Copyright © 2022 Pierre Ronsard (de Ronsard)
Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 Rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.
Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne
ISBN : 978-2-3224-4634-6
Dépôt légal : avril 2022
Nous suivrons dans le choix que nous allons faire la division adoptée et consacrée dans toutes les anciennes éditions de Ronsard. C’est donc par les Amours en sonnets que nous commencerons. Les contemporains ont loué dans les sonnets adressés à Cassandre l’érudition, ou comme on disait, la doctrine, et une grande élévation de pensées ; et dans les sonnets adressés à Marie et Hélène, plus de douceur, de naturel et de délicatesse. Cette distinction, avouons-le, n’est pas très frappante pour nous. Parmi ces centaines de sonnets uniformes, nous n’en choisirons qu’un assez petit nombre, et notre attention se portera de préférence sur les jolies chansons qui s’y trouvent entremêlées.
Qui voudra voir comme Amour me surmonte.
Comme il m’assaut, comme il se fait vainqueur.
Comme il renflame et renglace mon coeur.
Comme il reçoit un honneur de ma honte :
Qui voudra voir une jeunesse pronte
À suivre en vain l’objet de son malheur,
Me vienne lire, il voirra ma douleur,
Dont ma Déesse et mon Dieu ne font conte.
Il cognoistra qu’Amour est sans raison,
Un doux abus, une belle prison,
Un vain espoir qui de vent nous vient paistre :
Il cognoistra que l’homme se déçoit,
Quand plein d’erreur un aveugle il reçoit
Pour sa conduite, un enfant pour son maistre
Nature ornant Cassandre, qui devoit
De sa douceur forcer les plus rebelles,
La composa de cent beautez nouvelles.
Que dès mille ans en espargne elle avoit.
De tous les biens qu’Amour au ciel couvoit
Comme un trésor chèrement sous ses ailes,
Elle enrichit les Grâces immortelles
De son bel oeil, qui les dieux esmouvoit.
Du ciel à peine elle estoit descendue
Quand je la vey, quand mon âme esperdue
En devint folle, et d’un si poignant trait
Amour coula ses beautez en mes veines,
Qu’autres plaisirs je ne sens que mes peines,
Ny autre bien qu’adorer son portrait.
Il paraît que cette Cassandre était une demoiselle de Blois. On lit dans le 136e sonnet du premier livre :
Ville de Blois, naissance de madame.
Entre les rais de sa jumelle flame
Je veis Amour qui son arc desbandoit.
Et dans mon coeur le brandon espandoit,
Qui des plus froids les mouëlles enflame :
Puis en deux parts près les yeux de ma Dame,
Couvert de fleurs un ret d’or me tendoit,
Qui tout crespu sur sa face pendoit
À flots ondez, pour enlacer mon ame.
Qu’eussé-je faict ? l’archer estoit si doux,
Si doux son feu, si doux l’or de ses nouds,
Qu’en leurs filets encore je m’oublie :
Mais cest oubli ne me travaille point,
Tant doucement le doux archer me poingt,
Le feu me brusle, et l’or crespe me lie.
L’or de ses nouds, l’or de ses noeuds. – Tant doucement, ainsi Pétrarque : Amor con tal dolcezza m’urige e punge.
L’or crespe, l’or frisé des cheveux.
Bien qu’il te plaise en mon coeur d’allumer
(Coeur ton sujet, lieu de la seigneurie),
Non d’une amour, ainçois d’une furie
Le feu cruel, pour mes os consumer ;
Le mal qui semble aux autres trop amer,
Me semble doux : aussi je n’ay envie
De me douloir, car je n’aime ma vie,
Sinon d’autant qu’il te plaist de l’aimer.
Mais si le ciel m’a fait naître, Madame,
Pour ta victime, en lieu de ma pauvre ame,
Sur ton autel j’offre ma loyauté.
Tu dois plustost en tirer du service,
Que par le feu d’un sanglant sacrifice
L’immoler vive aux pieds de ta beauté.
Ce sonnet, est un peu alambiqué ; mais tout le second quatrain est délicieux, surtout le vers
Sinon d’autant qu’il te plaist de l’aimer.
Il respire une sensibilité molle et naïve.
Une beauté de quinze ans enfantine,
Un or frisé de maint crespe anelet,
Un front de rose, un teint damoiselet,
Un ris qui l’âme aux astres achemine.
Une vertu de telle beauté digne,
Un col de neige, une gorge de lait,
Un coeur ja meur en un sein verdelet,
En dame humaine une beauté divine ;
Un oeil puissant de faire jours les nuits,
Une main douce à forcer les ennuis,
Qui tient ma vie en ses doigts enfermée ;
Avec un chant découpé doucement.
