Éditeur : BoD - Books on Demand GmbH
12/14 rond-point des Champs Élysées, 75008 Paris, France
Impression : BoD - Books on Demand GmbH
Norderstedt, Allemagne
ISBN : 978-2-322-07891-2
Dépôt légal : mai 2016
Quelques personnalités de la vie politique française apparaissent dans cet ouvrage sous leur nom véritable ; les propos et les actes que l’auteur leur attribue sont totalement fictifs et ont été imaginés dans l’intérêt du roman.
Tous les autres personnages ont été créés par l’auteur ; leur nom, leur physique, leur personnalité, leur biographie, tout est imaginaire.
On pourra retrouver sur le terrain presque tous les lieux cités dans le roman ; seules les maisons où vivent – et où sont assassinés – des personnages n’existent pas.
À Marine,
sans qui ce livre n’aurait
jamais vu le jour
Il était une fois un brave facteur qui, au volant de sa Twingo bouton d’or, distribuait ses charmantes missives dans la campagne fleurie, bercé par La Belle au bois dormant de Tchaïkovski… Non, c’est complètement ridicule !
Auvergne. Au-dessus de Valcivières. Début du printemps. Un samedi soir. Alex… Trop sec, ça ne va pas non plus !
Andrew tourna la poignée de la serrure et constata que, par chance, elle n’était pas fermée à clé. Il poussa le portail qui s’ouvrit tandis que les gonds émettaient un léger grincement. Il se dit en lui-même qu’ils auraient bien mérité un peu d’huile. Il avança dans le jardin et fit quelques pas, puis il pensa tout-à-coup qu’il avait dû laisser son passe-partout sur la boîte-aux-lettres et fit demi-tour… Non ! on dirait du Marc Levy.
Plus de deux siècles après la mort de la bête du Gévaudan, ou de l’individu qui se cachait sous sa pelisse, les sombres forêts d’Auvergne étaient à nouveau hantées par un monstre sanguinaire… Non ! je ne veux pas faire du Stephen King !
Dès que Claire et Robert se retrouvèrent seuls dans la clairière, ils se jetèrent l’un sur l’autre comme des bêtes en arrachant sauvagement leurs vêtements… Non plus ! ils n’ont qu’à lire… Oh ! surtout pas de noms, je me ferais trop d’ennemis !
Pseudo-avant-gardiste ? Si c’est un fou qui frappe au hasard il finira bien par commettre une erreur alors attendons le prochain crime le 1er mai sans doute mais il ne faut pas être superstitieux au point de gober toutes ces bêtises qui circulent en ville à vrai dire je ne suis sûr de rien… Non ! une syntaxe déliquescente est généralement le symptôme d’une pensée altérée, faisandée, voire fortement avariée ; sans le talent de Cohen ou d’Ajar, mieux vaut rester classique.
Peut-être dans le genre autobiographique ? Je suis né dans un petit village d’Auvergne en 1976 ; déjà la canicule marquait mon destin d’une pierre noire… Non, pour emmerder les autres en leur parlant de mon nombril, Facebook et Twitter sont quand même nettement plus efficaces.
Ou alors, carrément didactique ? Le nouveau gouvernement avait très vite mis en place les mesures qui s’imposaient pour restaurer le franc, ce qui devait permettre d’augmenter la compétitivité des entreprises françaises et… Ça ne va toujours pas ; qui aurait envie de lire un truc pareil ? Il faut trouver autre chose…
Oh ! et puis, zut ! Les lecteurs s’impatientent ; ils attendent un roman ; allons-y !
Samedi 7 mars 2020
En cette fin d’après-midi, un soleil printanier s’attardait sur les hauteurs de Valcivières ; des rais de lumière s’insinuaient dans les sous-bois, accentuant le contraste entre les troncs sombres des pins et le vert lumineux de la mousse du sol.
Dans les combes abritées, les prairies se diapraient avec plus d’un mois d’avance de narcisses jaunes, qu’ici on appelle jonquilles. Mais les dernières congères de neige résistaient encore aux lisières nord des forêts.
