Les illustrations à la fin de chaque histoire sont de l'auteur.
Le dessin de l'abbaye vers l'année 1660 provient du livre « l'histoire abrégée de l'abbaye de saint-Florentin » cité dans la préface.
En couverture la photo de l'entrée de l'abbaye en octobre 2015.Photo de l'auteur.
La vie, au cours des siècles, s'est toujours faite de beaucoup d'évènements joyeux ou tristes.
Lors du IXème siècle, l'empereur Charles, avec le chevalier Foulques, a construit à Bonneval un monastère sous l'égide des saints de l'ordre de Saint Benoit. Cet établissement a été souvent le centre des activités, en plus du commerce, de la cité bonnevalaise. Des choses étranges s'y sont déroulées.
Dans la campagne beauceronne qui entoure la ville, les petites gens vivent souvent en suivant les conseils de leur curé et en respectant les nombreuses croyances tant religieuses que profanes.
Guérisseurs, jeteurs de sorts, braconniers, musiciens, moines défroqués, ivrognes... Vous rencontrerez ces personnages au cours des mes histoires.
Ne croyez pas trouver dans mes récits la précision d'un livre d'histoire, je ne suis que conteur.
Toutefois je me suis inspiré pour partie de l'œuvre du docteur Bigot édité en 1876 : histoire abrégée de l'abbaye de Saint-Florentin de Bonneval. Cet ouvrage de plus de 400 pages a été publié sous les auspices de la société dunoise d'archéologie, d'histoire de science et d'art.
J'ai aussi été inspiré par le « Folk'Lore de la Beauce et du Perche » de Félix Chapiseau paru au début du XXème siècle qui recense les croyances et pratiques religieuses ou payennes dans les campagnes ou dans les villes de notre région.
Louis de la Vergne Monteynard dit Louis de Tressan, premier du nom, était abbé de l'abbaye en ce début du XVIIIème siècle.
A cette époque, un triste sire nommé Garanchon sévit par les chemins.
Ce lundi, vers les six heures du soir, Garanchon erre sur le chemin entre Dangeau et Eguilly. Il s'arrête le long d'un roncier, il cueille deux trois mûres puis s'as-seoit. Il observe le retour des charretiers sur le chemin au loin. Certains reviennent à la ferme de Passeloup. Trois charrettes de gerbes entrent dans la cour les unes derrière les autres. Ils sont encore en moisson et il y a certai-nement beaucoup de monde dans la ferme et de nombreux journaliers doivent y dormir. Garanchon con-tinue son chemin. Il traverse Eguilly alors que le soleil se rapproche de l'horizon en prenant une couleur orangée. Quelques nuages sont apparus. Garanchon fouille dans son bisac et trouve une tranche de pain et un morceau de cochon. Il y a trois jours que le charcutier de Brou lui a donné. Sa gourde contient encore une bonne rasade de cidre. Rassuré de faire un petit repas, il décide d'entrer dans le bois de Coupigny. Il erre quelques moments sous la futaie.En moins de cinq minutes, il s'est trouvé un abri pour la nuit. Il retire les quelques branches cassées, se prépare un coussin de mousse et étale par terre le long manteau qu'il a sorti du bisac en même temps que son quignon de pain. Il dormira une fois de plus à la belle étoile sous les ramures cette fois d'un merisier.
