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ISBN: 979-10-97042-09-7
« Dépôt légal second trimestre 2017 »
©La Route de la Soie - Editions
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À la mémoire de Jeanne Zeler
Par où commencer ? Par la caresse mordante du soleil en plein été au Xinjiang ? Par l’incompréhension de la situation géographique de cette région chinoise ? Faut-il s’amuser des paradoxes géopolitiques dès les premières lignes d’un récit ? Par intermittence, j’aimerais retrouver les mots des poètes, les mots sereins qui viennent lorsque l’on joue sur une carte de Chine à dessiner les routes du Xinjiang. Mais nous le savons, la carte n’est pas le territoire.
Appréhender les cartes du Xinjiang c’est facile, c’est simple tout ressemble à des déserts, des couleurs chaudes, des distances improbables, des points qui ressemblent à des villes ou plutôt à des villages.
Quand on trouve la carte du Xinjiang à Paris, dans la cartothèque du Vieux Campeur, on sort fier, comme si nous étions armés pour voir, pour appréhender cette immense région. Une carte, à sa première lecture, c’est un peu le déversoir de nos idées reçues. Et elles sont multiples. Face à la carte du Xinjiang on a l’impression que tout se maîtrise, que tout est simple, qu’il suffit de suivre les routes que rien ne nous arrêtera ni l’étonnement des couleurs, ni celui des lumières, ni celui des habitants…
Et puis il y a le peu d’informations à disposition en France concernant cette région : « c’est en Chine, mais non c’est un pays »… Voilà pour les non initiés. Puis pour les curieux, il y a « c’est une zone à risque », « c’est la région musulmane de Chine », « la Chine massacre là-bas les musulmans ». Et puis on regarde un peu les actualités grâce aux alertes du portail « Google »1, nous avons toujours des informations négatives qui ressortent : des attaques terroristes, des répressions militaires, etc.
Au premier regard posé sur cette carte, c’est ce que nous voyons ou nous passe par la tête. Et nous oublions tout le reste, les récits anciens, les aventures de Marco Polo ou encore de Guillaume de Rubrouck2, les échanges culturels, les saveurs culinaires, les joies des bandits de grands chemins, les matières précieuses, les tempêtes, les tentations de guerre sainte, les volontés de coloniser, de christianiser. Il y aurait tant et tant à raconter au fil de l’histoire. Mais nous sommes pris par la vitesse de passage, par l’information qui chasse l’autre, alors notre mémoire s’efface progressivement au profit d’une actualité plus brûlante, plus relayée par les réseaux sociaux. Et dans cette vitesse nous oublions l’élément essentiel de l’humanité : l’humain.
Jamais un voyage ne m’aura demandé autant de recul. Autant de remise en perspective des rencontres, des kilomètres parcourus. J’ai dû faire le point sur ce que je nomme la Chine (ou plus exactement sur la manière dont j’ai appris à percevoir ce pays).
Je me suis donc imposé, comme premier exercice, celui de repenser la carte et le territoire.
Pourquoi m’imposer un tel devoir ? Parce que cet exercice revient à prendre conscience que si nous regardons la carte de France, que voyons-nous ? Me voyez-vous ?
Imaginez-vous, je suis française, je viens de ce tout petit pays qu’est la France. Un bout du continent européen qui se jette dans l’océan. Après la France, il n’y a donc plus rien… Le vide… Approchez-vous d’un peu plus près.
Vous voyez Paris.
Savez-vous que j’y vis ? Paris (ville romantique pour la plupart des chinois), ville engluée, fatiguée, brisée par son histoire, qui ressemble davantage à un décor de théâtre aujourd’hui. Mais cela vous ne pouvez pas le voir sur la carte.
Et si vous vous approchiez de plus près ? Que verriez-nous ?
