Du même auteur :
L'Héritier
La guerre des dieux :
1 – Le Maître des Ombres
2 – L’Enlèvement
3 - Les Royaumes Oubliés
4 - Le Roi Félon
5 - Le Talisman des Âmes
Prochainement : 6 - La Déesse Déchue
Kiwa
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N'étant qu'au balbutiement de ma formation de biologiste, il y aurait certainement à redire sur certaines de mes théories, cependant le message que je veux faire passer est que la vie est complexe et fascinante. Nous ne connaissons en réalité que peu de chose sur ce monde sous-marin. Pourtant ce n'est pas parce que nous ne le voyons pas qu'il n'existe pas...
Cayla Dawson expira pour vider ses poumons et cassa son corps pour plonger plus profondément. En quelques coups de palmes, elle rattrapa le baleineau qui lui jeta un rapide coup d’œil.
D'humeur joyeuse, ce dernier vint tourner autour d'elle, tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos, partageant un moment unique et riche en émotions avec la biologiste. Puis il remonta pour respirer avant de replonger à son niveau.
Ils se trouvaient dans le Pacifique, au nord-est de la Nouvelle-Zélande, non loin de la fosse des Tonga. Cet océan était un paradis marin, car on y trouvait des espèces toutes plus fascinantes les unes que les autres.
La mère se rapprocha avec grâce, ne lâchant pas du regard la jeune femme qui nageait près de son petit. Habituée à la voir, sa présence ne l'effrayait plus, mais elle ne tenait pas à ce qu'elle s'approche trop de sa progéniture. La biologiste le savait et maintenait toujours une distance respectueuse.
Redressant la tête, elle leva la main dont le pouce et l'index formaient un cercle, en direction de Nick qui filmait tout le spectacle avec une caméra, à seulement deux mètres au-dessus. « Ça va ? » Il lui répondit par le même geste pour lui dire que tout était OK. Puis il lui fit signe de se dépêcher.
Cayla observa son ordinateur de plongée et réalisa que si elle ne voulait pas faire de palier, il ne lui restait que quinze minutes pour faire ses prélèvements sur la baleine à bosse. De plus, la nuit tombait et elle avait hâte de remonter se reposer. Battant des palmes, elle se rapprocha de la mère qui nageait non loin d'elle, et sortit son matériel.
Elle vit l'immense œil de l'animal braqué sur elle. Tout doucement pour ne pas l'effrayer, Cayla tendit la main pour toucher son dos. La baleine ne se déroba pas, aussi la jeune femme commença à gratter la peau pour détacher les parasites qui s'y nichaient.
L'analyse de ces petites bêtes, pour la plupart des petits crustacés, leur en apprendrait davantage sur leur mode de vie et de fonctionnement. Cela permettait également de définir si cette association entre la baleine et le petit organisme était une symbiose ou un commensalisme. Dans le premier cas, on pouvait alors chercher ce que les parasites pouvaient apporter à la baleine, tandis que dans le second, on cherchait ce que la baleine donnait sans retour à ses « passagers ».
Si certaines études avaient déjà été faites, les biologistes continuaient d'analyser pour savoir si d'autres espèces de parasites avaient pu trouver un intérêt aux baleines, ou si les baleines, pour une raison inconnue, avaient besoin d'une nouvelle espèce pour leur fournir ce qu'elles ne pouvaient se procurer elles-mêmes. Avec l'activité humaine, il fallait tenir compte de certaines mutations génétiques possibles, provoquant ainsi le besoin d'une nouvelle symbiose.
Cela permettait également de définir si une espèce de parasite préférait une eau particulière et se détachait ainsi quand la migration de la baleine n'était plus sa destination.
Alors que Cayla avait pratiquement fini, quelque chose inquiéta la mère, car elle fila vers son petit et l'entraîna loin de la jeune femme, le faisant remonter à la surface pour le protéger. Cette dernière sursauta quand Nick lui serra l'épaule. D'un geste lent, il lui désigna une bande de trois requins blancs qui venait d'apparaître.
Cayla eut un moment de surprise. Bien qu'elle sût que ces prédateurs n'attaquaient pas les hommes sans raison, leur taille imposante et leurs dents acérées ne mettaient pas spécialement à l'aise au premier abord. Elle avait déjà plongé avec des requins et en gardait de merveilleux souvenirs, elle savait parfaitement qu'il n'y avait rien à craindre si elle respectait leur espace, mais là, elle était prise au dépourvu.
Et puis de toute façon, que faisaient-ils en banc ? Ces squales étaient des créatures solitaires, pourtant, leur comportement révélait clairement qu'ils chassaient ensemble, ce qui était inhabituel.
La biologiste fit signe à Nick qu'ils remontaient, car il n'était pas prudent de rester si près des requins alors qu'ils chassaient. Ces derniers ne leur prêtaient qu'une vague attention, sans pour autant les ignorer. Ils ne voulaient pas s'en prendre à eux, leur attention était ailleurs, et Cayla se demanda bien ce qu'ils pouvaient chercher comme ça. Car les baleines ne semblaient pas les intéresser non plus. Or elle ne voyait pas ce qui avait pu les pousser à s'associer, ce qui les poussait à flairer des pistes comme des chiens de chasse furieux d'avoir perdu leur proie.
