Sait-on que du XIVe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle la farine qui servait à nourrir la population lyonnaise, provenait en grande partie de moulins flottants amarrés sur le Rhône ? Figurés sur le plan de Maupin paru en 1625 on les distingue parfaitement ; ils sont situés en amont et en aval du pont de la Guillotière (rive droite) mais plus tard, c’est le long du quai St Clair qu’on en voyait le plus.
Ces bateaux très particuliers avaient sur un de leur flanc une roue à aubes; celle-ci entrainée par le courant du fleuve actionne la mécanique pour la mouture. C’est le cas le plus simple car, pour augmenter la puissance, une roue très large (jusqu’à 6m) pouvait être fixée entre 2 bateaux ou un bateau pouvait posséder lui-même 2 roues, une de chaque côté.
Selon le niveau de l’eau ou l’importance du courant les bateliersmeuniers tiraient leurs nefs au large ou au contraire les rapprochaient de la berge.
L’avantage de ces moulins-bateaux, en plein centre de Lyon, étaient justement qu’ils se trouvaient à proximité du lieu de consommation du produit fini ! Autrefois le transport des denrées alimentaires a toujours été un souci et lorsqu’on pouvait le réduire c’était parfait. Un autre était que, quel que soit le niveau du fleuve ils oeuvraient. Ce n’est pas le cas des moulins à eau qui pouvaient mal fonctionner ou pas du tout selon le niveau d’eau de la rivière puisque l’axe de la roue est toujours à la même hauteur.
L’inconvénient était que cette armada de petites minoteries encombrait fortement le trafic sur le Rhône, alors très important. Et puis en temps de crue les amarres devaient être renforcées. En 1854 justement le plus gros moulin-bateau les rompit et emporta le tout récent pont Saint-Clair (construit en 1846 – à l’emplacement du pont de Lattre-de-Tassigny aujourd’hui).
Toutes les techniques, même les plus ingénieuses, ont leur revers.
Les photos de la page de couverture sont de l’auteur.
Lyon,
le chevet de la primatiale Saint-Jean et la colline de Fourvière,
la façade de la primatiale Saint-Jean,
l’oeuvre du Lyonnais Augustin Courtet (1849) à l’entrée principale du parc de la Tête d’or.
Malgré l’ancienneté de l’évènement, on connaît avec quelque précision les supplices endurés par cette femme et ses 46 compagnons d’infortune !
En effet, ils sont racontés dans une lettre, écrite par un témoin oculaire, passée à la postérité sous le nom de Lettre des chrétiens de Lyon à leurs frères d’Asie et de Phrygie. Connue d’Eusèbe (vers 265–339), évêque de Césarée en Palestine et auteur d’œuvres historiques et religieuses d’importance, elle est insérée telle quelle (ou de larges extraits) par celui-ci dans le cinquième livre de son Histoire ecclésiastique, œuvre qui lui permet d’être reconnu comme « Père de l’Eglise ».
Au IIe siècle de notre ère, Lyon est un important carrefour non seulement du monde gaulois, par ses routes terrestres1 mais également du monde romain, par le Rhône ; ville commerciale en liaison avec l’ensemble du Bassin méditerranéen elle attire de nombreux négociants2 en provenance de tous pays… C’est un vaste chaos de langues et de cultes et lieu d’un va-et-vient de marchandises, d’hommes et de dieux (Sébastien Charléty).
C’est la raison pour laquelle le christianisme, religion venue d’Orient, apparaît rapidement dans la capitale des Gaules « Orientaux, soldats, marchands, ils étaient les propagateurs du nouvel Evangile ». A l’origine la petite communauté chrétienne de Lyon est constituée d’émigrants – domestiques, artisans, ouvriers – venus en plusieurs vagues (vers les années 150–160 ?) de l’Orient grec essentiellement de la côte occidentale de la Turquie actuelle dont les grandes cités sont Ephèse, Pergame et Smyrne3, sous la conduite dit-on d’Irénée et de Pothin, disciples de Polycarpe; très rapidement ils firent des émules surtout parmi les pauvres et les esclaves.