Imaginons un plan de cinéma. Vous me voyez ici assise à mon bureau, écrivant ces quelques lignes. Vous découvrez que je suis rousse. Peut-être que j’ai les yeux bleus. D’un seul coup, vous pouvez prendre conscience de mon physique, de mon aspect, de ma manière de travailler. Du rythme de mes mots. Et si vous m’interrogiez, je pourrais vous révéler mon parcours : mes études (doctorat de philosophie et d’épistémologie en 2005), des différents postes occupés (rédactrice en chef, journaliste, reporter, responsable d’un festival international de films, responsable de communication interne, enseignante, chercheur, écrivain, etc.).
Vous voyez. Nous avons quitté la carte, nous sommes entrés dans le territoire.
C’est un exercice qui peut sembler simple, mais il demande de la rigueur, il demande de l’observation, de la compréhension des enjeux. Il demande surtout d’aborder autrement les évènements, les situations.
La base de cet exercice est systémique. Comprendre un territoire c’est en appréhender les aspects économiques, humains, géographiques, politiques, éducatifs, historiques, anthropologiques, ethniques, sociologiques, affectifs, etc. Pour se donner l’espace de ces multiples dimensions, il faut être capable de déconstruire l’image immédiate que nous avons. Celle-ci est régie par notre construction mentale, issue de la manière dont nous avons appris, dont nous avons été éduqués.
Il y a urgence à mettre au point cette méthode. En France, je la désigne depuis maintenant un an comme une « philosophie de guerre ». Mais ne prenez pas peur, je n’invite pas à faire la guerre, bien au contraire. Il s’agit de penser le monde de demain à l’aide d’outils affutés. C’est une guerre au sens où cela demande de la rigueur au quotidien. C’est une guerre contre soi, contre la vitesse de passage sur les choses, contre cette tendance à l’immédiateté qui limite notre vision du monde. C’est si vous préférez une philosophie du dépassement.
Il s’agit d’aller au-delà d’une vision qui tend à simplifier les choses, à ne pas tenir compte des multiples dimensions de la vie.
Derrière l’exercice de la carte et du territoire, il y a de grandes notions auxquelles nous devons, en Europe, réfléchir : l’état, la nation, les citoyens, l’éthique. Ce sont là des notions fondamentales et essentielles. En fonction des manières dont nous les abordons en découle un nouveau système économique. En faisant cela, nous arriverons à (re)définir le futur de l’humanité.
Pourquoi évoquer cela lors de l’introduction de ce livre sur le Xinjiang ? C’est, pour moi, un préalable nécessaire, pour expliquer combien ce voyage a été important pour comprendre tous les efforts entrepris par le gouvernement chinois dans la mise en place de la Route de la Soie. J’ai du déconstruire les images mentales que j’avais, les a priori ancrés dans la culture française, pour arriver à mesurer l’émerveillement, la dimension unique et extraordinaire de ce projet. Les freins rencontrés par ce projet en Europe procède de la manière dont chaque pays de l’union européenne aborde la distinction entre la carte et le territoire.
Lorsque l’on considère sous cet angle, le projet « OBOR3 », alors nous pouvons mieux saisir les mots de Xi Jinping prononcé lors d’un discours au Collège d’Europe à Bruges (le 1er avril 2014) :
« Nous, les Chinois, espérons construire, de concert avec nos amis européens, un pont de l’amitié et de la coopération qui relie l’Asie et l’Europe. Nous devons pour cela conjuguer nos efforts dans la construction d’un quadruple pont de la paix, de la croissance, de la réforme et de la civilisation, et ce, dans un partenariat stratégique global sino-européen d’une influence mondiale »4.
Ce pont que le gouvernement chinois met en oeuvre, est une fantastique leçon d’humanité. Pourquoi ? Car en dépit de sa mauvaise presse, de ses détracteurs sur internet et ailleurs, le gouvernement chinois avance. Il dresse le rempart de l’amitié, socle sur lequel se bâtit le « rêve chinois ». Pour comprendre toute la résonance culturelle d’un tel projet, nous devons nous attarder un instant à voir que l’élan de ce projet repose sur une vision territoriale et non cartographique.