Or’d’un sous-ris, or’d’un gémissement :
De tels sorciers ma raison fut charmée.
Ce sonnet est pris de Pétrarque : Grazie, ch’a pochi’l ciel largo destina, etc. Quoique fort joliment tourné, il est inférieur à l’original. – Une vertu de telle beauté digne, on prononçait dine. – Un coeur ja meur en un sein verdelet traduit parfaitement Sotto biondi capei canuta mente. – Avec un chant découpé doucement, Coi sospir soavemente rotti.
« Avant le temps tes tempes fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant le soir se clorra ta journée,
Trahis d’espoir tes pensées périront :
« Sans me fléchir tes escrits flétriront,
En ton désastre ira ma destinée,
Pour abuser les poètes je suis née,
De tes souspirs nos neveux se riront :
Tu seras fait du vulgaire la fable,
Tu bastiras sur l’incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieux. »
— Ainsi disoit la Nymphe qui m’affole,
Lorsque le ciel, témoin de sa parolle,
D’un dextre éclair fut présage à mes yeux.
Admirable sonnet. Ronsard identifie sa maîtresse Cassandre avec l’antique prophétesse de ce nom, et se fait prédire par elle ses destinées, qui se sont accomplies presque à la lettre. Il mourut en effet tout infirme et cassé, dans un âge peu avancé encore. Ses neveux ont ri de ses soupirs, et il a été fait la fable du vulgaire. – Avant le soir. Vers tout moderne, qu’on croirait d’André Chénier, – Pour abuser les poètes. On faisait alors poète de deux syllabes ; on le trouve encore ainsi dans Regnier. – Et vainement tu peindras dans les cieux. Peindre dans les cieux est une expression magnifique et splendide qui va au sublime. – D’un dextre éclair. On pensait anciennement que les foudres et les éclairs du côté gauche étaient signes et présages de bonheur, et ceux du côté droit, de malheur.
Si mille oeillets, si mille liz j’embrasse,
Entortillant mes bras tout à l’entour,
Plus fort qu’un cep, qui, d’un amoureux tour,
La branche aimée en mille plis enlasse ;
Si le soucy ne jaunit plus ma face,
Si le plaisir fait en moy son sejour,
Si j’aime mieux les ombres que le jour,
Songe divin, ce bien vient de ta grâce.
Suivant ton vol je volerois aux cieux. ;
Mais son portrait, qui me trompe les yeux,
Fraude toujours ma joye entre-rompue.
Puis tu me fuis au milieu de mon bien,
Comme un éclair qui se finit en rien,
Ou comme au vent s’évanouit la nue.
Le commencement est imité du Bembe. On remarquera ce cep voluptueux,
qui, d’un amoureux tour,
La branche aimée en mille plis enlasse.
Voilà des images poétiques qu’on chercherait vainement dans nos poètes avant Ronsard et Dubellay.
Ores la crainte et ores l’espérance
De tous costez se campent en mon coeur :
Ny l’un ny l’autre au combat n’est vainqueur,
Pareils en force et en persévérance.
Ores douteux, ores plein d’assurance,
Entre l’espoir, le soupçon et la peur,
Pour estre en vain de moy-mesme trompeur,
Au coeur captif je promets délivrance.
Verray-je point, avant mourir, le temps.
Que je tondrai la fleur de son printemps,
Sous qui ma vie à l’ombrage demeure ?
Verray-je point qu’en ses bras enlassé,
Tantost dispos, tantost demy lassé,
D’un beau souspir entre ses bras je meure ?
Avant qu’Amour du chaos ocieux
Ouvrist le sein qui couvoit la lumiere.
Avec la terre, avec l’onde premiere,
Sans art, sans forme estoient brouillez les cieux.
Tel mon esprit à rien industrieux,
Dedans mon corps, lourde et grosse matière.
Erroit sans forme et sans figure entière,
Quand l’arc d’Amour le perça par tes yeux.
Amour rendit ma nature parfaite,
Pure par luy mon essence s’est faite,
Il m’en donna la vie et le pouvoir ;
Il eschaufa tout mon sans de sa flame,
Et m’emportant de son vol, fit mouvoir
Avecs luy mes pensées et mon ame.
L’idée de ce sonnet n’a rien de bien neuf ; mais les deux derniers vers sont pleins de mouvement, et rendent à merveille l’impulsion imprimée à l’âme.
Comme un chevreuil, quand le printemps détruit
Du froid hyver la poignante gelée,
Pour mieux brouter la fueille emmiellée,
Hors de son bois avec l’aube s’enfuit :
Et seul et seur, loin de chiens et de bruit,
Or’sur un mont, or’dans une vallée,
Or’près d’une onde à l’escart recelée,
Libre s’egaye où son pied le conduit :
De rets ne d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte
D’un trait sanglant, qui le tient en langueur.