Ces premiers chrétiens qui vivaient, on peut le supposer, paisiblement mais aussi marginalement, étaient surveillés par les autorités romaines car ils ne respectaient pas le culte rendu aux divinités païennes et ne reconnaissaient pas à l’empereur sa qualité divine. Considérés comme de mauvais sujets et désignés par le peuple comme responsables de ses maux et des malheurs du temps (épidémies, cataclysmes, etc.) ils étaient bien souvent la proie à la vindicte publique.
Ainsi en 177 sous le règne de Marc Aurèle, une émeute populaire – dont les causes ne sont pas connues – éclate contre les chrétiens de Lyon… tout à coup se déchaîna contre eux, une tempête de fureur et de rage, trop brusque et trop violente pour n’avoir pas été provoquée (André Steyert).
Extrait de la « lettre » : « … [la foule véhémente] s’emportant contre eux à toutes les violences, les chassant des maisons, des bains, des places publiques, les poursuivant en grandes troupes avec des cris et des coups, les entourant, les tirant, les secouant, leur jetant des pierres… Les sévices innombrables que leur infligeait la foule entière, ils [les martyrs] les supportèrent généreusement : ils furent insultés, frappés, traînés par terre, pillés, lapidés, emprisonnés ensemble ; on leur fit subir tout ce qu'une multitude déchaînée a coutume de faire contre des adversaires et des ennemis… ».
Ils sont arrêtés, emmenés au forum, interrogés brutalement, torturés puis emprisonnés dans des caveaux souterrains, sans aucun jour et sans air. Entassés telles des bêtes, pressés les uns contre les autres certains périrent suffoqués dont l’évêque Pothin plus que nonagénaire. D’autres, qui avaient la nationalité romaine, eurent droit à des égards… ils furent décapités ! Enfin les derniers furent livrés aux bêtes dans l’amphithéâtre et parmi eux, l’esclave Blandine4 dont la fin fut sublime… Laissons « parler» la fameuse lettre:
« Blandine fut liée et suspendue à un poteau pour être dévorée par les bêtes lancées contre elle ; la regarder ainsi attachée, en forme de croix, l’entendre prier à haute voix, donnait aux athlètes un grand courage. Pas une des bêtes ne la toucha en ce moment ; détachée du poteau elle fut ramenée dans la prison et réservée pour un autre combat… Le dernier jour des combats singuliers, on amena de nouveau Blandine, avec Ponticus, adolescent d’une quinzaine d’années. Chaque jour, on les avait conduits pour qu’ils vissent le supplice des autres et on les pressait de jurer par les idoles : ils demeurèrent fermes. Aussi la foule devint-elle furieuse contre eux, au point qu’elle n’eut ni la pitié due à l’âge de l’enfant ni le respect dû au sexe de la femme. On les fit passer par toutes les tortures et ils parcoururent le cycle entier des supplices. Tour à tour on voulait les contraindre à jurer, mais en vain. Ponticus était exhorté par sa sœur, si bien que les Gentils5 eux-mêmes voyaient que c’était elle qui lui donnait courage et fermeté. Après avoir supporté tous les tourments avec constance, il rendit l’âme.
Restait la bienheureuse Blandine, la dernière de tous… Après les fouets, après les fauves, après la chaise ardente, on finit par l’enfermer dans un filet et on la présenta à un taureau. Elle fut assez longtemps projetée par l’animal, mais elle n’éprouvait aucun sentiment de ce qui lui arrivait, à cause de son espérance, de son attachement aux biens de la foi et de sa conversation avec le Christ. Elle fut enfin immolée6, elle aussi, et les Gentils avouèrent eux-mêmes que jamais, parmi eux, une femme n’avait enduré d’aussi nombreux et d’aussi durs tourments ».
Les corps des chrétiens furent brûlés et leurs cendres jetées dans le Rhône afin de satisfaire la fureur de la foule qui pensait qu’ainsi, la résurrection de ces malheureux croyants serait impossible… Il ne restera rien d’eux sur cette terre, même plus une relique.