Si nous remontons le fil de l’histoire, alors nous nous apercevons que c’est bien un européen qui en coupant les liens avec l’Asie a mis fin à la philosophie des lumières ? Comment cela peut-il se produire ? C’est à la fois simple et complexe. Il a cependant suffit de cartographier la pensée, pour la réduire.
C’est au travers des textes traduits par des jésuites, des moines voyageurs que les « philosophes des lumières » ont pris connaissance d’une autre pensée, où tout semble se fonder sur le rapport à autrui avant de construire une morale. L’altérité était donc bien au coeur de la construction sociale. Cependant, comme le note Anne Cheng, les traductions ont accommodé les textes de Confucius à la pensée européenne du moment.
Cet écart de pensée ne doit donc pas figurer. Au contraire, il faut lisser la pensée de Confucius pour conforter des positions politiques et sociales européennes. Ainsi Confucius devient rationaliste et même agnostique. Mais une chose demeure inchangée : c’est la quête du perfectionnement de soi. Et si nous suivons ce fil, alors nous pouvons voir comment la philosophie anglaise avec John Locke, ou David Hume, a été finalement très inspirée par Confucius. Tous leurs écrits partent de l’individu pour en revenir à une construction sociale. Sans comprendre l’humain, toute société est impossible. En d’autres termes, ce changement de repère est bien de source chinoise.
Il faudrait prendre le temps, relire toute l’histoire de la philosophie européenne avec ce prisme. Nous verrions à quel point ce changement de conception fait naître deux grandes écoles. Ceux qui vont résister à cette prise en considération de l’humain en quête de lui-même dans le monde et ceux qui vont ouvrir une brèche considérable dans la pensée philosophique. Je pense ici à Hegel qui va faire naître la phénoménologie. L’humain est dans le monde, il y incarne à la fois l’histoire individuelle mais aussi celle collective. L’humain est une partie d’un tout - mais l’un ne peut exister sans l’autre. L’univers traverse l’humain, le transperce, il est un tout et en même temps une articulation d’un tout.
Ce qui s’opère dans un sens, s’opère également dans l’autre, en Chine, les Jésuites, sont investis d’une mission de conversion des Chinois à la foi chrétienne selon les dogmes de la Contre-Réforme. Ils appliquent alors une pratique « d’accommodement ». C’est-à-dire qu’ils cherchent à évangéliser la Chine. Comme le souligne Anne Cheng : « La grande idée des savants de la Renaissance du XVI° siècle, reprise par Ricci, est qu’il doit y avoir une « prisca (ou primaeva) theologia (ou philosophia) », théologie ou philosophie première ou naturelle, pas encore altérée et éloignée de la source divine, et relayée par les philosophes grecs »5.
Mais les Jésuites vont se heurter au fait que les chinois remontent bien plus loin que les européens. Leur pensée s’enracine dans le Déluge, soit la création du monde et de l’univers. Il va s’en suivre tout un jeu de traduction de la langue chinoise au latin (puis plus tard du latin vers la langue dite « vulgaire » qu’était le vieux français). C’est là que ce joue toute la transmission du savoir.
En 1687 apparaît la traduction de Ruggieri des quatre livres de Confucius sous le titre Confucius Sinarum Philosophus. Il est extrêmement intéressant de voir combien cette traduction a induit une introduction de Confucius dans notre pensée mâtinée de chrétienté. Confucius est présenté comme un Saint cherchant à établir une morale. Cette vision est d’ailleurs encore très présente dans certains manuels de philosophie.
