Aux femmes & aux rois,
Il faut parler par Apologues.
À BRUXELLES.
1788.
PROMÉTHÉE.
Jusqu'à présent les mythologues ont mal raconté l'histoire allégorique de Prométhée. Voici le fait: Cet ingénieux artiste de l'antiquité ayant pétri de l'argile dans de l'eau, en composa plusieurs figures d'hommes qu'il anima avec le feu élémentaire. Il se complaisoit dans son ouvrage, comme un pere dans ses enfans. Tout alla d'abord assez bien. Mais un jour, en rentrant dans son attelier, quel spectacle s'offre aux yeux de Prométhée. Ces hommes à qui il avoit donné une même existence, & qu'il avoit formé du même limon, se prirent de querelle entr'eux pendant son absence: en sorte qu'ils s'étoient battus & mutilés les uns les autres. Ils avoient fait pis encore. Quelques-uns profitant du désordre général, soit par ruse, soit par force ou autrement, s'étoient soumis leurs semblables au point que ceux-ci, prosternés à leurs pieds, osoient à peine lever les yeux, & leur obéissoient au premier geste. Que vois-je! dit Prométhée en fureur. J'avois cru faire des hommes, & non des esclaves & des maîtres. Maudite engeance! Je vous avois créés tous égaux. Avec le souffle de la vie, je vous avois animé aussi de l'esprit de la liberté! Vous avez donc laissé éteindre ce flambeau. Allez! Je vous renie pour mes enfans. Je vous abandonne à votre mauvaise destinée, & me répens de mon ouvrage.
Prométhée les quitta en effet, & se retira sur le Mont-Caucase. Mais son cœur emporta avec lui le trait qui l'avoit déchiré. Le remords d'avoir donné naissance à des esclaves, en créant les hommes, le consuma lentement & lui fit souffrir une douleur pareille à celle que souffriroit un malheureux dont les entrailles renaîtroient, lascérées sous la dent d'un vautour.
LE TOCSIN.
En ce tems-là; un étranger, en entrant dans la capitale d'un grand Empire, entendit sonner pendant long-tems le tocsin. Il interrogea les gens de la ville pour savoir quel malheur étoit arrivé. Y auroit-il quelque part un incendie?
Non, lui répondit quelqu'un; mais nous célébrons la naissance d'un prince qui peut-être un jour, ajouta-t-il à voix basse, sera un incendiaire. La même cloche devoit servir à annoncer deux événemens à-peu-près semblables. Il y a cependant cette différence entr'eux: c'est qu'on a établi des corps de pompes pour éteindre les incendies; mais on n'a pas encore promulgué un corps de loix pour arrêter les incendiaires.
L'ÉPREUVE.
En ce tems-là; il étoit un roi orgueilleux qui se croyoit pétri d'un autre limon que ceux qui vouloient bien lui obéir. Le sénat, placé entre lui & le peuple pour servir de médiateur, s'assembla, & convint de lui faire une remontrance à ce sujet. La reine étoit enceinte, & prête d'accoucher. Un vieux magistrat se leva du milieu de l'assemblée, & proposa l'expédient suivant, pour corriger le prince. Au moment de la naissance de l'enfant royal, on présentera au pere trois enfans nés à la même heure, & on lui laissera le soin de choisir quel est le sien. On lui dira en même-tems que, puisque les rois & leurs successeurs naissent pour le trône, pétris d'un autre limon que le reste de leurs sujets, il n'aura point de peine à distinguer l'enfant royal qui lui appartient. Le roi furieux, mais fort embarrassé, hésita long-tems, & choisit enfin pour son fils le fils du concierge du château. Alors le chef du sénat lui dit: Si l'œil du pere balance, & même se trompe sur le choix de son propre enfant, avouez, prince, que le fils du pâtre naît l'égal du fils du roi; qu'un homme ne peut se dire roi-né; qu'il ne sort pas du ventre de sa mere, tout coëffé d'une couronne; que c'est le peuple qui la confie à qui bon lui semble; en un mot, qu'un souverain n'est que primus inter pares.
LE ROI GARDEUR DE COCHONS.