La situation de l’amphithéâtre du martyre a fait l’objet de débats archéologiques durant le XIXe siècle et même durant la première partie du XXe ! Certains le situaient au quartier d’Ainay7, d’autres à Fourvière et d’autres encore sur la colline de la Croix-Rousse au niveau de l’ancien Jardin des Plantes où, au début des années 1800, on avait dégagé quelques parties d’un édifice romain ! C’est près de ce dernier endroit, lors d’une campagne de fouilles sérieuses entreprises en 1956, que sont découvertes 2 stalles portant l’inscription suivante « En l’honneur de l’empereur Tibère César Auguste, Caïus Julius Rufus, fils de… ses fils… et son petit-fils, de la cité des Santons ont fait élever à leurs frais l’amphithéâtre8 ». Ensuite l’exploration du site permet de mettre à jour les vestiges du fameux monument, restes modestes car sa partie sud a été détruite durant les aménagements urbains de la deuxième moitié du XIXe ; ses dimensions extérieures définitives (il a fait l’objet d’un agrandissement au début du IIe siècle) sont de 105m sur 80 avec une arène centrale ovale de 67m sur 42 ; il pouvait contenir à peu près 20 000 personnes dans cette configuration.
Il ne fait aucun doute aujourd’hui que l’arène « aperçu » en 1820 et redécouvert en 1956 est l’amphithéâtre dit des Trois Gaules (la Celtique ou Lyonnaise, l’Aquitaine et la Belgique), à la fois sanctuaire du culte impérial et lieu des « jeux » traditionnels romains (combats de gladiateurs et exhibition/combats de fauves entre eux ou contre des hommes) ; c’est donc le lieu des persécutions des chrétiens en 177.
Il était aussi le site où se tenaient les grandes fêtes annuelles sensées consacrer l’union de Rome et de la Gaule, celle-ci représentée par les délégués de ses 60 peuples.
Il est difficile aujourd’hui, en circulant autour des « tristes et misérables vestiges » de ce monument, plus ou moins bien entretenu et absolument pas mis en valeur, d’imaginer les fastes et les splendeurs d’une riche cité… partie prenante d’un Empire alors à son apogée !
Ayons au moins une pensée pour le martyre de Blandine et des premiers chrétiens lyonnais.
Un érudit en 1921 a fait le décompte des victimes par recoupement à partir de plusieurs manuscrits : 22 ont été décapités, 18 morts en prison, 6 morts dans l’arène et une personne exécutée (?) (Source wikipédia).
Pothin a été le premier évêque de Lyon et des Gaules (on ne sait pas, où et quand il est né ; on s’accorde pour dire qu’il avait plus de 70 ans en 177). Une fresque lui est consacrée dans la basilique de Fourvière illustrant son arrivée à Lyon d’une façon allégorique.
C’est Irénée qui lui succède ; présent à Lyon en 177 il réussit à échapper aux persécutions. Certains prétendent qu’il serait l’auteur de la fameuse lettre. Peut-être né à Smyrne vers les années 120–130 il meurt vers les années 200, peut-être persécuté. Par contre nous avons connaissance aujourd’hui de ses 5 livres qui nous prouvent sa grande foi et son immense mansuétude comme le signale Eusèbe de Césarée « Irénée (le pacifique) portait bien son nom, car il était pacificateur par son nom comme par sa conduite ».
Polycarpe, né à Smyrne vers 70–90, aurait été un disciple de l’apôtre Jean à Ephèse9 ; évêque de sa ville natale il meurt martyr vers 160–165, brûlé vif sur ordre de l’empereur Marc Aurèle. Bien qu’il ne soit jamais venu en Gaule, une église lui est dédiée à Lyon ; située sur les pentes de la Croix-Rousse c’est l’ancienne église des Oratoriens. Pour la « petite histoire » : sa façade porte encore les impacts de boulets tirés par des canons situés dans la plaine des Brotteaux et servis par les révolutionnaires à la solde de la Convention (lors du siège de Lyon, automne 1793).
En février 197 – soit 20 ans après le martyre – Lyon est pillée, dévastée et en partie incendiée par les légions de Septime Sévère vainqueurs de celles d’Albin à proximité de la cité. Elle ne retrouvera jamais ni son opulence ni sa suprématie politique. Serait-ce un châtiment divin punissant une population particulièrement cruelle qui avait non seulement soutenu mais aussi participé aux persécutions ? Le Dieu de Blandine se serait-il vengé ?
