© 2018, José Casatéjada
Édition : BoD – Books on Demand GmbH
12/14 rond-point des Champs Elysées-75008 Paris
Imprimé par BoD – Books on Demand GmbH Norderstedt, Allemagne
ISBN : 978-2-3221-5051-9
Dépôt légal : juillet 2018
- Via Compostela, Des monts du Velay à la Costa da Morte – Books on Demand, 2015.
- Fatidique Instant - Books on Demand, 2017.
À Jean-Marc,
« Il faut à l'amitié la simplicité des gestes
autant que la spontanéité des confidences. »
Adrienne Choquette
« Pour ma part, je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour marcher : par amour du voyage. L’important est de bouger, de sentir de plus près les nécessités et les besoins de la vie quotidienne, de quitter le lit douillet de la civilisation pour toucher de nos pieds le granit de la terre parsemé de silex coupants. »1
Robert Louis Stevenson
1 « Voyages avec un âne dans les Cévennes », p.95 – Robert Louis Stevenson – Illustrations photographiques de Nils Warolin – Editions du Rouergue – Rodez, 2007.
NOVEMBRE 2010… Le vent d’automne soufflait, sifflait, s’infiltrait dans les interstices de la fenêtre du bureau. L’automne tempêtait, l’hiver approchait. Les branchages s’agitaient sous la violence des bourrasques. Mes pensées s’envolaient, mêlées aux feuilles mortes qu’emportaient les tourbillons sauvages. Cinq mois que l’extraordinaire aventure de Compostelle avait pris fin. L’envie de repartir me poussait déjà vers d’autres horizons. Devant la scène ventée du spectacle automnal qui se jouait sous mes yeux, une piste sablonneuse virevoltait aux vents de mon esprit.
Les projets surabondèrent. L’un d’eux se dessinait et les questions fusaient. Combien de temps ? Quand ? Seul ? Accompagné ? Quel itinéraire retenir ? Les réponses abondèrent, l’embarras concluait chacune d’elles. D’une conversation avec une amie randonneuse naquit l’idée du futur périple. Elle loua tant et si bien les splendeurs des paysages vellaves, lozériens, cévenols, l’authenticité des gens de ces rudes régions qu’elle me convainquit de parcourir le chemin de Stevenson.
N’ayant lu aucun roman, nouvelle ou essai du littérateur écossais, je me procurai son récit, « Voyages dans les Cévennes avec un âne ». La truculence des personnages, le pittoresque des contrées, les péripéties et les émotions décrites, les espiègleries de l’ânesse Modestine, me conquirent. Le printemps prochain, mes pas suivront les traces de ce précurseur des trekkeurs modernes.
DÉCEMBRE 2010… La décision prise, je proposai le projet à mon ami Jean-Marc : aller du Velay jusqu’aux Cévennes, en passant par le Gévaudan et le massif du Mont-Lozère. Le plan et mon enthousiasme le séduisirent. Il désira se joindre à moi dans cette équipée. Sa demande me satisfit d’autant plus que je n’en attendais pas moins de lui ! Nous nous reverrons au début du mois de mai.
MAI 2011… Jean-Marc et sa compagne arrivent chez nous la veille. Le 4 mai au matin, une atmosphère fébrile règne dans la maison. Les paquetages chargés dans nos véhicules respectifs, nous prenons la route du Puy-en-Velay.
J’arrête la voiture, décharge mon matériel, le pose dans l’auto de Jean-Marc et roulons jusqu’à la place du Breuil. Nous rejoignons l’église Saint-Georges, point de départ de l’actuel chemin de Stevenson. Devant l’édifice, débute aussi le chemin de Saint-Régis dédié au prêtre jésuite Jean-François Régis, évangélisateur du Velay et du Vivarais. Baptisé GR70 par la Fédération Française de Randonnée Pédestre (FFRP), « Via Stevensonia » par Hervé Bellec2 et promu par l’association « Sur le chemin de Robert Louis Stevenson »3, le présent trajet, entre le Puy-en-Velay et Alès, ne correspond guère à celui suivi par le grand voyageur en 1878. En revanche, il s’écarte, revient, croise, chevauche d’autres illustres passages, tel que le chemin de Régordane ou de Saint-Gilles, partie méridionale d’une voie séculaire qui reliait le nord de la France au Bas Languedoc.