Ce livre connaît un réel succès et un abrégé d’une centaine de pages paraît en français dès l’année suivante, en 1688, sous le titre La Morale de Confucius, Philosophe de la Chine. A son tour, il est traduit en anglais en 1691 sous le titre The Morals of Confucius, a Chinese Philosopher. De traduction en traduction, les débats vont se succéder et donner lieu à des débats entre les intellectuels européens. Mais comment ne pas voir que chacun va tenter de faire correspondre Confucius à son propre système d’appartenance. Nous pouvons citer ici Fénelon (dans son septième Dialogue des morts) ou encore Malebranche dans son texte intitulé Entretiens d’un philosophe chrétien et d’un philosophe chinois sur l’existence et la nature de Dieu.
Quand on plonge dans les relations entre la France et la Chine, il faut donc remonter à cette rencontre primordiale : l’introduction des textes en France par le biais des prêtres Jésuites. Et si nous poursuivons sur ce fil, alors nous devons évoquer Voltaire. Ce dernier remarque le contraste entre l’édit de tolérance promulgué en 1692 par Kang Xi (qui autorise le déploiement du christianisme en Chine) et la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685. En d’autres termes, Voltaire souligne la différence entre la Chine qui semble s’ouvrir, accepter l’autre dans ses différences et la France avec son arbitraire royal. Il dénonce ainsi les guerres civiles et religieuses qui sévissent en Europe. Dans le même temps, il érige en France Confucius comme un idéal.
Il faudrait s’attarder des années sur cette jonction philosophico-religieuse et les représentations culturelles qui s’en suivirent. Il me faudrait ici citer Leibniz qui fonde l’espoir d’une unification religieuse de l’humanité toute entière, dont l’Empire sino-mandchou est un élément essentiel. Il pose cela au nom de l’universalité de la raison.
Après un enthousiasme des intellectuels des lumières, l’amour de la Chine se transforme en une peur de la Chine. Vers 1750, les intellectuels français reculent. Pourquoi ? Simplement parce qu’ils ont déplacé leur champ d’investigation. L’humain n’est plus au centre, non c’est le politique. De là naît le « désenchantement » français.
La Chine apparaît alors négativement dans les ouvrages de Montesquieu. Il fait apparaître un doute dans L’esprit des lois (chapitre 21 du livre VIII) où il qualifie de « despotique » l’Empire chinois. Puis il finira par écrire qu’il s’agit davantage « d’un despotisme oriental ». Cette vision va donc remettre en question la vision idéaliste Jésuite. Elle va d’ailleurs rencontrer un immense écho dans la pensée écossaise.
Ainsi naît le schisme entre la pensée européenne (qui considère la philosophie comme une matière stricto-sensu européenne) et la pensée de Confucius (entendue non comme philosophie mais comme une pensée).
Et c’est à Emmanuel Kant que l’on doit l’affirmation de cette séparation en 1756, dans le cadre de son cours de Königsberg sur la « géographie physique », où il évoque l’Asie. Il décrète que Confucius n’avait aucune notion de philosophie morale : « Leur maître Confucius n’enseigne rien dans ses écrits hors une doctrine morale destinée aux princes ». Il conclut alors : « le concept de vertu et de moralité n’a jamais pénétré dans la tête des Chinois ».
Comme évoqué plus haut c’est Hegel qui reposera la question de la philosophie en Orient et qui même scellera la séparation officielle. Il écrit dans les notes de ses cours, publiées sous le titre Leçons sur l’histoire de la philosophie, une section consacrée à « La philosophie orientale ». Il y écrit « Nous avons deux philosophies : 1° la philosophie grecque ; 2° la philosophie germanique. » Il s’ensuit que « ce qui est oriental doit donc s’exclure de l’histoire de la philosophie ». En d’autres termes, la philosophie ne peut venir de Chine. Le débat est clos.
Voyager au Xinjiang c’est revenir sur ce pont de l’amitié, sur le lien d’humanité, c’est découvrir la force des échanges au cours de l’histoire. C’est revenir sur la compréhension du territoire. C’est dépasser le cadre rigide de la cartographie.