Henri-Paul Eydoux dans son article « Où sainte Blandine a-t-elle été martyrisée » Miroir de l’Histoire 07/1961. Les extraits de la lettre proviennent de ce document. Elle est également largement citée dans le livre de Paul-Marie Duval, La Gaule pendant la paix romaine
Sébastien Charléty, Histoire de Lyon
André Steyert, Nouvelle histoire de Lyon
Bernard Berthod et Jean Comby, Histoire de l’Eglise de Lyon
1 La Via Agrippa comprenait 4 voies : vers l’Atlantique, vers le nord, vers le Rhin et vers le sud (1er siècle avant Jésus-Christ)
2 Gilbert Tournier (ancien directeur de la Compagnie nationale du Rhône - CNR) dans son Lyon, fille du Rhône les qualifie de gréco-asiates
3 Aujourd’hui Izmir au bord de la mer Egée ; autrefois ville prospère d’Asie Mineure et lieu de l’une des sept Eglises d’Asie mentionnées dans le livre de l’Apocalypse de Jean faisant partie du Nouveau Testament
4 Il semble que c’était une femme mûre de frêle apparence plutôt qu’une jeune fille… comme la légende le propage par quelques peintures !
5 Les païens
6 Égorgée
7 Comme Jules Michelet (1798–1874) dans son Histoire de France
8 Cette inscription permet de dater la construction du monument, Tibère ayant régné de 14 à 37 de notre ère
9 Assez étonnant car il faudrait que l’apôtre Jean meurt à plus de 80–90 ans…
Histoire tumultueuse ? Et pourtant… l’actuel territoire des départements du Rhône et de la Loire a été occupé par la même tribu gauloise, les Ségusiaves dont le principal lieu de rassemblement aurait été Feurs ! Les législateurs de l’Assemblée constituante, fin 1789, le savaientils lorsqu’ils ont constitué le département du Rhône-et-Loire ?
Leur histoire est commune - une seule entité - mais reste nébuleuse durant toute la deuxième partie du premier millénaire. On sait cependant que le territoire du futur comté de Lyon et de Forez fait partie de la Lotharingie (ou Francie médiane) lors du fameux partage de l’empire de Charlemagne en 843 puis du royaume d’Arles et ensuite du royaume de Bourgogne et d’Arles qui sera incorporé à l’Empire germanique en 1032 ; en vérité il est coincé entre la France et la Germanie car la Saône et le Rhône – rivières qui partagent théoriquement les territoires liés à ces 2 entités, rive droite la France, rive gauche la Germanie – ne limitent en réalité « pas grand-chose » et l’autorité de l’empereur est aussi problématique et vague à l’est que celle du roi à l’ouest… en plus la cité de Lyon est « à cheval » sur ces 2 rivières ! Alors ? Il nous faut conclure comme tous les historiens : « … indépendance vis-à-vis de la France et dépendance illusoire vis-à- vis de l’Empire, voilà ce qu’offre le Lyonnais à cette époque… ».
Essayons de faire un rapide récapitulatif de ces temps, confus politiquement et durs, rudes et incertains pour les hommes et leurs biens par les raids et pillages des Normands en 911, des Hongrois qui ravagent la Bourgogne et Lyon (comme l’abbaye d’Ainay « hors les murs » de Lyon et celle de Savigny près de l’Arbresle) en 925 et 935 et des Sarrasins qui se sont installés en Provence dès 890.
Un des premiers personnages importants liés à notre région est le comte Gérard (vers 810–879) titré, selon les historiens, duc de Lyon ou de Vienne. Homme fort de Lothaire Ier empereur d’Occident de 840 à 855 (fils de Louis Ier le Pieux donc petit-fils de Charlemagne) puis de son fils Charles de Provence, il est passé à la postérité sous le nom de Girart de Roussillon - par l’intermédiaire des épopées ou chansons de geste - écrites aux XIe et XIIe siècles - qui glorifient l’époque carolingienne10. Il est un exemple typique de ces officiers-fonctionnaires nommés pour administrer autant civilement que militairement un territoire et qui, par leur mérite, leur autorité, leur savoir-faire et leur volonté surent augmenter peu à peu leurs pouvoirs et étendre leurs prérogatives. C’est ainsi que le système féodal se met en place. Grand seigneur et donc aussi grand bienfaiteur de l’Eglise, c’est lui (avec sa femme Berthe) qui est à l’origine du premier monastère édifié à Vézelay (vers 860, initialement installé au village de St Père, il sera transféré sur la colline, quelques années plus tard, à la suite d’un raid des vikings ; quant aux prétendues reliques de Marie-Madeleine – qui ont fait la renommée du site - elles auraient été ramenées de Provence vers 880 pour les mettre à l’abri des Sarrazins mais… on les redécouvre à Saint Maximin en 1279 !)