Nous nous rendons à la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation. Jean-Marc désire montrer à sa compagne d’où il est parti à Compostelle le 7 avril de l’année précédente, tout comme moi d’ailleurs. Notre rendez-vous avec l’amitié commença ce jour-là. Nous effectuons une visite dans le voisinage de la cathédrale où les rues, placettes et venelles sont chargées d’Histoire, d’anecdotes, d’espoirs. Puis, nous gagnons la place du Plot où naît la « Via Podiensis », l’un des itinéraires du légendaire chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Embrassades, étreintes, esquisses de sourires et nous partons. Nos premiers pas, nos derniers signes de la main à Sylvie, à la compagne de Jean-Marc. Elles montent dans la berline qui disparaît dans l’avenue.
2 « Sur le chemin de Stevenson » - Hervé Bellec – Ouest-France, 2007.
3 Association « Sur le chemin de Robert Louis Stevenson » - Voir le site Internet : http://www.chemin-stevenson.org, 2010.
Du Puy-en-Velay à Langogne…
Temps ensoleillé et nuageux le 4.05.2011
(19 km – 20 à 15 °C)
Gîte d’étape communal
L’automobile a disparu. Courage ! Une côte coupe-jarrets se dresse déjà devant nous. Des murs et des feuillages en dissimulent le sommet. Les muscles tendus, le souffle court, le cœur battant, nous grimpons une rampe raide et pierreuse, sans dire un mot. Des gouttes de sueur perlent sur nos fronts. Quelle que soit la direction choisie, sortir du Puy-en-Velay, à pied, représente une épreuve véritable sportive.
À mi-pente, la vue panoramique en direction de Notre-Dame-de-l’Annonciation expose la splendeur architecturale du site. La masse sombre de la cathédrale romane émerge des bâtisses blanches ou grises, agglutinées au pied du rocher Corneille. Le clocher étagé s’élève derrière la monumentale coupole qui coiffe la croisée du transept. Juchée au faîte du piton de basalte dominant le sanctuaire, la statue monumentale de Notre-Dame de France veille sur la cité. Une horrible peinture de couleur ocre-rouge-rouille recouvre l’œuvre de Jean-Marie Bonnassieux, moulée avec la fonte des canons de marine saisis à Sébastopol en 1855. Un sentier pentu nous conduit à une allée bitumée qui monte vers le hameau d’Ours. Jean-Marc semble essoufflé.
La pouzzolane brune crisse sous nos pas. Le vent d’ouest déplace de légers panaches de poussière qui, telles des fumerolles vaporeuses, se dissipent au-dessus des craquantes scories volcaniques. Entre murets secs et prunelliers épineux, nous longeons des parcelles céréalières, côtoyons des puys aux flancs érodés couverts de résineux. Çà et là, poussent les « pins de boulange », rabougris et tortueux. Pins sylvestres dont les formes singulières résultent de la taille intensive des branches basses. Naguère, elles étaient élaguées et brûlées en fagots dans les nombreux fours à pain de la région. Paysage typique de cette contrée ! Silencieux, nous marchons en respectant ces périodes de mutisme, propices à la réflexion, dans lequel nous nous retranchons. Le chemin de Coubon atteint, un tronçon en forte déclive s’amorce vers le bourg.