« Il y a plus de 2100 ans, Zhang Qian, émissaire de la dynastie des Han, chargé d’une mission de paix et d’amitié, fut envoyé à deux reprises en mission diplomatique en Asie centrale, inaugurant les échanges amicaux entre la Chine et les pays de l’Asie centrale, et frayant la Route de la Soie qui s’étend de l’est à l’ouest et relie l’Europe et l’Asie.
Le point de départ de la Route de la Soie se trouve justement dans mon pays natal, la province du Shaanxi. Tandis que je suis ici pour évoquer l’histoire, il me semble entendre les cloches des chameaux qui résonnent dans les montagnes et voir les colonnes de fumée qui s’élèvent en volutes du désert. Tout cela m’est très familier »6.
Ce que Xi Jinping désigne par familier c’est le goût du territoire, sa force mémorielle, ses odeurs, ses histoires. En même temps dans cette introduction, il montre à quel point ce qui est important c’est le lien. Le lien entre le particulier et l’universel, entre l’individu et le territoire.
Au coeur de la Chine, il y a chaque habitant. Peu importe qu’il soit riche ou pauvre, travailleur ou rêveur, entrepreneur ou étudiant, etc.. Chaque individu a son importance.
Individuellement. Chacun est un battement de coeur, une respiration. Pris séparément chacun a une histoire personnelle, elle est fantastique, car elle reflète une histoire familiale qui a connu ses joies et ses tragédies, ses bonheurs et ses failles.
Ensemble. Chaque individu devient plus fort. Tous ensemble ils tissent le lien intrinsèque de la Chine. Le lien de vie : ce fil de soie. Et c’est ce fil qui tisse aussi bien l’actualité que l’avenir de la Chine.
Ce récit, j’ai voulu qu’il soit humain, humaniste. Je m’attache à l’histoire de ceux rencontrés, je suis une semeuse de mots et des histoires de ces habitants rencontrés. Chaque rencontre est une immense richesse.
Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui ont rendu possible ce voyage long de ces milliers de kilomètres au coeur du Xinjiang.
Ce récit est un travail d’équipe, j’écris les mots, je les parsème des couleurs de ceux qui m’ont accompagnée, moi la parisienne philosophe le long de ce territoire en marche, au coeur de cette Chine fantastique qui brille de mille feux, de mille idées qui regorge d’expériences et de mille beautés.
Evidemment, je tiens ici à remercier tout particulièrement Hé Bin, traducteur mais surtout ami qui m’a supportée le long de ces kilomètres (du Tibet au Xinjiang), qui m’a permis de comprendre au-delà des couleurs, des mots, l’histoire de la Chine et qui m’a ouvert les yeux. Un véritable camarade d’aventures qui, à chaque fois, doit se séparer de sa famille pour me suivre et m’indiquer les secrets historiques de la langue chinoise.
A tous ceux qui, comme moi (je devrais dire nous), cherchent à tisser du lien, à remettre l’humain au centre, alors bienvenue dans ce territoire du Xinjiang.
1 Ceux qui me connaissent, qui connaissent mes articles, savent pertinemment que je ne défends pas ce portail. Car oui Google est un portail, en tant que tel il ne répond pas avec pertinence à vos recherches, il répond en fonction de vos habitudes (issues des datas que vous laissez lors de vos requêtes sur le net)… En quelques années, le savoir historique, politique des internautes s’est réduit considérablement puisque par habitude tout le monde s’est mis à chercher sur Google non pour comprendre mais pour avoir un accès immédiat à une majorité de désinformation ou plus exactement à des in-formations (des données donc mises en forme pour vous, qui diffèrent de celles pour moi et ainsi de suite).
2 Guillaume de Rubrouck (ou de Rubroeck, dit Rubruquis) est probablement né dans les années 1210 ou 1220 à Rubrouck (comté de Flandre, royaume de France) et mort, dans les années 1270 ou après 1293. C’est un franciscain de langue flamande, sujet et intime de Saint Louis. Avant Marco Polo, il se rend en Mongolie, en 1253-1254. Il visite Karakorum, la capitale de l'Empire dont il donnera quelques descriptions. À son retour, ne pouvant joindre le roi, il lui écrit une longue lettre relatant son voyage dans l'Empire mongol.