Son successeur est un dénommé Boson (vers 844–887) beau-frère de Charles II le Chauve (empereur de 875 à 877, demi-frère de Lothaire Ier) qui, grâce à son habileté et à son entregent réussit à se faire nommer roi d’un vaste territoire - du Doubs à la Méditerranée – connu sous l’appellation de royaume de Provence ou royaume d’Arles11 (en 879). Les historiens ne sont pas tous d’accord sur le lieu de sa capitale, Lyon pour les uns, Vienne pour les autres. Malgré les tentatives des empereurs et rois carolingiens pour récupérer cette principauté, Boson s’y maintint et sut rester indépendant.
Au début des années 900 un puissant féodal (par l’étendue de son territoire) vassal du roi de France Guillaume duc d’Aquitaine, comte de Mâcon (c’est lui qui fait donation de terres pour constituer le monastère de Cluny d’où son appellation de Guillaume le Pieux) essaie d’annexer le comté de Lyon (qui semblerait être séparé, à cette époque, de celui du Forez) prétextant qu’Ermengarde, son épouse, a des droits sur celui-ci puisque fille de Boson ! On ne sait pas exactement quelle a été son exacte domination sur la contrée mais, de toute manière elle prit fin en 918 année de sa mort.
En 933, un des descendants – par alliance - de Boson, Hugues d’Arles, pour diverses raisons, perd son royaume qui est rattaché à celui de la Bourgogne alémanique. Le royaume de Bourgogne et d’Arles - dépendant de l’Empire germanique - est ainsi constitué ; il prend fin en 1032 au décès - sans postérité - de Rodolphe III qui avait institué l’empereur germanique12 comme héritier.
Quelle est la situation du ou des comtés lyonnais en ce début de XIe siècle ?
Si la plupart des comtes de la Bourgogne alémanique se révoltèrent contre cette mainmise germanique et appelèrent le comte de Champagne Eudes à leur aide13 et malgré quelques troubles lors de la succession d’un archevêque, Lyon semble avoir accepté dans la tranquillité la souveraineté de l’empereur.
Quel est le territoire du comté ? Il est divisé en pays secondaires comme le Lyonnais, le Jarez (St Chamond, Feugerolles, Pélussin…), le Forez et le Roannais, ce dernier sera morcelé peu à peu et incorporé au royaume de France.
C’est à cette époque que les comtes, s’apercevant de l’hostilité de la bourgeoisie lyonnaise à leur égard, s’installent solidement en Forez en construisant un ensemble de forteresses (n’oublions pas que le château est, à cette époque, non seulement un site de défense mais également un symbole de pouvoir14) comme par exemple à Chalmazel, Chevrières, Grangent, Marcilly, Cleppé et enfin à Montbrison qui deviendra au fil du temps leur capitale.
Il est bordé à l’ouest par l’Auvergne, longtemps partagée entre Francs et Wisigoths (ou Aquitains). C’est un fief – théoriquement - du duché d’Aquitaine mais ses comtes essaient de s’affranchir de leur suzerain direct pour dépendre directement du roi de France. Quant à l’évêque de Clermont il entend être le maître dans sa « seigneurie épiscopale ». Il est logique d’envisager que ce comté sera un lieu de discorde entre capétiens et Plantagenêt au XIIe siècle !
Au nord la seigneurie de Beaujeu commence à prendre de l’importance et le comté de Mâcon vacille entre la France et l’Empire (français puis germanique en 1155 puis français définitivement en 1239).
Entre Saône et Rhône, la Dombes, la Bresse, le Bugey et le Revermont sont terres d’Empire. Cinq sireries se constituent, celle de Baugé, de Thoire, de Villars, de Coligny et de Montluel. Elles subiront peu à peu, par alliances, traités et achats la domination des comtes de Savoie sauf deux territoires (le long de la Saône) à l’histoire particulière, le Franc-Lyonnais et la principauté de Dombes.