Nous faisons halte à l’orée d’un bois de chênes, au pied du mont Jonnet. Assis sur un banc, Jean-Marc extirpe des victuailles de son sac, moi du mien. Devant nous, la voie s’enfonce sous les frondaisons. Les tendres feuilles printanières tamisent la lumière du soleil de mai. Les genêts en fleur embaument l’air d’un capiteux parfum de miel. Sans discontinuer, les abeilles butinent les grappes d’or. Les va-et-vient incessants des insectes animent l’atmosphère d’imperceptibles mouvements que seuls leurs bourdonnements révèlent.
Le repas réparateur englouti, nous repartons et sortons de la chênaie. La forte déclivité de la route nous conduit à l’entrée de Coubon où nous traversons l’actuel pont sur la Loire, inauguré en 1984. La vague en furie de l’exceptionnelle crue du 21 septembre 1980, détruisit celui construit en 1928. Sur l’autre rive, se dresse l’église Saint-Georges dont la façade romane altière comporte quatre cloches. À l’ouest, l’étonnant château de Bouzols, juché à la cime d’un promontoire rocheux, domine le cours de la jeune Loire. L’ensemble se compose d’une forteresse médiévale devant laquelle ont été érigés des bâtiments d’habitation au XIIIe siècle, encore utilisés de nos jours. Le pont franchi, la terrasse du « Café de la Loire » nous accueille le temps d’une pause-café !
La route grimpe, longe le bois de Paron, dépasse la croix de Petalou, croise un ancien four à pain transformé en abri et file au hameau de l’Holme. Sur un poteau électrique, une balise blanche et rouge dirige nos pas. La piste gravillonneuse devient terreuse, bordée de graminées fragiles, de genêts, de marguerites épanouies et entourée de pâturages où paissent de grasses montbéliardes. Soudain, pointant du doigt un pré sur la droite, Jean-Marc lance à demi-voix :
— Regarde, là-bas, un renard !
— Il ne bouge pas, il nous observe.
Le canidé roux se tapit dans l’herbe, la tête tournée dans notre direction, les oreilles dressées. Son fin museau hume l’air. Deux à trois minutes s’écoulent. Il se retourne, détale et d’un bond, que sa longue queue touffue souligne, disparaît dans une haie.
Parmi cultures et prairies, de hameaux en hameaux, les balises du GR70 nous conduisent à un bois que le sentier, devenu herbeux et ombragé, traverse. Des fermes en basalte bleu, restaurées et fleuries à souhait, annoncent l’arrivée à l’Herm. Près de l’une d’elles, une source s’écoule dans le lavoir désaffecté, alimentant des abreuvoirs désertés. Jadis, ces endroits populaires jouaient un rôle social de premier ordre où se retrouvaient lavandières, bouviers, bergers et âniers.
Dans la ruelle centrale, devant la maison de la béate, une épaisse dalle permet d’accéder à la chaîne qui actionne la cloche fixée sur la façade. Ces habitations ou « assemblées », caractéristiques de la Haute-Loire, hébergeaient la béate de la localité. Détachées de l’institution des « Demoiselles de l’Instruction » fondée par Anne-Marie Martel en 1667, les béates effectuaient des tâches diverses. Elles apprenaient la lecture, l’écriture, le calcul et le catéchisme aux enfants, dispensaient des soins aux malades, initiaient les femmes à l’art de la dentellerie. En 1880, il leur fut interdit d’enseigner, mais nombreuses furent celles qui pratiquèrent encore longtemps l’instruction religieuse et l’apprentissage de la broderie et de la dentelle.
Le passage dallé de basalte gris et orné d’ombellifères blanches se déroule à l’ombre de jeunes hêtres. Jean-Marc s’arrête et s’assoit sur un large pavé. Inquiet, je m’enquiers :
— Tu parais fatigué, que se passe-t-il ?
— Sans doute le manque d’exercice ces derniers temps. Je trotte avec peine ce matin, une bonne nuit de sommeil et tout ira mieux, dit-il en esquissant un sourire.
— Repose-toi un moment, mange des pâtes de coing. Le sucre t’aidera à récupérer.
Il semble en bien meilleure forme lorsque nous atteignons Le Monastier-sur-Gazeille, terme de l’étape.