Ainsi j’allois sans espoir de dommage.
Le jour qu’un oeil sur l’avril de mon âge
Tira d’un coup mille traits en mon coeur.
Ce sonnet est pris du Bembe : Si come suol, poiche’l verno aspro e rio, etc., etc. Il n’est pas inférieur à l’original, et j’oserai même dire que je le lui préfère. Le charmant vers : Pour mieux brouter la fueille emmiellée appartient tout entier à Ronsard ; et cet autre vers, allègre et sémillant, Libre s’égaye où son pied le conduit, vaut mieux que Ovunque più ta porta il suo desio.
Si je trespasse entre tes bras, ma Dame,
Je suis content : aussi ne veux-je avoir
Plus grand honneur au monde, que me voir,
En te baisant, dans ton sein rendre l’ame.
Celuy dont Mars la poictrine renflame,
Aille à la guerre : et d’ans et de pouvoir
Tout furieux, s’esbate à recevoir
En sa poitrine une espagnole lame :
Moy plus couard, je ne requiers sinon.
Après cent ans, sans gloire et sans renom,
Mourir oisif en ton giron, Cassandre :
Car je me trompe, ou c’est plus de bonheur
D’ainsi mourir, que d’avoir tout l’honneur
D’un grand César ou d’un foudre Alexandre.
Ainsi Tibulle :
Non ego laudari curo, mea Delia : tecum
Dummodo sim, quæso segnis inersque vocer.
Ainsi Properce, Ovide, et tous les élégiaques de l’antiquité.
Quand au temple nous serons
Agenouillés, nous ferons
Les dévots, selon la guise
De ceux qui pour louer Dieu
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de l’église.
Mais quand au lit nous serons
Entrelassés, nous ferons
Les lascifs, selon les guises
Des amants, qui librement
Pratiquent folastrement
Dans les draps cent mignardises.
Pourquoi doncques quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée.
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloistre enfermée ?
Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ton front, ta lèvre jumelle ?
En veux-tu baiser Pluton
Là-bas, après que Charon
T’aura mise en sa nacelle ?
Après ton dernier trespas,
Gresle, tu n’auras là-bas
Qu’une bouchette blesmie :
Et quand, mort, je te verrois,
Aux ombres je n’avou’rois
Que jadis tu fus m’amie.
Ton test n’aura plus de peau,
Ny ton visage si beau
N’aura veines ny artères :
Tu n’auras plus que des dents
Telles qu’on les voit dedans
Les testes des cimeteres.
Doncques tandis que tu vis,
Change, maistresse, d’advis,
Et ne m’espargne ta bouche.
Incontinent tu mourras :
Lors tu te repentiras
De m’avoir esté farouche.
Ah je meurs ! ah baise-moy !
Ah, Maistresse, approche-toy !
Tu fuis comme un fan qui tremble :
Au moins souffre que ma main
S’esbate un peu dans ton sein,
Ou plus bas, si bon te semble.
De pareilles beautés ne réclament ni ne souffrent aucun commentaire. Bien malheureux qui, en lisant ces vers, n’y verrait que des scènes de plaisir et des espiègleries folâtres ! Tout cela y est, et de plus, surtout vers le milieu, il y a des larmes, larmes de tristesse autant que de volupté…. .
Quoniam medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid quod in ipsis floribus angat.
Lucrèce .
Ou pour parler avec Lamartine :
Mais jusque dans le sein des heures fortunées
Je ne sais quelle voix que j’entends retentir
Me poursuit, et vient m’avertir
Que le bonheur s’enfuit sur l’aile des années,
Et que de nos amours le flambeau doit mourir.
Voicy le bois que ma saincte angelette
Sur le printemps rejouist de son chant :
Voicy les fleurs où son pied va marchant,
Quand à soy-mesme elle pense seulette :
Voicy la prée et la rive mollette,
Qui prend vigueur de sa main la touchant,
Quand pas à pas en son sein va cachant
Le bel email de l’herbe nouvelette.
Icy chanter, là pleurer je la vy,
Icy sourire, et là je fu ravy
De ses discours par lesquels je des-vie :
Icy s’asseoir, là je la vy danser :
Sus le mestier d’un si vague penser
Amour ourdit les trames de ma vie.
Imité de Pétrarque : Senuccio ; i’vo’che sappi in qual maniera, etc.
Icy chanter :
Qui cantò dolcemente, e qui s’assise :
Qui si rivolse, e qui rattenne il passo :
Qui co’begli occhi mi trafisse il core.