Sur l’autre versant de la vallée de la Dore, l’ombre du crépuscule gagnait déjà les pentes inférieures du Livradois ; et la fraîcheur de la bise qui commençait à courber les fougères desséchées rappelait que l’hiver n’était peut-être pas tout à fait terminé.
Au volant de la vieille Twingo jaune de la Poste, Alex Vialatte, surnommé l’homme de lettres par une plaisanterie facile, mais dans laquelle certains voyaient une allusion à un célèbre homonyme, gravissait les lacets de la petite route de montagne.
Il écoutait d’une oreille distraite la radio qui, depuis le matin, ressassait tous les quarts d’heure les mêmes nouvelles :
Deux ans après la loi de modernisation de la fonction publique, le Premier ministre s’est félicité de son bilan extrêmement positif. S’appuyant sur un sondage qui montre que 72 % des Français approuvent cette réforme, il a décidé de signer dès lundi un décret qui étendra la semaine de quarante-cinq heures à tous les salariés ; ainsi sera achevé le grand chantier de l’harmonisation entre secteurs public et privé.
Nicolas Sarkozy a démenti de manière catégorique l’information publiée par Closer il y a une quinzaine de jours ; le magazine people avait créé un certain émoi en affirmant que l’ancien président s’apprêtait à signer un contrat avec un de ses amis, producteur de cinéma, pour un remake du Gendarme de Saint-Tropez. Monsieur Sarkozy a par ailleurs tenu à préciser qu’il étudiait la possibilité de se présenter à l’élection présidentielle qui devrait avoir lieu dans deux ans.
À la frontière entre l’Irak et la Syrie, les forces kurdes ont intercepté un convoi qui transportait plusieurs kilos de plutonium 239. Il proviendrait d’un entrepôt militaire de l’ex-URSS situé au Kazakhstan, mais on ignore pour l’instant s’il était destiné au régime de Damas ou aux rebelles. Les spécialistes interrogés se montrent rassurants : les belligérants ne possèdent probablement pas la technologie nécessaire pour construire une bombe ; et dispersé dans l’atmosphère, le plutonium est beaucoup moins nocif qu’on le prétend généralement.
En sport, le championnat du monde de biathlon, qui devait commencer demain en Finlande, est ajourné par manque de neige ; les organisateurs envisagent de transférer la compétition au Spitzberg, mais ils se heurtent à l’absence de structures d’accueil pour les athlètes.
Et pour terminer, des nouvelles du temps chez nous : demain, le ciel sera entièrement bleu sur toute la France. Il est probable que des records de chaleur seront encore battus dans le Sud-Ouest. Lundi, ces températures exceptionnelles pour la saison devraient s’étendre à l’ensemble du pays.
« Enfin une bonne nouvelle ! » se réjouit Alex.
Il rêvait à la partie de pêche qu’il projetait pour le lendemain matin ; le redoux affamait les truites, nombreuses dans les ruisseaux limpides de ce petit coin d’Auvergne encore préservé de la pollution. Né dans le canton, il en connaissait les moindres méandres, les plus petites chutes, depuis bientôt cinquante-trois ans qu’il les fréquentait ; il savait sous quelles pierres laisser filer son hameçon. Ses longues excursions solitaires étaient pour lui la meilleure détente pour se remettre d’une interminable semaine de travail.
Car depuis la réforme de 2018, les tournées, et par conséquent les journées, s’étaient considérablement allongées. Mais comme le claironnait Mickaël Buonarroti au comptoir du Square, en levant son verre de pastis, le nouveau gouvernement avait enfin mis les fonctionnaires au travail !
« Du moins ceux qu’on avait gardés ! » pensait Alex Vialatte, qui s’estimait heureux de n’avoir pas été licencié comme certains de ses collègues ; il n’avait jamais parlé de politique en public, c’était sans doute ce qui l’avait épargné.
Ce qui frappait d’abord quand on voyait Alex, c’était son étrange silhouette : grand et mince, ses longs membres semblaient disproportionnés par rapport à son corps ; il n’avait pas l’allure d’un sportif, pourtant ses jambes lui permettaient de parcourir très rapidement de longues distances ; c’est peut-être cette disposition naturelle qui lui avait fait choisir le métier de facteur, même si maintenant il se déplaçait surtout en voiture. Deux petits yeux sombres, au regard parfois impénétrable, tranchaient avec son visage affable rougi par l’air de la campagne.