Le soleil réussit à percer les branches et les feuilles, il vient caresser la joue de Garanchon qui ouvre l' œil et s'étire les bras. Son ventre réclame à manger. Il n'y a rien ce matin sauf un maigre morceau du quignon de pain qui reste d'hier soir. Il se lève, roule son manteau, met un peu d'ordre dans ses vêtements et de son pas nonchalant repart vers les premières maisons de Coupigny. Il n'est jamais venu dans ce petit village. Il entre dans la cour de la première ferme qu'il voit, il fait trois pas et s'arrête : les chiens au bout de leur laisse préviennent fort de son arrivée comme à chaque fois que c'est un inconnu qui franchi la limite du portail. La patronne sort la tête à la porte de la cuisine et demande à Garanchon ce qu'il veut. En hom-me rusé qui cherche toujours à mieux connaitre une mai-son qu'il n'a jamais visitée, il ne demande qu'un peu à manger évoquant une longue marche vers les bords de la Loire où il doit aller faire les vendanges. Son stratagème fonctionne et la fermière l'invite à venir jusqu'à la porte de la cuisine. il s'approche et s'appuie sur le battant du bas qui est resté fermé. La fermière lui coupe une tranche de pain, sort une terrine et en tranche un morceau de pâté. Elle demande à Garanchon s'il a une gourde. Pour seule réponse, il tend le bras et la fermière lui prend sa gourde qu'elle remplit de cidre avec le pichet qui était sur la table. Garanchon a observé l'intérieur de la cuisine. Il a l'habitude de se rendre compte des richesses des gens rien qu'en observant leur cuisine et les casseroles accrochées au mur. Il a vu qu'ici il y avait du cuivre au mur et sans doute une bourse bien ronde quelque part. Il se retourne pour dire au revoir et remercier la patronne de son geste. Ses yeux ont enregistré la disposition des bâtiments et la longueur de la chaîne des chiens. Il sait qu'il reviendra un prochain jour.
Garanchon reprend sa marche et arrive au petit étang du bois de Saint Denis. Il s'approche au bord de l'eau, se baisse et trempe la main dedans. La température est douce, il décide de s'y baigner. En deux minutes il est nu et descend lentement dans l'eau. Quelques pas pour s'éloigner de la rive et l'eau lui arrive à la taille. Il se frotte tout le corps. Il ressort et reste nu à se laisser sécher par le soleil déjà haut dans le ciel. Il se rhabille et reprend son chemin. A midi Garanchon traverse Heurtemalle et arrive au grand Cormier. Deux chiens aboient à son passage. Une porte s'ouvre et une voix d'homme demande aux chiens de se taire. Il continue son chemin. Avant la Hutte, il se repose en terminant de manger le pain qu'il lui reste. Ses provisions sont réduites à rien. Garanchon marche jusqu'aux trois-quatre maisons du hameau et voit deux fenêtres et la porte ouvertes à la première. Il pousse le petit vantail du portail en bois et s'avance sans un bruit. Pas de chien, les poules dans la basse-cour continuent à picorer, d'un coup d'œil en tournant la tête Garanchon voit qu'il n'y a personne aux alentours. Il entre dans la maison. Personne dans la cuisine. Deux assiettes sont restées sur la table. Il va à l'armoire et ouvre les portes. Il attrape des bocaux de pâté et de confitures, une bouteille dont il sent la bonne odeur de goutte. Il ouvre le tiroir de la table et fait main basse sur des couverts qui semblent en argent. Sans demander son reste, il ressort et tranquillement reprend son chemin. Il dormira ce soir dans le bois de Montharville.
Il y a trois ans que Garanchon vit de ces larcins dans la région. La prévôté a reçu déjà des plaintes de nombreuses petites gens de la campagne qui se trouvent dévalisées. Aperçu plusieurs fois par des charretiers ou des fermières, il est connu presque partout, pourtant la fermière de Coupigny qui lui avait donné à manger ne l'a jamais rencontré. Garanchon y est revenu trois semaines plus tard mais sans demander à manger. Cette fois-ci, il menace d'un grand couteau la fermière qui n'a pas crié paralysée par la peur. Il fouille le lit dans l'alcôve et y trouve ce qu'il veut : une bourse en cuir qui contient quelques écus, il vide aussi les tiroirs de la table de la cuisine et celui de l'armoire, il prend deux croix et une petite médaile de la vierge. Tout disparaît dans sa poche et menaçant encore la brave fermière s'enfuit en courant en refermant la porte. La pauvre dame est restée prostrée assise les coudes sur la table et la tête entre les mains. C'est dans cette position que son mari la trouve une heure plus tard. Elle réagit en éclatant en pleurs et lui explique ce qui s'est passé. Il prend aussitôt son cheval et se rend à Bonneval pour rencontrer le chef de la prévôté et pour lui conter cette nouvelle agression. En sortant, il s'arrête dans plusieurs estaminets où il raconte à qui veut l'entendre ce vol violent. À chaque fois, une dizaine d'hommes écoutent avec attention. Des journaliers, un ou deux fermiers, un ouvrier maçon font les commentaires. Parmi eux un écuyer, nommé Césaire Desfesnestraux, qui fanfaronne et annonçe à la cantonnade qu'il trucidera ce Garanchon s'il était devant lui. Au fond de la salle, un homme vêtu d'une veste élimée et avec un vieux sac de toile à ses pieds reprend aussitôt que lui aussi fera la même chose. Il explique sa vengeance parce qu'il avait vu dans une ferme à dix lieues d'ici deux personnes tuées et les voisins criaient que c'était Garanchon qui venait de les tuer. Le ton monte entre les buveurs qui crient justice et d'autres qui prétendent qu'il n'y a pas que lui comme bandit. Au bout d'un moment le patron est obligé de les faire sortir pour éviter une bagarre.