3 One Belt One Road
4 Cf. Xi Jinping, « discours au Collège d’Europe à Bruges (le 1er avril 2014) » in La Gouvernance de la Chine, Éditions En Langues étrangères, page 337
5 Cf. Anne Cheng, Histoire Intellectuelle de la Chine, éd. du Seuil
6 Cf. Xi Jinping, « discours à l’université de Nzarbayev (le 7 septembre 2013) - Construire en commun une ceinture économique de la Route de la Soie » in La Gouvernance de la Chine, Éditions En Langues étrangères, page 343
Arriver à Pékin est toujours un immense plaisir. Dès l’aéroport nous sommes tous plongés dans les dimensions chinoises. Immensité des couloirs, des plafonds, des boutiques. Et en même temps cette même douceur, cette façon unique dont on respire l’ailleurs ici. Arriver à Pékin c’est comme toucher la grande muraille. On a l’impression d’oublier les heures d’avion et de pouvoir bénéficier d’un espace infini où se déplier. Une fois les formalités passer, il faut revenir au réel de cette destination qui m’est si lointaine et pourtant de fait si proche.
J’ai besoin un instant de revenir sur ce statut si particulier qui échappe complètement à la compréhension occidentale. J’ai moi-même mis beaucoup de temps à comprendre et à articuler le concept de « région autonome » dans mon esprit.
Les régions autonomes apparaissent en Chine en 1947. Elles représentent des provinces dans lesquelles une part importante, mais pas forcément majoritaire, de la population appartient à une des minorités ethniques. La Chine compte cinquante-six ethnies (Tibétain, Ouïgour, Hui, Han, Mongol, Miao, Yi, etc.). Une région autonome bénéficie constitutionnellement7 d’une plus grande autonomie que les provinces ordinaires. Elles bénéficient d’une indépendance financière, économique et administrative. Le président de la région doit appartenir à la nationalité exerçant l'autonomie régionale.
Il existe cinq régions autonomes : le Guangxi, la Mongolie-Intérieure, le Ningxia, la Région autonome Ouïgoure de Xinjiang et la Région autonome du Tibet.
Chacune de ces régions bénéficient d’un nom formé par "lieu + minorité + " ce qui équivaut en français à "Région autonome + minorité + de + lieu ». Pour le Xinjiang ou Région autonome ouïgoure de Xinjiang il faut écrire / Shinjang Uyghur Aptonom Rayoni).
C’est ainsi qu’il faut aborder la Chine dans ses particularités, ses différences et son immense diversité.
Il existe plusieurs façons de rejoindre le Xinjiang la route, le train et l’avion…Il est évident de se dire, en regardant la carte du Xinjiang et bien commençons à rouler depuis Pékin. C’est plus simple. Cependant, entre Pékin et Ürümqi il faut compter environ trente sept heures de voitures pour un parcours d’environ trois mille deux cent kilomètres.
Il faut environ cinq heures de vol depuis Pékin pour atteindre Ürümqi. À titre comparaison, le vol Paris Pékin se déroule en à peine plus de dix heures de vol. Il me faut donc revenir à mi parcours. Cet exercice est intéressant, il renverse la perspective. La Chine finalement ce n’est pas loin, ce n’est qu’à cinq heures de vol8. A nouveau, aborder ainsi les distances par la cartographie, c’est nous tromper. C’est oublier le cheminement de la conscience, les souvenirs enfouis des aventures des nomades, les repères de brigands, les courses de chevaux, de chameaux, les rires…
Regarder le Xinjiang en chiffres, c’est être pris de vertige. La Région autonome du Xinjiang est le centre du continent eurasiatique. Sa superficie est de 1,66 millions de kilomètres carrés, soit environ trois fois la France métropolitaine et pourtant elle ne représente qu’un sixième du territoire chinois. Sur une longueur de 5600 km, sa frontière terrestre avoisine huit pays dont la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Pakistan, et l'Inde.