En ce tems-là; un jeune roi étoit enclin à la débauche, même à la crapule; c'étoit un vice héréditaire. Les états-généraux, tuteurs-nés du souverain, qui n'étoit jamais émancipé pour eux, s'assemblerent & concerterent un moyen de corriger le jeune prince. Un jour qu'il s'étoit livré tout entier à son penchant ignoble, plongé dans un profond sommeil, on se saisit de sa personne royale; & de son palais, on le transporta tout endormi dans une étable, sur une litiere. À son réveil, le jeune prince put à peine en croire ses yeux. Il ne sait s'il rêve encore. Il ne retrouve plus son trône, sa couronne, son sceptre, ni ses maîtresses pour le caresser, ni ses valets pour le servir, ni ses flatteurs pour l'exciter à de nouveaux excès. Il veut commander; des pâtres prévenus accourent à sa voix, & le traitent sur le pied de la plus parfaite égalité. En vain le prince menace & réclame son autorité. On l'accuse d'avoir la tête aliénée, & on l'entraîne, malgré lui, à la garde du plus vil des troupeaux. Enfin, après quelques jours de cette épreuve, on saisit un moment de sommeil pour le replacer sur son trône. Le Prince ne fut point tout-à-fait dupe de tout cela; mais il n'eut pas le bon esprit de profiter de la leçon tacite. Il retomba bientôt dans son vice héréditaire. Alors les états-généraux conclurent à le dépouiller tout-à-fait de sa dignité, pour laquelle il ne paroissoit pas né; & le condamnerent, tout de bon, à passer le reste de ses jours au milieu du vil troupeau dont il avoit les mœurs.
LE ROI NAIN.
En ce tems-là; un prince souverain mettoit sa vanité à ne composer son nombreux domestique que de valets de la plus haute taille. Il n'eut qu'un fils, lequel avoit une stature qui n'étoit précisément élevée qu'autant qu'il en falloit pour qu'il ne fût pas tout-à-fait un nain. À la mort de son pere, le fils régnant à son tour, signala les premiers jours de son regne par substituer un peuple de nains à tous ces grands valets qui blessoient depuis trop long-tems sa vue & son amour-propre. Ne voyant autour de lui que de petits hommes, il ne tarda pas à oublier qu'il y en avoit de plus grands que lui, qui en effet étoit le plus haut de tous ceux qui le servoient. Malgré toutes les précautions qu'on prenoit pour qu'il ne se présentât à ses yeux que des hommes encore plus petits que lui, un grand homme vint à bout de pénétrer dans son palais, & jusqu'en sa présence. Il fut traité de monstre, & mis comme tel dans la ménagerie du prince.
LEÇON D'ARCHITECTURE.
Comment appelle-t-on ces figures humaines qui servent de colonnes pour soutenir l'architrave de ce palais? demanda un jour un jeune prince à son gouverneur.
On les appelle Cariatides.
Que veut dire ce mot?
C'est le nom des habitans de la Carie.
Pourquoi avoir donné cette forme & ce nom à ces pilastres?
Pour éterniser le châtiment de ce peuple traître, qui s'étant ligué avec les Perses contre ses freres, les autres Grecs, fut passé au fil de l'épée; on réduisit les femmes en servitude.
Les architectes modernes, qui n'avoient pas le même motif que les anciens de conserver cet ordre, en firent cependant usage dans une autre intention. Comme ces figures colossales ne s'emploient ordinairement qu'aux palais des rois, les rois ne peuvent jetter les yeux sur leurs palais, sans réfléchir que leurs sujets ressemblent aux Cariatides qui soutiennent le balcon où ils se promenent. Si la charge est trop lourde, le peuple ploye & se brise; mais, dans sa chûte, il entraîne ceux qui pesoient sur lui.
LEÇON D'ARITHMÉTIQUE.
En ce tems-là; un jeune roi très-jeune en étoit encore aux élémens de l'arithmétique. Son maître de mathématiques, qui n'étoit point un courtisan, lui donna un jour cette leçon.
Un roi, par exemple, est dans son royaume, comme l'unité: s'il se trouvoit tenté de ne regarder chacun de ces sujets que comme un zéro, on pourroit lui faire observer que ce sont les zéros qui donnent une valeur à l'unité. Plus on les multiplie, plus l'unité compte. L'unité, réduite à elle-même, ne seroit rien. Elle leur doit tout ce qu'elle vaut. Il y a pourtant cette différence importante entre les zéros en politique & les zéros en arithmétique, c'est que les derniers ne peuvent entrer en compte sans l'unité qui leur donne une existence, & de laquelle ils ne peuvent se passer. Les premiers, au contraire, font tout pour l'unité qui ne fait presque rien pour eux.
LA LEÇON D'ARMES.
En ce tems-là; un roi apprenoit à faire ce qu'on appelle des armes, & il n'étoit pas des plus adroits; presque toutes les fois qu'il s'escrimoit, il se blessoit lui-même, ou blessoit ceux contre qui il tiroit. Quelqu'un présent à ses exercices, osa bien lui dire un jour:
Prince, croyez-moi, défaites-vous de votre sceptre, comme de votre épée; car il est encore bien plus difficile de porter l'un que de manier l'autre; & les coups de mal-adresse sont d'une bien plus grande conséquence.
COURS D'ANATOMIE.
En ce tems-là; un jeune roi, enclin au despotisme, parut desirer faire son cours d'anatomie. Le sénat ordonna qu'on lui en feroit les démonstrations sur le squelette d'un tyran nagueres décapité juridiquement. Le jeune prince en fut prévenu dès les premieres leçons; & ce cours lui valut un traité de morale.
L'ÉLEVE EN CHIRURGIE.