Sans mouvement brusque, Cayla et Nick remontèrent lentement à la surface, sans jamais lâcher les requins du regard. Ces derniers fouillaient, reniflaient, puis ils repartirent à grande vitesse.
Quand les deux chercheurs furent remontés à la surface, les squales étaient déjà loin. Mais d'autres pouvaient encore arriver, et vu leur attitude étrange, il n'était pas prudent de rester dans l'eau pour le moment.
- Déjà de retour ? lança un imposant barbu aux yeux noisette sur le pont.
- Allez Chris, envoie l'échelle, dépêche ! cria Nick avant de remettre son détendeur en bouche.
Contrairement à Cayla, Nick paniquait toujours trop vite quand les requins apparaissaient.
- Là, voilà !
Chris abaissa la grosse échelle et les plongeurs remontèrent difficilement sur le bateau de recherche, le poids de leur bouteille gênant considérablement leurs mouvements. Une fois en haut, il aida Cayla à passer les derniers barreaux, puis il lui donna un coup de main pour retirer son gilet stabilisateur et sa bouteille.
Chris Stevens plongeait rarement, il s'occupait en général des appareils comme le sonar, l’échosondeur, l'hydrophone, les émetteurs et tous les autres instruments indispensables à la recherche. C'était lui qui suivait à la trace les baleines une fois que Cayla avait posé sur elles les balises de traçage. Âgé de trente-cinq ans, cet Américain au tempérament tranquille, mais un peu bourru était l'aîné du groupe. Pourtant, il se pliait toujours aux directives de Cayla sans broncher, ce qui faisait rire Nick.
Chris avait fait ses études à Milwaukee, une ville proche de Chicago où il avait obtenu son doctorat. Alors qu'il cherchait un emploi, il avait accompagné sa femme pour le travail dans les environs de Tadoussac, au Québec, et en avait profité pour visiter le musée des mammifères marins. C'est là qu'il avait rencontré Cayla, qui était venue y travailler. Quand elle lui avait annoncé qu'elle recherchait un biologiste ayant de grosses compétences dans la technologie pour intégrer son équipe, il avait tout de suite postulé. Depuis, ils travaillaient toujours ensemble au sein du même Institut.
- Qu'est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il en voyant Nick trembler.
- Des requins blancs, répondit Cayla en enlevant ses palmes et son masque. Ils sont apparus soudainement, dans une attitude de chasse. Ils semblaient chercher leur proie depuis un moment sans là trouver, c'était intrigant. De plus, ils chassaient ensemble, ce qui est encore plus inhabituel pour des requins.
- Le baleineau ?
- Non, ils s'en fichaient complètement, comme de nous d'ailleurs. Ils cherchaient autre chose. Mais je n'ai rien vu.
- Bah, un banc de poissons ?
- S'il te plaît Chris, je connais suffisamment le comportement des requins pour savoir qu'ils cherchaient quelque chose qui semblait leur avoir filé entre les doigts ! Ils ne se seraient pas groupés pour un banc de poissons, les requins blancs sont des prédateurs solitaires, qu'ils se soient mis en bande montre bien qu'ils avaient affaire à quelque chose d'autre.
- Nageoire, rectifia Nick avec un sourire narquois. Quelque chose leur a filé entre les nageoires. Les requins n'ont pas de doigts, ma chère.
Grand plaisantin, Nick Snyder venait d'entrer dans la trentaine, pourtant il conservait toujours son âme de gamin. Cet Australien un peu fanfaron recevait continuellement les piques de ses deux collègues, ce qui alimentait encore plus sa répartie. Plutôt spécialisé dans la photographie, il avait rencontré Cayla alors qu'elle s'était offert des vacances en Australie, après la réussite de sa thèse. Elle avait fait une excursion dont il était le guide, simple travail saisonnier, et il l'avait tellement apprécié qu'il venait travailler avec elle quelque temps plus tard. Nick avait passé un Master en biologie marine à Townvilles City, mais n'avait pas eu le courage de continuer en doctorat. Il était donc plus assistant que chercheur à proprement parlé, mais ses connaissances et surtout son génie de la photo aidaient grandement Cayla.
Ignorant la réplique, la jeune femme continua :
- Leurs capacités sensorielles leur permettent de détecter des bancs de poissons sur des kilomètres à la ronde, ils ne l'auraient pas perdu comme ça.
- Alors quoi ?
- Je ne sais pas, quelque chose de beaucoup plus rapide qui aurait pu les semer. Une proie qui les aurait, disons, forcés à coopérer.
- Laisse tomber Cayla, l'eau t'a fatiguée, se moqua Chris en rangeant la bouteille tandis qu'elle séchait ses cheveux auburn avec une serviette. Il arrive parfois que les animaux adoptent des attitudes différentes, cela ne veut pas forcément dire qu'on a affaire à de l'incroyable. Et puis de toute façon, toi, tu t'occupes des baleines, laisses l'autre couillon étudier les requins.
La jeune femme lui jeta un regard furibond en retirant difficilement sa combinaison.
- Tu es obligé de l'appeler comme ça ?
- Il n'y a pas d'autres qualificatifs.
- Avoue qu'il est quand même emmerdant sur les bords ! renchérit Nick.
