« Car voyez-vous mon cher, le thème que vous choisirez conditionnera votre œuvre toute son existence.
- Maître, qu’importe le thème pour Jules Verne. Le style, la verve, le voyage au fil des pages, tout y est !
- Facile !
- Pas tant que cela, Maître.
- Des comptines pour enfants, c’est donc ce genre de manuscrits que vous entendez me faire lire ? Vous espérez ainsi, Harold, me convaincre de vous publier ? Vous valez mieux, allons !
- Jules Verne s’adresse aux lecteurs de tous les âges. A travers des voyages…
- Voyage, voyage, vous n’avez que ce mot à la bouche quand vous vous adressez à moi !
- Deux pléonasmes dans la même conversation, Maître… Précisez votre pensée je vous prie, vous vous économiserez !
- Plaît-il ? Je prends grand soin des mots et des formules !
- « Comptines pour enfants », « Ce mot à la bouche quand vous vous adressez à moi »… Je comprends pourquoi vos écrits sont si ennuyeux. Amputés d’une bonne moitié, ils gagneraient à être connus !
- Mais ils sont connus, jeune apprenti, en tout cas, plus que les vôtres !
- De toute évidence ! Comment le public connaîtrait-il les miens si vous refusez de les porter à la connaissance de tous ?
- Ah, jeune impétueux, mais on ne porte pas les écrits de la Maison De Talandière à la connaissance de tous, non, loin s’en faut ! Pour nous adresser à des hommes érudits… Nous sélectionnons la fine fleur de l’érudition. Et j’ai cru que vous en étiez.
- La vexation vous fait changer d’avis sur ma personne ?
- En 1893, mon père, Dieu m’en soit témoin, créa cette librairie. Puis, fort de ses ambitions, en 1894, il installa une imprimerie dans l’ancien atelier du noble établissement où vous avez le privilège d’échanger avec ma personne. Demain, nous célébrerons les dix ans de la Maison De Talandière, parfaitement jeune homme ! Et ce sera sans vous !
- A la bonne heure ! »