Recherchant le gîte communal, nous avançons dans un village aux rues éventrées qui ressemble à un immense chantier. Les travaux d’amélioration de la voirie en cours leur donnent des aspects surréalistes de désolation : aucun survivant en vue. De nombreux commerçants ont choisi de fermer boutique pendant cette période d’intense activité. Les affichettes collées sur les devantures ou les écriteaux suspendus aux portes d’entrée, l’annoncent sans ambiguïté : « Fermeture pour cause de travaux ». Pas un résident dans les parages afin de nous renseigner. Où se cachent les Monastérois ?
Cette vision désolée de la bourgade n’incite pas à la flânerie. Nous entrons dans les locaux de la gendarmerie située sur une place en retrait. Un brigadier nous informe et nous oriente vers le bâtiment adjacent où se dissimule notre nid douillet du soir, l’ancienne gendarmerie rénovée ! « C’est ouvert, installez-vous dans l’une des salles, annonce-t-il. »
Le planning, affiché au tableau du couloir, ne mentionne aucune réservation. Nous occuperons seuls le dortoir, sauf si d’autres randonneurs surviennent. Chacun déballe son matériel et vaque à ses occupations de marcheurs : lessive, douche, soins préventifs des pieds !
Jean-Marc étend son sac de couchage sur un lit, puis se tourne vers moi :
— Je pourrai me reposer cette nuit, il n’y aura pas de bruit.
— Sauf si je ronfle, répondis-je taquin ! Il sourit et poursuit :
— Nous n’avons rencontré ni touriste, ni ânier, ni âne aujourd’hui et aperçu peu d’habitants dans les agglomérations que nous avons traversées.
— Ce matin, nous sommes partis tard du Puy-en-Velay. Avancent-ils devant nous ou est-ce trop tôt dans la saison ?
— Nous verrons demain ! Sortons visiter la paroisse, propose Jean-Marc.
À proximité du refuge, l’église Saint-Jean-Baptiste expose au couchant, le clocher-mur et l’imposant portail de sa façade. En face, s’étale le panorama de l’ample vallée au fond de laquelle coule la Gazeille. Devant la Poste, au pied d’un arbre, une plaque commémorative offerte à la municipalité en 1965 par Mrs Betty Gladstone, une Américaine qui suivit les pas de l’auteur écossais en 1963, rappelle :
D’ICI PARTIT LE 22 SEPTEMBRE 1878
Robert Louis STEVENSON pour son VOYAGE
A TRAVERS LES CÉVENNES AVEC UN ANE.
De toute évidence, le point exact du premier pas de l’écrivain alimente une polémique locale ! Le texte d’une affichette, clouée sur le tronc même de l’arbre, conteste l’information gravée dans la pierre. Des contradicteurs démentent l’affirmation avec une fermeté contenue et un soupçon d’ironie :
Les fervents de Robert-Louis STEVENSON
doivent savoir qu’il n’est pas parti d’ici,
mais de la pharmacie (ancienne pension Morel),
le dimanche 22 septembre 1878 à neuf heures.
(A.C. Musée municipal)
Quoi qu’il en soit, nous commencerons la prochaine étape près de la plaque de granite. Un repère blanc et rouge, collé sur un chéneau, marque le début de l’itinéraire et un panneau l’indique sans équivoque : GR 70 DÉPART STEVENSON. Demain à l’aube, nous serons à l’angle de la rue Saint-Jean et de la place de la Poste.
Quelques personnes déambulent sur le trottoir de la rue Saint-Pierre, d’autres discutent sur la place François d’Estaing. Enfin de l’animation dans cette petite ville qui semblait anéantie ! En passant devant la pharmacie, le texte de l’écriteau me vient à l’esprit :
— La pension Morel se situait donc ici ?
— Sans doute, mais tout semble changé. Il est difficile d’avoir une idée précise du quartier à l’époque, répond Jean-Marc.