- Sur les bords ? Tu es bien gentil ! Ce gars aurait énervé un mort ! « Salut, les poulettes, matez-moi un peu ce physique de top-modèle ! », « Écoute gamin, c'est moi le spécialiste OK ? Alors tu te tais et tu écoutes mon super discours ! » Et j'en passe d'autres, mais je pourrai écrire un livre avec ces répliques à la con !
Les deux hommes éclatèrent de rire.
- Tu le vois toujours ? enchaîna Nick.
Cayla les dévisagea comme une mère impatiente, les poings sur les hanches.
- Non, je ne le vois plus.
- Ah ! La bonne nouvelle de la journée !
- La place est de nouveau libre, alors ! s'écria Nick avec un clin d’œil aguicheur pour la jeune femme.
- J'en connais un autre qui sera ravi, glissa Chris à son ami.
Feignant de ne rien entendre, la jeune femme jeta son sachet d'échantillons sur les genoux de Nick.
- Comme tu ne sembles pas savoir quoi faire, tu vas pouvoir commencer à préparer tout ça ! On l’observera demain.
Elle lui adressa un sourire malicieux avant de gagner sa cabine. Enlevant son maillot de bain, elle se sécha avant d'enfiler ses vêtements et un gilet chaud. S'accoudant au hublot de sa cabine, elle contempla les baleines.
Elle était émerveillée par ces créatures depuis qu'elle avait dix ans, quand son oncle l'avait amené les voir pour la première fois au Saint-Laurent. Depuis, elle s'était juré qu'elle deviendrait biologiste afin de les étudier. Elle avait passé les premières années de son cursus à Rimouski, au Québec, puis avait terminé ses études à Vancouver, où elle habitait à présent depuis huit ans, bien qu'elle n'y soit pas souvent. Elle travaillait pour l'Institut de recherche de la faune marine et devait voyager sans cesse pour son travail, ce qui lui convenait parfaitement.
La biologiste de 29 ans réfléchit alors à ce qui venait de se passer sous l'eau. Elle était sortie pendant quelque temps avec un Italien ichtyologiste, rencontré à Vancouver alors qu'elle donnait une conférence sur les orques. Retrouvant en cette jeune Québécoise la même attirance pour l'océan, il lui avait appris beaucoup de choses sur les requins. C'était grâce à ses connaissances que la jeune femme était pratiquement sûre que les squales étaient frustrés de s'être laissés distancer par une proie.
De plus, ils chassaient seuls, c’étaient des êtres solitaires. Quelque chose les avait poussés à faire équipe, et ce quelque chose les avait ensuite semés.
Cayla se rinça le visage avec de l'eau douce. Intelligents, les requins avaient sûrement dû comprendre qu'ils avaient affaire à une nouvelle proie bien plus rusée, et qu'ils n'avaient pas d'autres choix que de chasser ensemble pour la coincer. De plus, ils avaient une grande capacité à repérer leur proie, qu'ils puissent ainsi la chercher comme ils semblaient l'avoir fait, affirmait une chose : l'animal qu'ils traquaient était vraiment rapide, plus rapide que les proies habituelles des requins.
Cayla fut réveillée en sursaut par le bip du sonar. Les yeux rougis de fatigue, elle jura en constatant qu'elle avait renversé son café en s'assoupissant. Son tour de garde commençait sérieusement à lui peser, mais ils avaient détecté des signes d'orages la veille, il était préférable que quelqu'un reste éveillé.
Refoulant le sommeil, elle regarda l'écran. D'après l'appareil, un petit groupe de dauphins approchait tranquillement. Il était à une distance de 2km et se déplaçait à une vitesse de 5 nœuds. Si elle voulait les voir passer, Cayla avait une dizaine de minutes pour se préparer.
Elle commença par essuyer la flaque de café à ses pieds en maugréant, puis partit dans sa cabine se changer. Elle enfila un coupe-vent par-dessus un gilet et sortit sur le pont du bateau, s'accoudant au bastingage en attendant le passage des mammifères.
La mer était calme cette nuit - les prévisions météorologiques s'étaient finalement trompées - aussi pouvait-elle déjà entendre leur souffle. Les dauphins nageaient en surface. Tant mieux, elle pourrait les apercevoir.
Cayla étouffa un long bâillement.
- Vous devriez dormir, c'est ce que je ferais moi, souffla-t-elle.
Contrairement à elle, les dauphins ne semblaient pas avoir sommeil. En sentant la présence du bateau, ils accélèrent le rythme par curiosité, et bientôt, la jeune femme put enfin les voir. Ils étaient magnifiques, avec leur dos gris qui brillait sous les éclats de la lune. Ils nageaient autour du bateau, bondissant parfois devant les yeux émerveillés de la biologiste.
De jour, ce spectacle était magnifique, mais de nuit, il était féerique. Les dauphins l'avaient repéré, car ils nageaient de son côté, leur nageoire dorsale fendant les flots.
Il y eut soudain un bruit à tribord, comme si quelque chose s'était laissé tomber dans l'eau. Les dauphins gloussèrent et sondèrent. Cayla se précipita de l'autre côté du bateau et plissa les yeux pour apercevoir quelque chose. Il y avait effectivement un remous près de la coque.
« Ce doit être un autre dauphin », songea la jeune femme.