En 1990, un ami de Job lui avait présenté sa sœur ; cette fille d’agriculteurs s’était mis en tête d’épouser un fonctionnaire ; ils s’étaient mariés peu après, et elle lui avait donné une fille deux ans plus tard. Mais en 1994, elle avait abandonné mari et enfant pour suivre un croque-mort de Thiers, qui l’avait fait rêver en lui promettant de l’emmener passer deux semaines, en août, au Cap d’Agde. Elle n’avait plus jamais donné de ses nouvelles.
Alors il avait élevé seul sa fille, reportant sur elle toute sa tendresse. C’est peut-être pour compenser l’affection maternelle dont elle avait été privée qu’elle avait décidé de devenir puéricultrice. Maintenant qu’elle travaillait à Clermont, elle revenait le voir une ou deux fois par mois. C’était pour lui sa seule distraction, en dehors de ses longues courses dans la campagne, à la recherche de truites ou de champignons.
Épousant les courbes du terrain, la route cheminait dans une vaste clairière, découvrant au loin les pâturages encore gris et brunâtres des Hautes-Chaumes, sur les crêtes arrondies du Forez. Au détour d’un virage, Alex donna un brusque coup de volant pour éviter le chien jaune qui venait de surgir d’un fourré et vagabondait sur la route. La secousse provoqua la chute d’un objet sans doute coincé sous le tableau de bord depuis longtemps ; le facteur jeta un coup d’œil rapide sur le tapis et, un peu étonné, reconnut une pièce d’un euro.
Un peu plus haut sur la route, il entrevit enfin les maisons du hameau des Versades, la fin de sa tournée ; mais d’abord il y avait, fièrement isolé, le mas de Chantemule, extravagante construction sortie de l’imagination d’un riche paysan qui, au temps de Napoléon III, s’était rêvé châtelain.
Alex s’arrêta devant l’entrée de la propriété pour y déposer un petit paquet ; les signes visibles sur l’emballage, malgré le scotch des douanes, laissaient deviner sa provenance, la Chine ou le Japon. Il sortit son passe-partout pour ouvrir la boîte-aux-lettres et fut étonné de ne pas la trouver vide ; pour rentabiliser la distribution du courrier, chaque tournée n’était maintenant effectuée que deux fois par semaine ; et les enveloppes qu’il avait apportées le mercredi étaient encore là !
Il leva les yeux vers la grande bâtisse en partie cachée par les arbres et constata que tous les volets étaient fermés.
« Tiens, les Simonne ont dû partir en voyage pour quelques jours », se dit-il.
Il referma la boîte-aux-lettres et s’apprêtait à remonter en voiture, quand il eut une hésitation ; depuis plusieurs mois, la curiosité le taquinait de voir comment la maison avait été restaurée. Alex poussa donc le portail resté entrouvert et s’engagea pour la première fois sur l’allée gravillonnée bordée, depuis l’automne, de faux cyprès nains.
Après une légère courbe, il s’arrêta. Devant lui se dressait la façade sud du mas, qu’on appelait ainsi parce qu’il ne ressemblait pas aux fermes traditionnelles du pays, sans mériter pour autant le titre de château. C’était un grand bâtiment de pierre de deux étages, flanqué d’une lourde tour ronde de chaque côté, et surmonté en son centre d’une sorte de clocheton. Il était précédé d’une terrasse pavée à laquelle on accédait par un large escalier. À l’ouest se trouvait un autre bâtiment sans étage, visiblement d’anciennes écuries.
Abandonné après la mort du dernier fermier, les fenêtres délabrées, les toitures menaçant de s’effondrer, le mas était resté en vente pendant plus de trente ans ; les acquéreurs éventuels qui l’avaient visité étaient vite repartis, effrayés par l’ampleur des travaux nécessaires pour le remettre en état. Puis les Simonne, en vacances dans la région, l’avaient découvert par hasard, dans la vitrine d’une agence immobilière ; sur un coup de cœur, ils avaient décidé de l’acheter pour leur retraite ; après un an de coûteux travaux, ils s’y étaient enfin installés à l’automne précédent.