Le Xinjiang incarne l’Asie centrale. Et comme tel, bien qu’il soit majoritairement une région ouïgoure, il est composé d’une multitude d’ethnies : les Kazakhs, Mongols, Kirghiz, hui, Tadjik, Daur, Xibe, Tatars, Mandchous, Ouzbeks. Aujourd’hui, on compte près de sept millions de ouïgours dans la région. Ils sont majoritairement répartis dans les régions de Kashgar, de Hotan et d'Aksu au sud des monts Tianshan.
Concernant mon voyage, j’ai privilégié la rencontre avec les Ouïgours. Par manque de temps, je n’ai pas pu aller dans le Nord du Xinjiang, région des montagnes et frontière avec la Russie. Mon parcours est celui de la Route de la Soie (Nord et sud).
Poursuivant, depuis tant d’années, mes recherches sur le langage afin de comprendre le « dire » ou plus exactement le lien entre « structure de notre pensée et notre vision du monde (donc son application politique) », rencontrer une langue comme celle Ouïgour c’est aller d’étonnement en étonnement. L’histoire de cette langue, et donc sa transmission au fil des années relève d’une curiosité.
Il s’agit d’une langue appartenant au groupe des langues turques de la famille des langues altaïques. Mais le ouïgour a plusieurs histoires, plusieurs temps, plusieurs écritures. Et c’est bien cela qui fascine et qui montre la richesse des échanges dans cette région du monde.
Dans un premier temps, il est écrit dans un alphabet dérivé du sogdien. Il s’agit d’une adaptation d’une langue moyenne iranienne parlée au Moyen Âge par les Sogdiens (peuple commerçant qui résidait en Sogdiane, la région historique englobait Samarcande et Boukhara, recouvrant plus ou moins l'actuel Ouzbékistan). Elle fait partie du rameau oriental et était adoptée comme lingua franca en Asie centrale du VIe au IXe siècle.
Cet alphabet sogdien, dérivé de l'alphabet araméen-syriaque, a été transmis et adapté par les Ouïgours, qui à leur tour le transmirent aux Mongols puis aux Mandchous.
Suite à la conversion des Ouïgours à l’islam, vers l’an mille, des alphabets arabes apparaissent. Tout au long de la route de la soie on retrouve des vestiges de ce passage.
A partir de 1956, le ouïgour s’écrit en l'alphabet cyrillique, mais il est abonné au profit de l’alphabet latin dès 1959. A partir de 1981, le retour à l'écriture arabe est facilité et autorisé pour satisfaire les revendications des élites musulmanes ouïgoures.
Dire cela ne suffit pas résumer la complexité de l’histoire de cette langue ouïgoure, dont le nom signifie « union ». En effet, le ouïgour est fragmenté en trois grandes variétés dialectales: l'ouïgour central, le hotan (ou hetian) et le lop (ou luobu). En fait, il existe un grand nombre de dialectes parlés selon les villes et les comtés : Kashgar-Yarkand (Kashi-Shac he), Yengi Hissar (Yengisar), Khotan-Kerya (Hotan-Yutian), Charchan (Qarqan, Qiemo), Aksu (Aqsu), Qarashahr (Karaxahar), Kucha (Kuqa), Turfan (Turpan), Kumul (Hami), Ili (Kulja, Yining, Taranchi), Ürümqi (Urumchi), Lopnor (Lopnur), Dolan, Akto Türkmen. La langue ouïgoure standard est celle du parler régional de Ürümqi et celui de la vallée de Ili (au nord). La différence entre les deux réside dans le fonds lexical attribuable aux langues dominantes que sont le chinois (Ürümqi) et le russe (au nord).