Retournant dans la cabine de pilotage pour voir où se trouvaient les mammifères, la jeune femme hoqueta de stupeur en découvrant la présence d'un autre animal que le sonar n'avait pas identifié. Elle tapota l'écran pour être certaine qu'il n'y avait aucune anomalie, mais le point inconnu ne disparut pas.
Soufflée, Cayla activa l’échosondeur pour obtenir une « image » des eaux autour du bateau, et elle découvrit effectivement une forme indistincte qu'elle n'avait jamais observée jusqu'à présent. Elle se précipita sur le pont et se pencha au bastingage, fouillant les eaux noires. Elle voyait parfois un reflet gris lumineux, mais rien qui ne sortait de l'ordinaire.
- Mais qu'est-ce que ça peut bien être ?
Retournant en courant dans la cabine, elle constata que l'animal était toujours là, se « baladant » autour du bateau. Il se dirigeait vers la proue.
La biologiste fonça pour essayer de le voir et manqua de passer par-dessus la rambarde tant elle se pencha avec violence.
Elle vit alors quelque chose passer sous l'eau. Un reflet pâle, presque blanc. Le mouvement de nageoire ne ressemblait pas à celui d'un dauphin, mais plutôt à celui d'un poisson. La jeune femme ne pouvait pas vraiment définir sa taille, car l'eau était trompeuse, mais l'animal n'était pas petit, sûrement plus grand qu'elle.
Cayla suivit des yeux le reflet pâle qui disparut bientôt. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Un requin ne serait pas inconnu au sonar. Un poisson ? Mais alors pourquoi ne l'avait-elle pas reconnu à l’échosondeur ?
Elle entendit alors un splash sonore, mais quand elle se tourna vers sa droite, elle ne vit que le remous de l'animal. À quoi jouait-il ? La regardait-il ? Un animal curieux, mais timide ?
Retournant à l'intérieur du bateau, Cayla fouilla dans les caisses de pêches et en sortit plusieurs poissons dont elle se servait pour attirer les dauphins. En passant devant le poste de commande, elle remarqua que l'inconnu n'était pas parti. Les dauphins non plus.
La biologiste se rendit à tribord, là où il se trouvait, et commença à jeter des poissons à la mer. Heureux, plusieurs dauphins émergèrent pour les engloutir.
- Non, non ! S'il vous plaît, laissez-en !
Bien sûr, les mammifères n'obéirent pas. Cayla eut beau s'arracher les yeux, elle ne vit rien d'autre que des dauphins qui se régalaient.
Elle passa alors à bâbord et lança quelques autres poissons. Trop occupés de l'autre côté, les mammifères ne les virent pas. Cayla patienta, s'attendant à voir le mystérieux poisson s'attaquer au festin, mais il ne se montra pas.
La jeune femme partit donc jeter un œil au sonar qui lui indiqua qu'il se trouvait bien à bâbord, mais quand elle revint, elle ne le vit pas. Et les poissons avaient disparu.
- Mais qu'est-ce que ça peut bien être ?
Parlant plus doucement, elle se pencha vers l'eau :
- Je ne vais rien te faire, viens, montre-toi.
Autant parler à un mur.
La biologiste décida alors de prévenir ses collègues. Entrant en trombe dans la cabine de Nick, elle tira sur le drap pour le réveiller.
- Oh, ma belle, tu viens me rejoindre ? gloussa-t-il.
- Tais-toi et viens, il se passe un truc !
Tandis qu'il s'habillait, elle partit réveiller Chris.
- Alors, quoi ? demanda Nick d'une voix pâteuse.
- Il y a quelque chose dans l'eau, avec les dauphins. Quelque chose que le sonar ne reconnaît pas. Je l'ai entendu, mais impossible de le voir. Venez !
Elle les mena dans la cabine de pilotage.
- Tenez, regardez !
Nick et Chris se penchèrent, puis haussèrent un sourcil à l'intention de leur camarade.
- Cayla, il n'y a rien au sonar. Les dauphins repartent, mais il n'y a rien d'autre.
- Quoi ?
La jeune femme se précipita pour contempler l'écran.
- Tabarnak1, il était là juste avant que je ne vienne vous chercher !
- Bah il a filé, laissa tomber Nick en bâillant.
- Qu'est-ce que c'était? demanda Chris.
- Si je le savais ! Il n'arrêtait pas de tourner autour du bateau, puis des fois, j'entendais des splash, comme s'il sortait de l'eau pour observer et replongeait aussitôt avant que je ne le voie. Quand je lui ai donné du poisson, il a attendu que je retourne voir le sonar pour les prendre.
- Tu ne l'as même pas aperçu ?
- Si, j'ai vu quelque chose, une lueur pâle dans l'eau, peut-être de la taille d'un dauphin, mais le mouvement était horizontal, comme les poissons.
Nick bâilla encore.
- Allez, Cayla, tu es fatiguée ! lança-t-il. C'était un poisson, le sonar ne l'a peut-être pas identifié, mais comment lui en vouloir ? Il y a tellement de poissons dans l'eau, tu sais comme moi qu'il ne faut pas se fier aveuglément à leurs données. Le principe d'identification est compliqué, tu sais très bien que le sonar n'identifie pas tout, loin de là.
- C'était autre chose. J'ai allumé l’échosondeur, j'ai regardé l'image, et ce que j'ai vu, je ne l'ai jamais vu ! C'est peut-être en rapport avec le comportement des requins tout à l'heure.