Le mois d'août se termine et les camelots préparent la fête de la Saint Gilles. Les vendeurs de vaisselle ou de tissus sont arrivés deux jours avant l'ouverture de la foire. Ils ont installé leurs tentes autour de l'église et dans les rues jusqu'au bord du Loir. Les habitants sont sortis de chez eux pour faire le tour des étals et chercher ce qu'ils pourraient acheter le lendemain. Sur la place du marché aux bestiaux, le propriétaire de l'auberge des deux colombes a dressé une grande tente pour recevoir les fermiers et les maquignons pour leurs tractations et les échanges de pièces sonnantes et trébuchantes. Pendant les deux jours de la foire, toute la population des villages alentours vient dans le bourg. Certains pour un vêtement, d'autres pour les draps du trousseau de la fille pour son prochain mariage, des petits fermiers repartent avec une bête : cheval, cochon ou vache.
Le dimanche soir, vers les six heures, les badauds succèdent aux fermiers autour des tables. Les derniers moutons, vaches ou chevaux sont partis laissant une bonne couche de paille et de fumier dont les odeurs remontent sous la tente. Les ouvriers agricoles sont les plus nombreux autour des tables. Ils font une pause avant de reprendre le travail le lendemain et certains auront du mal à retrouver leur chemin. Vers huit heures, il n'y a presque plus une place libre sur les bancs. Avec les effets de l'alcool, les hommes chantent. On ne voit pas de femmes sauf trois qu'on dit de petite vertu qui aguichent les hommes. Un homme vêtu d'une longue veste élimée entre en soulevant son chapeau de feutre totalement diforme, d'un large geste il salue tout le monde. Il fait un grand signe à l'aubergiste en lui demandant un pichet. Sa boisson est servie rapidement et l'accorte serveuse le salue d'un sonore « bonsoir monsieur Garanchon ! » L'homme se lève légèrement du banc et remercie la serveuse. Quelques têtes se tournent. À l'autre extrémité de la table, Césaire Desfesnestraux, qui est à boire depuis le milieu de l'après-midi, a entendu la serveuse appeler l'homme Garanchon. Il se lève tranquillement en ayant du mal à se tenir debout. Il fait un pas en avant, un en arrière, il porte la main à son épée et hésitant s'approche. Il bouscule deux buveurs qui se retournent menaçants. L'homme, monsieur Garanchon, le voit venir et se lève aussi. Ils sont face à face. Césaire dégaine son épée et d'un seul coup lui plante dans le corps. Tout le monde se met debout et crie, un vent de panique souffle, la plupart se sauvent, d'autres viennent voir l'homme agressé qui perd son sang en quantité. L'aubergiste abasourdi arrive en courant et demande à l'écuyer pourquoi il a fait ça. « J'ai tué Garanchon le grand bandit, celui qui vole et qui tue dans la campagne ! » L'aubergiste attrape l'écuyer par le col et lui crie « Imbécile ce Garanchon est un simple laboureur qui vient de Trizay. De sa vie, il n'a jamais fait de mal à une mouche ! » Desfesnestraux, affolé par ces mots, se sauve sans demander son reste.