riches; la désolation à l'oppressé, et l'insolence au favorisé; la tristesse aux solitaires, et la dissolution à l'homme du monde; elle sert de feu en hiver, et de rosée en été; elle rend également utiles l'honneur et le mépris; elle reçoit le plaisir et la peine avec un cœur presque toujours égal, et nous remplit d'une suavité merveilleuse.

Contemplez l'échelle de Jacob, car c'est le vrai portrait de la vie dévote. Les deux montans de cette échelle représentent l'oraison qui demande l'amour de Dieu, et l'usage des sacremens qui le donne; les échelons ne sont autre chose que les divers degrés de charité, par lesquels on va de vertu en vertu, en descendant par l'action au secours et support du prochain, ou montant, par la contemplation, jusqu'à l'union amoureuse de Dieu. Or, voyez, je vous prie, quels sont ceux qui sont sur l'échelle; ce sont des hommes qui ont des cœurs angéliques, ou des anges qui ont des corps humains. Ils ne sont pas jeunes, mais ils le paroissent, parce qu'ils sont pleins de vigueur et d'agilité. Ils ont des ailes pour voler et s'élancer en Dieu par la sainte oraison, mais ils ont aussi des pieds pour marcher avec les hommes et s'entretenir avec eux dans un saint et aimable commerce. La beauté et la joie brillent sur leurs visages, pour indiquer qu'ils reçoivent toutes choses avec une douceur et une paix parfaites. Ils ont la tête nue, aussi-bien que les bras et les pieds, parce que leurs pensées, leurs affections et leurs œuvres n'ont d'autre but que de plaire à Dieu. Le reste de leur corps est couvert, mais d'une belle et légère tunique, qui nous montre que, s'ils usent de ce monde et des choses mondaines, c'est en toute pureté et simplicité de cœur, n'en prenant que légèrement et autant seulement que leur condition l'exige. Telles sont les personnes dévotes. Croyez-moi, chère Philothée, la dévotion est la douceur des douceurs, et la reine des vertus; c'est la perfection de la charité. Si la charité est un lait, la dévotion en est la crème; si elle est une plante, la dévotion en est la fleur; si elle est une pierre précieuse, la dévotion en est l'éclat; si elle est un baume, la dévotion en est l'odeur, et l'odeur pleine de suavité qui conforte les hommes et réjouit les anges.


CHAPITRE III.

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Que la dévotion convient à toutes sortes de vocations et de professions.

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Dieu, en créant le monde, commanda aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son espèce. Ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, de produire des fruits de dévotion, chacun selon sa qualité et son état. La dévotion doit être différemment pratiquée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la femme mariée; et non-seulement cela, mais il faut encore accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous le demande, Philothée, seroit-il convenable que l'évêque voulût être solitaire comme les chartreux? et si les gens mariés ne vouloient pas plus amasser que les capucins, et si l'artisan étoit tout le jour à l'église comme le religieux, et le religieux exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'évêque; cette dévotion ne seroit-elle pas ridicule, déréglée et insupportable? Cette faute cependant arrive très-souvent; et le monde, qui ne distingue pas, ou qui ne veut pas distinguer entre la dévotion et l'indiscrétion de ceux qui se croient dévots, murmure et crie contre la dévotion, qui n'est pour rien dans ces désordres.

Non, Philothée, la dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ou plutôt il n'est rien qu'elle ne perfectionne; et si elle nuit à la vocation légitime de quelqu'un, c'est une preuve qu'elle est fausse. L'abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs, sans les endommager aucunement, les laissant fraîches et entières comme elle les a trouvées. Mais la vraie dévotion fait encore mieux, car non-seulement elle ne gâte en rien les vocations et les affaires, où l'on se trouve, mais au contraire elle les orne et les embellit. Toutes sortes de pierreries, étant jetées dans le miel, en deviennent plus éclatantes, chacune selon sa couleur: de même aussi chacun devient plus agréable dans sa vocation, quand il y joint la dévotion: le soin de la famille en est plus paisible, l'amour des époux plus sincère, le service du prince plus fidèle, et toutes sortes d'occupations plus douces et plus aimables.