On les connaissait peu dans le pays ; on savait seulement, grâce aux indiscrétions d’un stagiaire du notaire, que Georges et Denyse Simonne venaient de Namur, où ils avaient tenu une petite charcuterie dans le centre de la ville ; avec la vente de la boutique et de leur belle villa située aux environs d’Ohey, il s’étaient constitué un joli petit magot qui, bien placé dans une banque de Belgique, leur assurait une retraite confortable ; sans compter ce qu’ils avaient déjà dû engloutir dans la rénovation du mas.
Alex eut tout le loisir d’examiner le bâtiment. Les murs avaient été débarrassés de leur ancien crépi, un mortier clair jointoyait les pierres décapées ; des volets neufs de bois verni masquaient les ouvertures ; la couleur des chevrons et des solives sous les débords des toits montrait que toutes les charpentes avaient été changées.
« Beau travail, pensa-t-il, mais je n’aurais pas voulu payer la facture ! »
Puis il gravit quatre petites marches en rondins et se dirigea vers la droite pour faire le tour du bâtiment et voir le côté nord.
À une vingtaine de mètres dans le jardin, pour éviter l’ombre de la maison, une grande piscine, encore vide, avait été creusée.
« Une piscine ! À cette altitude ! Ils auront de la chance s’ils peuvent s’y baigner plus de dix jours par an ! Encore des naïfs qui croient sans doute au réchauffement climatique ! »
Le chantier avait probablement été terminé à la fin de l’automne, car aucun brin d’herbe n’avait encore eu le temps de repousser sur la terre soigneusement ratissée autour du bassin.
Le facteur se tourna vers la maison ; cette façade, qu’on ne voyait pas de la route, avait été rénovée comme l’autre ; cependant, dépourvue de tours et de clocheton, elle lui parut plus simple et plus harmonieuse.
Pourtant Alex ne se sentait pas à l’aise, comme s’il craignait soudain qu’un témoin surprenne son intrusion ; quelque chose le gênait. Il remarqua alors que le volet de la porte était très légèrement entrebâillé.
Il s’apprêtait à quitter les lieux discrètement, mais il se dit que ce n’était pas raisonnable. Que pouvait-il craindre ? Il n’y avait personne. Le volet avait été mal crocheté, voilà tout !
Alex s’approcha donc et le tira vers lui ; il fut étonné de constater que, derrière, la porte était restée grande ouverte.
Elle donnait sur un salon garni de ces meubles Henri II qu’il avait connus, enfant, chez sa grand-mère, et qu’on trouvait maintenant dans tous les marchés aux puces de la région. Sur les murs, de grands cadres dorés entouraient des tableaux dans lesquels il devinait des scènes champêtres peintes par un amateur local. Autour d’une table basse, de lourds fauteuils de cuir havane occupaient le centre de la pièce. Un tapis couvrait une partie du sol de terre cuite.
Sans doute à cause de l’accumulation de tous ces vieux meubles, de tous ces objets surannés, la pièce exhalait une odeur fétide de renfermé et de moisissure qui l’écœurait.
Du regard, il fit à nouveau le tour du salon, puis, ses yeux s’étant maintenant habitués à la pénombre, il comprit soudain ce qu’était cette masse sombre à moitié cachée derrière la table basse : un corps allongé par terre.
Pris de panique, il repartit en courant, traversa le jardin et se jeta à l’intérieur de sa voiture. Mais il était incapable de conduire tant ses bras et ses jambes tremblaient, et il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre son souffle. Après avoir longtemps hésité sur ce qu’il devait faire, il saisit son téléphone et composa le 17.
Alex patientait dans sa Twingo, sans bouger, comme on le lui avait demandé. Il avait éteint la radio, obsédé par ce qu’il venait de découvrir, incapable de penser à autre chose ; même de la musique n’aurait pas réussi à le distraire.
Au bout d’une vingtaine de minutes, les gyrophares bleus d’une voiture de la Gendarmerie clignotèrent un peu en contrebas, suivis de près par l’ambulance rouge des pompiers.