A l’est, l’ancêtre de la famille de Savoie, le « comte» de Maurienne Humbert commence son expansion en s’accaparant de terres près de Chambéry et Montmélian (la Combe de Savoie), dans les vallées (Maurienne, Tarentaise et Aoste), dans le Bugey et dans le Viennois… mais quelle est son influence aux alentours de Lyon ?
Au sud et sud-est, Guigues Ier d’Albon (vers 1030) se constitue un territoire autour de Vienne (c’est un suzerain – théorique - de l’empereur); ses descendants chercheront à étendre leur souveraineté vers Grenoble, le Grésivaudan et le Briançonnais ; ainsi s’établit peu à peu la seigneurie du Dauphiné (c’est Guigues IV, mort en 1142, qui portera le premier le surnom de Dauphin).
Mais la grande affaire de l’époque (XIIe et XIIIe) est politique : le Lyonnais a un « gouvernement » bicéphale ! Le pouvoir temporel est en « colocation » c'est-à-dire qu’il est partagé entre un laïc - un comte qui s’intitule comte de Lyon et de Forez depuis Artaud Ier mort en 999 qui aurait réuni les domaines lyonnais de son père Gérard à ceux foréziens de sa mère, Gimberge – et un religieux, l’archevêque de Lyon. Cela signifie que les droits et redevances de toute sorte sont partagés par moitié entre le comte et l’archevêque !
Au fil du temps les comtes se rapprochent de plus en plus de la France alors que les archevêques ne reconnaissent que l’empereur.
Pour la petite histoire c’est en 1079 que le pape Grégoire VII élève au rang de Primat des Gaules15 l’archevêque de Lyon ; cet acte sera confirmé plus tard par Calixte II en 112116 ce qui provoquera l’indignation du roi de France de l’époque Louis VI le Gros (1081–1137) qui estime qu’ainsi les évêques de France sont sous la sujétion du prélat d’une cité qui appartient à un pays étranger !
Une cohabitation pacifique ne pouvait perdurer et elle prit fin lorsque 2 personnages énergiques et d’envergure ne purent se satisfaire de cette situation ambiguë, le comte Guy17 II et l’archevêque Héracle de Montboissier18.
Les hostilités commencent lorsque le 18 novembre 1157, à Arbois, l’empereur Frédéric Ier Barberousse, dans un diplôme scellé solennellement d’une « bulle d’or » (cela signifie que le sceau est constitué de 2 feuilles d’or ; il souligne l’importance de l’édit) accorde à l’archevêque de Lyon tous les droits souverains dans la ville de Lyon et dans la partie du diocèse à l’est de la Saône. Ces droits séculaires (péages, chasse, monnaie, juridiction, etc.) qui appartenaient par moitié au comte ne sont donc plus reconnus. Les 2 parties s’arment accompagnés de leurs alliés, le comte de Mâcon pour Héracle et le comte d’Albon pour Guy II. Batailles (l’une d’importance à Yzeron en 1158), escarmouches et armistice se succèdent jusqu’à la victoire finale du comte en 1162 après avoir traité la ville de Lyon durement en s’en prenant aux édifices religieux (la conséquence en est la construction d’une fortification autour du quartier canonial – le grande cloître St Jean – qui perdurera jusqu’en 1562, début de sa démolition par les huguenots19).
L’étonnant est qu’il faille attendre 117320 pour que cette longue lutte se termine par un traité de partage (appelé dans les livres d’histoire, « Permutatio ») qui attribue exclusivement le comté de Lyon à l’Eglise (dans le cadre de l’Empire germanique ; cette autorité temporelle sera partagée entre l’archevêque et les 32 chanoines de la cathédrale) et le comté de Forez au comte. En réalité il s’agit d’un échange, le comte de Forez cède à l’Eglise de Lyon ses droits sur la ville et le Lyonnais à l’est de la Saône et du Rhône tandis que celle-ci lui abandonne les seigneuries qu’elle possédait à l’ouest de ces mêmes rivières… avec des exceptions (voir la figure sur le 2e tome du livre d’André Steyert Nouvelle histoire de Lyon). Toutefois Guy II n’est pas pleinement satisfait de cet accord et, en se reconnaissant comme vassal du roi de France, il conservera son titre de comte de Lyon d’une façon purement honorifique jusqu’à sa mort en 1210 !