C'est une erreur, et même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, est impraticable en ces sortes de vacations; mais aussi, outre ces trois dévotions, il y en a plusieurs autres, très-propres à perfectionner ceux qui vivent dans le monde. Abraham, Isaac, Jacob, David, Job, Tobie, Sara, Rébecca et Judith en sont la preuve dans l'Ancien Testament: et quant au Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crépin furent sûrement très-dévots dans leurs boutiques: sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscille très-dévotes en leur ménage; Cornélius, saint Sébastien, saint Maurice très-dévots parmi les armes; Constantin, Hélène, saint Louis, le bienheureux Amé, saint Edouard très-dévots sur leurs trônes. Il est même arrivé que plusieurs ont perdu la perfection dans la solitude, qui est cependant si favorable à la vie parfaite, et l'ont conservée dans le monde, qui semble y être si contraire. Loth, dit saint Grégoire, qui fut si chaste dans la ville, se souilla dans la solitude. Ainsi, quelque état que nous ayons, nous pouvons et nous devons aspirer à la vie parfaite.


CHAPITRE IV.

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De la nécessité d'un directeur pour entrer et pour avancer dans la dévotion.

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Le jeune Tobie, se disposant à partir pour Ragez: «Je ne sais nullement le chemin, dit-il à son père. Va donc, répliqua le vieillard, et cherche quelque homme qui te conduise.» Je vous en dis autant, chère Philothée: voulez-vous sincèrement vous acheminer vers la dévotion? cherchez quelque homme de bien qui vous guide et vous conduise. C'est ici l'avertissement des avertissemens: quoi que vous fassiez, dit le dévot Avila, vous ne trouverez jamais si sûrement la volonté de Dieu qu'en prenant le chemin de cette humble obéissance que les saints ont toujours tant recommandée et pratiquée. La bienheureuse Thérèse, voyant que Catherine de Carderec faisoit de grandes austérités, désira d'en faire autant, contre l'avis de son confesseur qui le lui défendoit, et auquel elle fut tentée de désobéir en ce point; mais ayant enfin choisi le parti de l'obéissance, Dieu lui dit: «Ma fille, tu marches par une voie bonne et sûre: tu estimois beaucoup cette pénitence, et moi j'estime davantage ton obéissance.» Depuis lors elle aima tant cette vertu, qu'outre l'obéissance qu'elle devoit à ses supérieurs, elle s'engagea par un vœu particulier à suivre la conduite et les avis de son directeur; ce qui fut pour elle la source de très-grandes consolations, ainsi que l'ont éprouvé plusieurs autres bonnes ames, qui pour mieux s'assujettir à Dieu, ont soumis leur volonté à celle de ses serviteurs. Sainte Catherine de Sienne loue extrêmement cette pratique dans ses dialogues: la dévote princesse sainte Elisabeth se soumit avec une parfaite obéissance à la conduite du savant Conrard: et voici le conseil que le grand saint Louis donna à son fils avant de mourir: «Confessez-vous souvent, et choisissez un confesseur qui ait assez de science et de sagesse pour vous aider de ses lumières dans les choses nécessaires au bien de votre ame.»

Un ami fidèle, dit l'Ecriture-Sainte, est une forte protection: celui qui l'a trouvé a trouvé un trésor. Un ami fidèle est un remède qui donne la vie et l'immortalité: ceux qui craignent Dieu le trouvent. Ces divines paroles, comme vous voyez, regardent principalement l'immortalité, pour laquelle il faut avant tout avoir cet ami fidèle, qui guide nos actions par ses avis et ses conseils, et qui nous garantisse des piéges et des tromperies du démon. Un tel ami nous sera comme un trésor de patience dans nos afflictions et dans nos chutes; il nous sera un baume salutaire dans nos tristesses de cœur et autres maladies spirituelles; il nous gardera du mal, et rendra notre bien meilleur; et quand il nous arrivera quelque infirmité, il empêchera qu'elle ne soit mortelle à force de soins et de bons secours.

Mais qui trouvera cet ami? le Sage répond: ceux qui craignent Dieu; c'est-à-dire les humbles, qui désirent ardemment leur avancement spirituel. Puisqu'il est donc si important, Philothée, d'entreprendre avec un bon guide ce saint voyage de dévotion, priez Dieu très-instamment qu'il vous en envoie un selon son cœur, et ne doutez pas qu'il ne le fasse; car quand il devroit vous donner un ange du Ciel, comme il fit pour le jeune Tobie, il vous le donneroit plutôt que de vous laisser manquer d'un conducteur fidèle.