« Ah ! enfin ! se dit-il soulagé. Mais pourquoi ont-ils tant traîné ? » Pourtant, il savait bien qu’il était impossible d’arriver plus vite, lui qui connaissait par cœur tous les virages et les pièges de la route. Il sortit et alla s’appuyer contre un des piliers du portail pour les attendre.
La Mégane de la Gendarmerie s’arrêta à gauche de la Twingo jaune, et le véhicule des pompiers à droite. Malgré la pénombre du crépuscule, le facteur remarqua que l’ensemble formait un surprenant drapeau belge ; une telle coïncidence l’aurait beaucoup amusé en d’autres circonstances.
Aussitôt un homme en uniforme, élancé, mesurant près de deux mètres, sortit de la voiture sombre et accourut vers lui. Alex reconnut immédiatement le lieutenant Julien Biasse, arrivé à la brigade d’Ambert depuis moins de six mois. Leur grande taille établissait une sorte de complicité entre ces deux géants ; ils avaient l’habitude d’échanger quelques banalités quand ils se croisaient pendant ses tournées.
Biasse était beaucoup plus jeune que les deux gendarmes qui le suivaient, et qui semblaient attendre ses ordres pour aller vers le mas. Mais il se dirigea d’abord vers Alex pour lui demander :
« Vous n’avez touché à rien, au moins ?
– Non, bien sûr ! J’ai juste regardé depuis la porte… sans rentrer dans la maison…
– Et pourquoi y êtes-vous allé ? Un colis, une lettre recommandée ?
– Non, mais ils n’avaient pas pris le courrier de mercredi. Ça m’a étonné… Alors j’ai voulu aller les voir ; et comme la porte était ouverte…
– Très bien ! L’adjudant Génin va enregistrer votre déposition. C’est par là ?
– De l’autre côté… Il faut faire le tour par le petit escalier, là-bas. »
Pendant que l’adjudant retournait à la voiture avec Alex, l’officier et le second gendarme se précipitèrent vers le mas, que les secouristes atteignaient déjà.
Ils le contournèrent par la droite comme le facteur le leur avait indiqué, allèrent jusqu’à la porte restée béante, et s’arrêtèrent tous ensemble, personne n’osant entrer le premier.
À l’intérieur, la scène était bien telle que le lieutenant l’avait imaginée d’après les explications téléphoniques du témoin. La seule chose à laquelle il n’avait pas pensé, c’était l’odeur.
Elle lui rappela aussitôt une autre scène qu’il avait connue à ses débuts, quand il était stagiaire dans le Midi, du côté de Fréjus : un forcené avait étranglé sa femme et ses trois enfants, et il était resté enfermé dans la maison une semaine entière avant de prévenir les gendarmes ; à leur arrivée, il s’était tiré une cartouche de chevrotines dans la tête. C’était la première fois que Julien voyait une telle violence, et il lui arrivait encore d’y repenser, la nuit, quand il ne trouvait pas le sommeil.
Se tournant alors vers les ambulanciers, il lança :
« Messieurs, je crois bien que vous vous êtes déplacés pour rien ! »
À l’odeur, ils avaient tous compris que le cadavre gisait là depuis plusieurs jours.
Les deux militaires enfilèrent des gants avant de pénétrer dans la pièce ; les secouristes les suivirent, mais restèrent discrètement en arrière.
C’était bien le corps d’une femme, pas très grande et un peu grasse, qui était étendu par terre ; et les taches sombres, sur le tapis, sur ses vêtements et sur ses mains exhibant d’énormes diamants, ne laissaient guère de doutes sur les circonstances de sa mort. Elle ne devait plus être toute jeune, et ses cheveux trop blonds juraient avec les rides qu’on pouvait encore deviner sur son visage.
Tandis que son collègue prenait des photos, le lieutenant examina minutieusement la victime, à la recherche du moindre indice. Mais rien ne laissait penser qu’elle avait essayé de se défendre : son collier de perles était intact, et ses vêtements portaient seulement trois petites déchirures noircies par du sang séché, sur la poitrine et sur le ventre, indiquant que le meurtrier avait dû la frapper par surprise avec un couteau.