Ce fameux comte Guy II mérite qu’on s’attarde un peu sur sa vie. D’abord il est resté à la tête de son comté plus de 60 ans – ce qui n’est pas banal – et en plusieurs fois car, après avoir associé son fils Guy III en 1188, il lui cède tous ses droits en 1198 puis se retire dans l’abbaye cistercienne de La Bénisson-Dieu (au nord de Roanne) dont il avait favorisé l’expansion. Mais Guy III meurt à Acre en 1203 et comme son fils Guy IV est trop jeune (5 ans) pour gouverner, Guy II reprend son service comtal en parrainant son petit-fils aidé en cela par son fils cadet Renaud de Forez, archevêque de Lyon depuis 1193 (a-t-il été nommé pour apaiser le conflit Forez-Eglise de Lyon ?).
Cet archevêque Renaud a laissé sa marque à Lyon de 1193 à 1226. Il lui revient d’avoir introduit l’art gothique dans la construction de la cathédrale St Jean même si le chantier est souvent retardé par des difficultés politiques (tension avec les chanoines - clercs attachés à la cathédrale21 dont les fonctions sont liées à la liturgie, à l’aumône et à l’enseignement mais aussi à la gestion du diocèse et à la désignation de l’archevêque - et révolte des bourgeois en 1208 contre des taxations sur des marchandises imposées par Renaud qui a nécessité l’arbitrage du pape Innocent III) et financières. N’est-il pas représenté dans un vitrail de l’abside? C’est sous l’épiscopat de Guichard de 1165 à 1182 (ancien abbé de l’abbaye cistercienne de Pontigny près d’Auxerre) – qui a succédé à Héracle de Montboissier – que le projet d’édification d’une nouvelle cathédrale22 a été lancé vers 1175 poursuivi ensuite par Jean Bellesmains (1182–1193) qui a laissé le souvenir d’un grand personnage, d’un grand administrateur et d’un homme de haute spiritualité.
Mais revenons à Renaud ; il entame la mise en défense de son comté en édifiant des forteresses comme les châteaux d’Anse, de Chessy-les-Mines23 et celui de Pierre-Scize (au nord de Lyon, rive droite de la Saône) qui sera pendant plusieurs siècles la résidence des archevêques… avant de devenir prison ! Avisé gestionnaire, c’est lui qui associe les chanoines au gouvernement temporel du comté de Lyon : il divise les terres de l’Eglise (certaines sont situées géographiquement dans le comté de Forez – entorse au traité de partage de 1173 - comme la seigneurie de Saint-Symphorien-le-Château) en autant de circonscriptions qu’il y a de chanoines et en attribue une à chacun d’eux ! L’administration de ces domaines – sorte de baronnies – ne les embarrasse aucunement car, sachons le, ils sont tous issus de familles aristocratiques (au XIVe siècle on leur demandera de prouver un lignage noble depuis 4 générations soit 16 quartiers de noblesse). C’est ainsi qu’ils s’attribueront, jusqu’à la Révolution, le titre de comte de Lyon. L’objectif de l’archevêque était, non seulement d’apaiser les relations parfois tumultueuses entre lui et eux, mais aussi de fortifier le pouvoir temporel de l’Eglise… au détriment de l’aristocratie bourgeoise lyonnaise qui va se rebeller puisqu’elle s’estime exclue de la gestion de sa cité !
L’insurrection durant les dernières années du règne de Saint Louis est d’importance et supplante celle de 1208 (…effet secondaire de l’indéniable prospérité de cette époque ?). Les bourgeois, profitant de la vacance du pouvoir archiépiscopal24 et de l’arrestation de l’un des leurs, se révoltent, élèvent des redoutes (à la fois défensives et offensives) aux points névralgiques de la ville (l’une en particulier en haut de la montée du Gourguillon), créent une Commune avec un Consulat de 12 membres élus (avec pouvoir législatif, administratif et exécutif), assiègent le cloître St Just (où s’étaient réfugiés les chanoines) mais capitulent devant les troupes du comte Renaud de Forez (c’est le fils cadet de Guy IV ; il agit plus ou moins en tant que mercenaire car payé par les chanoines pour les secourir !) puis demandent une trêve qu’on leur accorde le 27 juin 1269.