- Tu n'as aucune preuve hormis une intuition. Une forme bizarre sur un échosondeur, ça ne prouve rien. Ça pouvait être un poisson que l'on connaît, mais il a peut-être trop bougé, donnant une mauvaise image... Laisse tomber et va te reposer.
- Avant de chercher des preuves sur un phénomène, il fait d'abord voir le phénomène ! Et je l'ai vu !
- D'accord, d'accord, calme-toi, soupira le jeune homme en posant une main sur son épaule. Tu as vu quelque chose de grand que le sonar n'a pas reconnu, quelque chose que tu n'as pas reconnu non plus, et que tu n'as pas pu identifier sur l’échosondeur. C'est peut-être le début d'une découverte, qui sait, mais pour le moment, tu n'as aucune base sur laquelle t'appuyer, juste un point sur un sonar et une image floue. Le sonar n'a pas été conçu pour identifier, mais pour détecter et calculer la vitesse et la distance. Il nous envoie aussi des données sur l'animal rencontré, mais ce n'est pas fiable, c'est à nous de définir ce que ça pourrait être avec l’échosondeur. Et là encore, l’échosondeur n'est pas ce qu'il y a de plus précis pour identifier une espèce de poisson !
- Pour une fois, Nick a raison, renchérit Chris. Cayla, évidemment qu'on te croit, et en tant que chercheurs on rêve tous de découvrir quelque chose, mais pour l'instant ton poisson est parti, on ne peut pas le localiser comme ça. On ne sait même pas dans quelle direction il est parti. Dans l'éventualité que ce soit bien un nouveau poisson. Je vais prendre le relais, alors va te coucher, repose-toi, et demain on verra bien s'il y a du nouveau.
- Oui... oui tu as raison.
La jeune femme embrassa Chris sur la joue et partit rejoindre sa cabine, Nick sur les talons.
Au moment de se séparer, Nick lança en désignant sa cabine :
- Tu peux venir dormir avec moi si tu veux.
Cayla lui jeta un regard moqueur.
- Bonne nuit Nick.
Se glissant sous les draps, elle se pelotonna contre son oreiller. Malgré la fatigue pesante, elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Quel était cet animal qui semblait l'épier, mais ne voulait pas se faire voir ? Pourvu qu'elle puisse encore le voir demain, pourvu qu'il se montre, un peu plus téméraire que cette nuit. Cayla était sûre d'avoir affaire à une nouvelle espèce.
Du moins, elle l'espérait...
1 Juron québécois
Cayla était installée dans sa cabine quand quelqu'un frappa à la porte.
- Entrez.
Chris passa la tête par l'entrebâillement de la porte et poussa un soupir en découvrant la jeune femme concentrée devant son ordinateur.
- Encore en train de réfléchir, hein ?
- Évidemment.
- Allez, viens donc, cesse de penser à ça. Il serait temps que tu t'intéresses à tes prélèvements, Nick a déjà commencé. Et maladroit comme il est, autant dire que j'aimerais que tu y ailles aussi.
- J'y vais.
Enfilant ses chaussures et sa blouse blanche, Cayla gagna le petit laboratoire, où toutes sortes de verreries, de solvant, de colorant et autres produits chimiques étaient rangés. Installé à un bureau, Nick était déjà en train d'observer quelque chose au microscope.
- Alors ? demanda la jeune femme.
- Rien de neuf, j'en ai peur... Je t'ai déjà préparé ton échantillon. Ne me remercie pas, c'est Chris qui m'a forcé à le faire.
Cayla sourit. Prenant place sur un autre bureau, elle régla son microscope optique et commença son observation du premier échantillon.
Elle ne vit rien d'extraordinaire, des petits parasites habituels adorant s'accrocher aux baleines à bosse, des petits crustacés, qu'elle pouvait observer en train de bouger.
- Rien de nouveau de mon côté non plus, informa-t-elle.
Cayla et Nick observèrent donc plusieurs échantillons de ces petits organismes sans rien voir d'anormal ni de nouveau. Puis ils essayèrent de repérer des bactéries. Il y avait plus de chance de nouveauté avec ces micro-organismes, car ils avaient une incroyable faculté d'adaptation.
Ce n'était pas évident à regarder, et encore moins à reconnaître, mais à force de patience, Cayla et Nick parvinrent à les identifier et notèrent les noms dans un carnet.
- Malheureusement, ce n'est pas encore qu'on va trouver un autre organisme amoureux de nos baleines, plaisanta Nick.
- Attends, souffla Cayla. Viens voir ça.
Elle se poussa et laissa son équipier observer dans son microscope.
- Tiens c'est bizarre, souffla-t-il. C'est une bactérie que l'on ne rencontre pas chez les baleines. En tout cas, je n'en ai jamais vu. Tu as vu comme elles sont étranges ? Elles ne ressemblent pas aux autres bactéries jusque là étudiées.
- Non, je n'en ai jamais vu. Attends, pousse-toi, je vais les prendre en photo. J'avais une maîtresse de stage, quand j'étais en deuxième année de master, et elle est bactériologiste. J'ai gardé contact avec elle. Je vais lui envoyer des photos, elle pourra sans doute nous éclairer.