Une ruelle monte vers l’abbatiale Saint-Chaffre. Sa façade de style roman comporte un admirable vitrail au-dessus de la porte, des mosaïques et archivoltes polychromes, une frise d’une extrême délicatesse sous la corniche. En arrière de l’église, place du Couvent, s’élève l’austère construction monastique. Derrière celle-ci, sur le champ de foire où Stevenson acquit l’ânesse Modestine, se dresse le château abbatial flanqué de cinq tours massives. J’essaie d’imaginer le tumulte de l’agitation mercantile qui régnait sur cette esplanade, mélange confus de cris, hennissements, rires, braiements, paroles, aboiements… Évoquer ces marchés d’autrefois, remémore leurs fonctions sociales : théâtres d’échanges, de rencontres, de diffusion des nouvelles, de vie par excellence. Presque un siècle et demi après, sur cette place du Vallat, chaque année en septembre, se perpétue la traditionnelle foire aux chevaux, ânes et mulets. Cet héritage du passé existait aussi dans ma ville natale, en octobre. Gamins insoucieux, nous circulions dans les travées, derrière les animaux encordés, en quête de poulains et d’ânons. La foire de la Saint-Luc à Montbrison n’existe plus en tant que telle, évanouie dans les oubliettes du temps.
La visite achevée, nous entrons à l’hôtel-bar-restaurant « Le Provence ». J’explique à Alain, le barman, que nous souhaitons dîner ce soir et prendre le petit-déjeuner demain matin. Accoudés au bar devant des demis, nous évoquons avec lui les vallonnements de la première étape et notre périple dans les Cévennes. L’homme, disert, parle de sa région, des autochtones qui l’habitent, du vellave, le langage vernaculaire qu’utilisent encore les anciens, de la ligne de chemin de fer « Transcévenole », commencée en 1906 et restée inachevée. Il dépeint le viaduc de la Recoumène qui enjambe la Gazeille, un ouvrage de soixante-cinq mètres de hauteur construit par l’ingénieur Paul Séjourné en 1925 et devenu un des hauts lieux du saut à l’élastique en France.
Vers dix-neuf heures trente, Martine, la charmante maîtresse de maison, nous conduit à la salle de restaurant et nous installe à une table. Ce soir, au menu : crudités, viande, légumes, fromage et dessert ! Jean-Marc et moi profitons de ce délicieux moment de détente afin d’étudier la prochaine étape. Nos guides décrivent une progression physique au cours de laquelle se succèdent montées et descentes. Il est donc nécessaire d’anticiper les efforts et indispensable d’emmagasiner des ressources.
Revenus à l’hébergement, nous nous préparons à dormir. Dans mon sac de couchage, je revis cette journée : l’arrivée au Puy-en-Velay, la séparation, le raidillon vers l’Ours, Coubon, la soudaine fatigue de mon ami et la suite du trajet… La faiblesse de Jean-Marc me chagrine. N’a-t-il pas présumé de sa forme ? Qu’en sera-t-il demain ? Penser qu’une nuit de sommeil réparateur lui sera bénéfique, me rassure.
Lorsque nous sommes passés à l’Herm, Sylvie a téléphoné. Elle annonçait son retour chez nous et s’informait de notre progression. À la suite de notre départ, Sylvie et la compagne de Jean-Marc sont allées déjeuner. Après une heure de lèche-vitrines dans les venelles du Puy-en-Velay, elles se sont séparées et ont pris la route, l’une en direction du sud, l’autre vers le nord-est.
Temps ensoleillé le 5.05.2011
(23,5 km – 22 °C)
Gîte d’étape privé « La Retirade »
Une semi-clarté envahit le dortoir. Jean-Marc se réveille. Il bouge, s’étire et se lève. Je m’extirpe du sac de couchage et m’assois sur le rebord du lit. Une question me tracasse : comment va Jean-Marc ? Avant que je la lui pose, ne laissant aucun doute sur son anticipation par rapport à mon tourment, il annonce se sentir reposé et d’attaque.