Or, quand vous l'aurez trouvé, pensez effectivement que c'est un ange pour vous. Ne le considérez pas comme un simple homme, et ne mettez pas votre confiance en lui à cause de son grand savoir, mais bien à cause de Dieu, qui vous secourra et vous parlera par son entremise, mettant dans son cœur et sur ses lèvres tout ce dont vous aurez besoin: en sorte que vous devez l'écouter comme un ange qui descend du Ciel pour vous y mener. Traitez avec lui à cœur ouvert, en toute simplicité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans aucune espèce de déguisement ni de détour. Par ce moyen, le bien sera plus sûr, et le mal plus promptement réparé. Votre ame en sera aussi plus forte dans ses peines, et plus modérée dans ses consolations. Ayez en lui une extrême confiance, mêlée d'un saint respect; de telle sorte que le respect ne diminue pas la confiance, et que la confiance n'empêche pas le respect. Confiez-vous en lui avec le respect d'une fille pour son père, et respectez-le avec la confiance d'un fils pour sa mère. En un mot, que cette amitié soit forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute divine, toute spirituelle.

Pour cela choisissez-en un entre mille, dit Avila; et moi, je dis entre dix mille; car il s'en trouve moins qu'on ne pense qui soient capables de ce ministère. Il faut qu'un directeur soit plein de charité, de science et de prudence: que si l'une de ces trois qualités lui manque, il y a du danger. Mais, je vous le répète, demandez-le à Dieu, et quand vous l'aurez obtenu, bénissez-en la divine Majesté. Tenez-vous ferme à votre choix, n'en cherchez point d'autres; allez simplement, humblement, et en toute confiance; je réponds que vous ferez un très-heureux voyage.


CHAPITRE V.

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Qu'il faut commencer par purifier l'ame.

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Les fleurs, dit l'époux sacré, apparoissent en notre terre; le temps d'émonder et de tailler est venu. Quelles sont les fleurs de nos cœurs, ô Philothée! sinon les bons désirs? Or, sitôt qu'ils paroissent, il faut mettre la main à la serpe pour retrancher de notre conscience toutes les œuvres mortes et superflues. Sous la loi de Moïse, une fille étrangère qui vouloit épouser un Israélite, devoit quitter la robe de sa captivité, se couper les ongles et se raser les cheveux: de même l'ame qui aspire à l'honneur d'être l'épouse du Fils de Dieu doit se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau, en quittant le péché; puis elle doit retrancher de sa vie toutes les superfluités qui la détournent de l'amour de Dieu: c'est le commencement de la santé de notre ame que d'être délivrée des humeurs du péché. Dans saint Paul, cela se fit en un instant et d'une manière parfaite; de même aussi dans sainte Catherine de Gênes, sainte Magdeleine, sainte Pélagie, et quelques autres; mais cette sorte de guérison est une cure miraculeuse et extraordinaire dans l'ordre de la grâce, comme la résurrection des morts dans l'ordre de la nature, en sorte que nous ne devons pas y prétendre. La guérison ordinaire, soit des corps, soit des esprits, ne se fait que petit à petit, par degrés, avec peine et patience. Les anges ont des ailes sur l'échelle de Jacob, et cependant ils ne volent pas; mais ils montent et descendent avec ordre, d'échelon en échelon. Ainsi va notre ame du péché à la dévotion; elle s'élève peu à peu, semblable à l'aube du jour qui ne chasse pas tout d'un coup les ténèbres, mais lentement et par degrés. Cette marche est au reste la plus sûre, car, comme dit l'aphorisme, la guérison qui se fait doucement est toujours plus certaine. Que s'il est vrai, chère Philothée, que le mal arrive à cheval et en poste, et s'en retourne à pied et au petit pas, il faut donc bien s'armer de force et de patience dans l'entreprise de la vie dévote. Hélas! quelle pitié de voir des ames engagées depuis peu dans la dévotion, s'inquiéter à cause de leurs fautes, se troubler, se décourager, presque jusqu'à vouloir tout quitter et retourner en arrière! Et d'un autre côté, quelle dangereuse tentation pour une ame de se croire guérie de ses moindres imperfections dès le premier jour de sa conversion, se regardant comme parfaite presqu'avant d'être faite, et se mettant à voler sans ailes! O Philothée, que la rechute est à craindre, quand on veut ainsi se tirer trop tôt des mains du médecin! Ne vous levez pas avant la lumière, dit le Prophète; levez-vous après être demeuré assis; et lui-même, pratiquant ce qu'il enseigne, ayant été lavé et purifié de ses fautes, demande de l'être encore davantage. L'exercice qui consiste à purifier notre ame de plus en plus, ne peut et ne doit se terminer qu'avec notre vie; ne nous troublons donc point dans nos imperfections; car notre perfection consiste à les combattre, et nous ne saurions les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer; et notre victoire ne consiste pas à ne les pas sentir, mais bien à n'y pas consentir.