- Tu ne penses pas qu'on devrait d'abord plonger et voir si les d'autres baleines en ont aussi ? Tu n'as fait les prélèvements que sur une mère, on devrait en faire sur d'autres individus. La saison des amours commence, on va donc trouver facilement des petits groupes. Ensuite, quand on aura les résultats, on aura plus de détails à fournir à ta madame, ça l'aidera peut-être.
- Je suis d'accord. Alors, prépare-toi, on plonge dès qu'on aura mis la main sur un groupe !
*
Cayla et Nick n'avaient pas traîné. Dès que Chris leur avait dégoté un petit groupe de baleine, pas très loin, et qu'il s'était assuré que les mammifères n'étaient pas en pleine parade nuptiale, ils avaient sauté en mer pour s'approcher des baleines et avaient réussi à effectuer plusieurs prélèvements sur tous les individus du groupe. Ils étaient ensuite remontés sur le bateau pour préparer les échantillons.
Les deux scientifiques avaient alors découvert avec stupeur que tous les individus possédaient cet autre genre de bactéries, que l'on ne trouvait habituellement pas sur les baleines. En venant leur prêter main-forte, Chris affirma n'en avoir vu nulle part lui non plus. De quoi les intriguer grandement. Ils avaient pris plusieurs clichés de ces micro-organismes, et Cayla s'était empressée d'envoyer les résultats à son amie afin qu'elle puisse les étudier.
En attendant, elle avait contacté d'autres membres de son institut étudiant les baleines à bosse dans d'autres régions. Elle recevait toujours la même réponse, aucun des chercheurs n'avait observé de nouvelles bactéries sur les animaux. Elle avait donc ensuite appelé des scientifiques étudiants d'autres espèces de cétacés marins, mais que ce soit pour les baleines franches, les baleines bleues, les orques ou les bélugas, le résultat était le même.
Ne lâchant rien, Cayla, Chris et Nick avaient réussi à prendre contact avec des chercheurs spécialisés dans l'étude des dauphins et des requins.
De ce côté en revanche, il y avait eu du nouveau. Un homme d'une quarantaine d'années travaillant dans le Pacifique Sud, pas très loin des Fidji, leur avait appris qu'il avait lui aussi trouvé des bactéries inconnues sur ses dauphins. En revanche, un autre lui avait assuré que son groupe ne présentait rien. Cet homme, quant à lui, se trouvait dans la mer Méditerranée. Cayla en avait conclu que cette nouvelle bactérie ne se trouvait que sur les espèces vivant dans le Pacifique Sud. Mais pour le moment, elle n'avait pas encore les moyens de définir une zone plus précise.
Enfin, la dernière nouvelle vint d'un ichtyologiste étudiant les requins du pacifique. Lui ne pouvait pas dire si les prédateurs avaient sur eux ces nouvelles bactéries, mais il leur avait signalé des comportements très étranges, anormaux, qu'ils n'avaient jamais observés.
Quand le téléphone de Cayla sonna enfin, plusieurs jours plus tard, la jeune femme ne tenait plus en place après avoir reçu toutes ses nouvelles des plus étranges.
- Cayla, ça faisait longtemps ! s'exclama la voix d'une femme d'âge mûre.
- Mme.Tawera, comment allez-vous ?
- Très bien, et toi jeune fille ?
- Eh bien disons que ça va.
- Bon, je ne vais pas te faire patienter plus longtemps en parlottes et commérages, je sens bien que tu es plus qu'impatiente ! (Cayla mit le haut-parleur pour que ses deux équipiers n'aient pas à tendre l'oreille pour écouter.) Alors j'ai analysé les clichés que tu m'as envoyés, je les ai également transmis à plusieurs collègues bactériologistes se trouvant un peu partout dans le monde. Ça n'a pas été facile de l'identifier, mais la réponse est unanime. Ta petite bactérie n'a jamais été observée à ce jour. C'est une espèce totalement inconnue.
- Quoi ? s'écria Cayla.
- Je suis désolée Cayla, je n'en sais pas plus. Nous n'avons jamais vu ce genre de bactérie, encore moins sur des baleines. Ce doit être une nouvelle espèce. Tu sais, on découvre tellement de choses sur ces organismes.
- Mais je n'avais jamais observé de telles bactéries sur des animaux. J'ai pris contact avec du monde cette semaine, et la seule personne ayant aussi remarqué une nouvelle bactérie sur les baleines se trouvait vers les Fidji. Vous pensez que ça peut-être lié à la zone ?
- Très possible, en effet. Écoute Cayla, je ne peux rien de plus pour toi, mais si tu m'envoies des échantillons de tes bactéries, je pourrais te renseigner.
- Je vous remercie.
Quand la jeune femme eut terminé, Chris l'interrompit avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche :
- Cayla, je sais ce que tu vas dire. Que ça a un rapport avec le comportement des requins et la chose que tu as vue. Alors, laisse-moi te dire que c'est sûrement une pure coïncidence. Des bactéries, il y en a des tas, elles évoluent tout le temps, elles s'adaptent, elles changent, ce n’est pas nouveau. Alors oui, je suis d'accord pour dire qu'il y a une nouvelle espèce de bactérie qui a élu domicile dans le Pacifique, et qu'elle vit sur les mammifères marins et peut-être même sur des poissons, mais de là à dire que ça a chamboulé le comportement des requins...
- Et cet animal que j'ai vu ? Une coïncidence ?