Le matériel est rangé. Nous partons et bifurquons dans l’impasse Saint-Eudes et montons vers « Le Provence ». L’air vif et froid nous force à hâter le pas sur un sol humide et glissant. Dès la porte ouverte, la buée se fixe sur les verres de nos lunettes tandis que l’arôme du café chaud flatte l’odorat et nous invite au bar ! À cette heure matinale, la salle est vide. Nous commandons deux petits-déjeuners complets : café, thé, miel, confitures, croissants et jus de fruit.
Vers neuf heures, nous parvenons au début de la course. Sous le soleil déjà haut dans le ciel, séance de photos au pied du panneau, mais pas un être vivant alentour pour nous immortaliser ensemble ! En prenant la rue Henri Debard, nous abandonnons le chemin de randonnée commun avec le chemin de Saint-Régis. En contrebas, à l’ombre du talus, l’herbe blanchie par le gel confirme la froidure de la nuit. Au lieu-dit Le Moulin de Savin, un pont barrage permet de franchir la Gazeille. En amont, l’ouvrage crée une retenue propice à la baignade, en période estivale. En aval, les eaux vives de la rivière reprennent leur cours jusqu’à ce qu’elles se mêlent à celles de la Loire, près de Chadron.
Le pont passé, nous attaquons le raidillon du bois de Malaval. Jusqu’au plateau, montées et descentes rythment le tracé du sentier ombreux. Au sortir de la forêt, la piste flâne entre pâturages et cultures de lentilles. Le terrain rougeâtre et poudreux crie sous nos semelles. L’astre du jour illumine la contrée d’une lumière éblouissante. Au loin, les sommets émoussés des cônes volcaniques se détachent dans l’azur céleste, tel le mont Bramefont dont les pentes verdissantes dominent la contrée.
Nous rattrapons un couple de jeunes aux visages adustes, les premiers excursionnistes rencontrés depuis que nous sommes partis du Puy-en-Velay. Bien sûr, nous saisissons l’occasion de leur parler ! Les questions fusent de part et d’autre. D’où venez-vous ? Où allez-vous ? Combien de temps ? Partis du Puy, ces Savoyards en vacances testent l’itinéraire de Stevenson, deux ou trois jours durant. Habitués aux sublimes espaces alpins, ils iront jusqu’à Alès si les paysages leur plaisent. Nous relatons notre projet. Ce soir ils envisagent de dormir au gîte « La Retirade », nous pourrons poursuivre la conversation. Ils s’arrêtent un moment, nous repartons.
Le Cluzel dépassé, la route de campagne mène à Courmarcès. Des abreuvoirs en enfilade et un lavoir hors d’usage, dans lesquels se déverse une source captée, marquent l’entrée du hameau. J’ôte mon sac et ma « polaire », plonge les bras dans l’eau fraîche. Jean-Marc retrousse ses manches et m’imite. En réaction, la chair de poule ne tarde pas à se manifester sur ma peau, mes poils se hérissent.
Penchés au-dessus du bassin, nous n’entendons pas venir l’individu derrière nous. D’une voix gutturale, l’homme nous adresse un salut auquel nous répondons en sursautant. Les cheveux gris, le teint hâlé, vêtu d’une épaisse chemise marron et les mains dans les poches d’une salopette de travail bleu, il nous considère d’un air goguenard. Comme amusé de notre surprise, il esquisse un sourire et engage la discussion par les invariables questions. Où habitons-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? En se rapprochant, Claude, originaire du hameau et cultivateur, raconte qu’autrefois les abreuvoirs étaient inaccessibles tant le bétail était nombreux. Aujourd’hui, ils décorent les abords du talus, excepté l’été lorsque les ânes passent, ils boivent ! Claude dérive la conversation sur les champs de lentilles. Les fameuses lentilles vertes du Puy semées sur ce terroir, lens esculenta puyensis