- Nous n'avons aucune preuve qu'il puisse être responsable. Ne t'emballe pas et ne porte pas de jugement trop hâtif. Si ça se trouve, c'était juste un gros poisson albinos, rien de plus. Cayla, tu veux faire des découvertes, nous aussi, mais de là à imaginer des tas de choses juste en ayant vu une forme blanche dans l'eau... admet que ça ne tient pas trop debout.
La jeune femme baissa la tête, dépitée.
- Oui, je comprends, bougonna-t-elle.
Mais au fond d'elle, elle ne lâchait pas le morceau.
Le Monstro filait lentement derrière les baleines à bosse qui nageaient en surface en expirant bruyamment. À la proue du bateau, Cayla les observait avec attention, comme c'était son rôle. Parmi ces baleines se trouvait Lady, une jeune femelle découverte échouée sur la plage lorsqu'elle était toute jeune. Une équipe du centre de cétologie de l'Institut de recherche de la faune marine, pour laquelle travaillaient Cayla et ses deux compagnons, l'avait soigné, nourri et vu grandir. Puis ils l'avaient rendu à la vie sauvage.
Lady avait rapidement su intégrer des groupes de chasse, lui permettant ainsi de se nourrir plus facilement, et bien qu'elle ne soit pas encore mature physiquement, elle s'en sortait bien dans la vie. Quand Cayla avait reconnu son signal GPS alors qu'elle passait non loin, elle avait insisté pour qu'on la suive un moment, histoire de voir comment elle allait.
La jeune baleine semblait avoir reconnu le visage et la voix de la jeune femme, l'une de ses soigneuses, car elle s'était approchée du bateau et était restée un long moment à nager vers eux, son œil rivé sur la biologiste. Comme un salut, elle s'était tournée sur le côté pour agiter sa nageoire pectorale, puis avait ébloui l'équipage du Monstro en jaillissant de toute sa hauteur hors de l'eau pour se laisser retomber non loin.
- Elle nous reconnaît. Elle nous montre sa sympathie, avait affirmé Cayla.
La jeune femme était de ceux qui croyait en la grande intelligence des cétacés, et elle ne doutait pas un instant que Lady leur était reconnaissante et qu'elle les appréciait.
Pourtant, alors que tout était là pour émerveiller la jeune femme, les jets d'eau venant mouiller son visage, les danses gracieuses des baleines, Cayla avait l'esprit ailleurs. Ils n'avaient pas trop reparlé de ce qui s'était produit il y a deux jours, Chris et Nick admettaient bien volontiers qu'il y avait encore des espèces marines à découvrir, pourtant ils n'étaient pas sûrs que ce qu'avait vu Cayla valait vraiment la peine qu'on s'emballe. Bien sûr, cet animal avait rapidement échappé au sonar, mais cela ne prouvait absolument rien. Le lendemain, ils étaient restés tous les trois sur le pont une grande partie de la nuit, mais n'avaient rien vu.
La jeune femme se demandait si elle ne s'était pas excitée trop vite.
- Alors ?
La biologiste sursauta et se tourna vers Nick qui observait près d'elle.
- Hein, quoi ?
- Tu penses pouvoir faire un bon rapport ?
- Oh, oui, bien sûr. Regarde comme elle a grandi, signe d'une bonne alimentation, et aucune trace de lutte, elle n'est pas maltraitée, elle n'a pas été attaquée non plus. Les baleines se sont regroupées pour la saison des amours, et notre chère Lady, si elle n'est pas encore en âge de faire du charme, va pouvoir observer et apprendre. Malgré ses débuts difficiles, elle a maintenant gagné un parfait équilibre.
Nick eut un drôle de sourire.
- Bien rattrapée, mais je vois bien que tu as la tête à l'ouest.
Cayla soupira.
- Je... Nick, crois-tu que je me sois un peu trop emballée ?
- Pour tout dire, je n'en sais rien. Nous sommes des chercheurs, pas vrais ? On rencontre trop souvent l'échec avant de réussir. Il n'est pas impossible que tu aies vu quelque chose de nouveau, mais il n'y a rien de concret. Je ne doute pas de toi, mais tu devras patienter pour prouver tes théories.
- Oui, je le crains.
Ils regardèrent le soleil se coucher tranquillement derrière l'horizon. Chris stoppa le navire, ne voulant pas déranger les cétacés alors qu'ils cherchaient un coin pour se reposer, et vint rejoindre ces deux compagnons.
- Lady se porte à merveille d'après ce que j'ai pu voir !
- Tu as vu comme elle a bien engraissé la coquine ? plaisanta Nick. Je suis sûr qu'ils étaient tous au petit soin pour elle.
- Elle porte bien son nom. Bon, je vais me chercher un café, qui en veut un?
- Moi !
- Deux.
Chris s'éloigna en sifflotant. Toussotant, Nick se tourna vers Cayla :
- Dis-moi, ça te dirait un petit resto, quand on sera à terre ?
La jeune femme allait répondre quand le cri de Chris l'interrompit :
- Bon sang, les gars, venez voir ça !
Ils se précipitèrent dans la cabine de pilotage où l'américain était penché sur l'écran du sonar.
- Quelque chose se dirige droit sur nous ! Vitesse de 43 nœuds ! Plus rapide que certains requins et certains bateaux, incroyable ! Il pourrait rivaliser avec l'espadon !
- C'est lui, j'en suis sûre ! s'écria Cayla. Quelle distance ?
- 500m... 490... 450...
Sans réfléchir, Cayla arracha l'appareil photo étanche que portait Nick autour du cou et se précipita sur le pont.
- Cayla attend ! Non ne fais pas ça !
Ignorant complètement leur mise en garde, la jeune femme attrapa son masque qui séchait à l'air libre, l'enfila rapidement et sauta toute habillée à l'eau.
Son cœur pulsait si fort qu'elle n'entendait plus que le sang battant à ses tempes. Cayla tournait la tête, fouillant cette immensité d'eau bleue. Elle tenait son appareil photo prêt à l'emploi, réglé sur mode sport. L'impatience et l'excitation faisaient tourner le temps en accéléré ! Enfin, elle allait voir cet animal, enfin elle allait savoir ce que c'était !
Mais ne voyant toujours rien, elle commença à croire que le mystérieux poisson l'avait détecté et avait fait demi-tour. Elle remonta à l'air libre et prit une grande inspiration.
- Cayla derrière toi, je le vois !
Cayla s'immergea et tendit son appareil photo.
Tout se passa très vite.
Elle ne vit qu'une forme floue, pâle et élancée passer à toute vitesse à côté d'elle, et les courants créés l'envoyèrent tourbillonner un mètre plus loin. Elle distingua à peine cette longue queue blanche se terminant par une ample nageoire caudale lui servant à se propulser à toute vitesse. Elle n'eut pas le temps de voir la face de l'animal tant il était allé vite, mais elle crut voir un corps élancé, fin, dépourvu de nageoires pectorales.
Se redressant tant bien que mal, Cayla ne chercha pas à viser, elle pointa son appareil photo vers cette forme blanche ondulante qui fusait droit devant. Elle déclencha le mode rafale et suivit la créature jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement.
Sidérée et à bout de souffle, Cayla remonta à la surface, luttant contre ses vêtements imbibés qui l'entraînaient vers le fond. Une main puissante la saisit alors par l'épaule, la faisant gravir l'échelle du bateau sans délicatesse. Elle se retrouva assise sur le pont, trempée jusqu'aux os, tremblante, l'appareil photo serré contre elle.
- Espèce d'imbécile ! rugit Chris. Plonger comme ça, sans prévenir, sans savoir ce qui t'attendait en bas !
- Chris c’était incroyable. C'est un poisson j'en suis sûre, mais je n'ai jamais vu ça...
- Tu l'as vu ? demanda Nick.
- C'est passé tellement vite, j'ai à peine vu sa queue, c'était flou... Mais ce profilage... je ne l'ai vu chez aucun poisson.
Chris alla chercher une serviette et enroula la jeune femme dedans.
- Puisqu'aucun sermon n'entrera dans ta tête creuse, allons au moins voir si tu as pu prendre des photos.
Aussi impatiente qu'excitée, Cayla suivit les deux hommes et entra dans la chambre de Nick. Récupérant son appareil photo, ce dernier le brancha à un écran et chargea les images. N'arrivant toujours pas à réaliser ce qu'elle avait fait, la biologiste n'attendait plus qu'une chose : découvrir si ses photos étaient à la hauteur de ses attentes.
Nick les fit défiler une par une, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, car elles étaient toutes floues. Sur certaines, on voyait juste un trait blanc. Cayla sentait son moral retomber, son cœur se serrer, et Chris posa une main réconfortante sur son épaule.
- Là ! s'écria-t-elle soudain.
Nick stoppa l'accéléré. La photo n'était pas de grande qualité, mais on voyait une longue queue blanche se terminant par une nageoire caudale hétérocerque. On voyait également une forme floue qui devait être une nageoire dorsale permettant à la créature de changer de cap brusquement.
- On ne va pas aller loin, maugréa Nick.
- Mais si triple idiot ! s'égaya Cayla. Vous ne voyez pas ? La texture de la queue ressemble à celle de la peau des requins, elle doit donc être constituée de denticules cutanés. L'eau s'engouffre dans des micros-rainures présentes à leur surface, ce qui provoque des remous qui maintiennent l'eau près du corps pour diminuer la résistance du fluide. C'est l'une des causes de la grande rapidité des requins et donc de cet animal. Mais cette queue n'appartient pas à un squale, j'en suis sûre et certaine, de plus on ne voit pas la partie antérieure du corps, comme si la queue était plus grosse. Et regardez cette forme, là, on dirait une nageoire pectorale, mais... (Cayla pointa du doigt une extrémité floue sur le flanc gauche). Elle est bizarre. Et sous l'eau j'ai pourtant eu l'impression qu'il n'y en avait pas.
- Elle est floue surtout.
- Certes, mais on voit la forme, et elle ne correspond pas à une nageoire que l'on retrouve chez les poissons, ni même chez les mammifères. À supposer que ce soit bien une nageoire. Pour tout dire, je pense que ce n'en est pas une, je l'aurai vu, même aussi vite.
- Mi-poisson-mi-requin ? hasarda Nick.
- Je ne sais pas, mais on ne peut certainement pas le ranger dans l'une des catégories. J'ai vu très rapidement son corps, la partie antérieure, qu'on ne voit pas ici, était