Qui disse una parola, e qui sorrise :
Qui cangiò’l viso. In questi pensier, lasso,
Notte e di tienmi il signor nostro Amore.
Il faut avouer que ces deux derniers vers de Pétrarque sont bien au-dessous des deux vers correspondants de Ronsard, qui offrent une riche et gracieuse image.
Page, suy-moy par l’herbe plus espesse :
Fauche l’esmail de la verte saison,
Puis à plein poing en-jonche la maison
Des fleurs qu’avril enfante en sa jeunesse.
Despen du croc ma lyre chanteresse.
Je veux charmer si je puis la poison,
Dont un bel oeil enchanta ma raison
Par la vertu d’une oeillade maistresse.
Donne-moy l’encre et le papier aussi ;
En cent papiers, tesmoins de mon souci,
Je veux tracer la peine que j’endure :
En cent papiers plus durs que diamant,
Afin qu’un jour nostre race future
Juge du mal que je souffre en aimant.
De ses maris l’industrieuse Heleine,
L’aiguille en main, retraçoit les combas
Dessus sa toile : en ce poinct tu t’esbas
D’ouvrer le mal duquel ma vie est pleine.
Mais tout ainsi, Maistresse, que ta leine
Et ton fil noir desseignent mon trespas.
Tout au rebours pourquoy ne peins-tu pas
De quelque verd un espoir à ma peine ?
Mon oeil ne void sur ta gaze rangé,
Sinon du noir, sinon de l’orangé,
Tristes tesmoins de ma longue souffrance.
Ô fier destin ! son oeil ne me desfait
Tant seulement, mais tout ce qu’elle fait
Ne me promet qu’une desesperance.
Ingénieux et bien tourné. Il paraît que l’invention appartient à Ronsard.
Quand je te voy discourant à part toy,
Toute amusée avecs ta pensée,
Un peu la teste encontre-bas baissée,
Te retirant du vulgaire et de moy :
Je veux souvent, pour rompre ton esmoy,
Te saluer : mais ma voix offensée,
De trop de peur se retient amassée
Dedans la bouche et me laisse tout coy.
Mon oeil confus ne peut souffrir ta veue :
De ses rayons mon âme tremble esmeue :
Langue ne voix ne font leur action.
Seuls mes soupirs, seul mon triste visage
Parlent pour moy, et telle passion
De mon amour donne assez tesmoignage.
Le tableau du premier quatrain est parfaitement touché : cet air pensif, cette tête penchante, et cette façon d’exprimer la rêverie : Toute amusée avecs ta pensée ! La Fontaine eût-il pu trouver mieux ?
Dédaigné de la fière Cassandre, le poète se console avec Marie, qui paraît avoir été une simple fille de Bourgueil ; Belleau va même jusqu’à dire qu’elle servait dans une hôtellerie de l’endroit. Ces nouvelles amours sont célébrées sur un ton un peu moins fastueux que celles de Cassandre. La jeune Marie ne tarda pas à mourir, et le poète a déploré ce trépas prématuré comme Pétrarque a fait celui de Laure. M. Nodier dans sa belle collection possède un livre d’heures qui pourrait bien avoir appartenu à cette Marie, et sur lequel on lit les vers suivants, qui sont de la main de Ronsard.
Maugré l’envy je suis du tout à elle ;
Mais je vouldrois dans son cueur avoir leu
Qu’elle ne veult et qu’elle n’a esleu
Autre que moy pour bien estre aymé d’elle.
Bien elle scet que je luy suis fidelle,
Et quant à moy j’estime en son endroit
Ce qui en est : car elle ne vouldroit
Autre que moy pour bien estre aymé d’elle.
Au reste, la discussion de ce point piquant de bibliologie a fourni matière à un intéressant chapitre des Mélanges tirés d’une petite bibliothèque, que le public lettré attend avec une si vive impatience.
Je veux, me souvenant de ma gentille amie,
Boire ce soir d’autant, et pour ce, Corydon,
Fay remplir mes flacons, et verse à l’abandon
Du vin pour resjouir toute la compagnie
Soit que m’amie ait nom ou Cassandre ou Marie,
Neuf fois je m’en vay boire aux lettres de son nom :
Et toi si de ta belle et jeune Magdelon,
Belleau, l’amour te poind, je te pri’, ne l’oublie.
Apporte ces bouquets que tu m’avois cueillis,
Ces roses, ces oeillets, ce jasmin et ces lis :
Attache une couronne à l’entour de ma teste.
Gaignons ce jour icy, trompons nostre trespas :
Peut-estre que demain nous ne reboirons pas.
S’attendre au lendemain n’est pas chose trop preste.
Ainsi Tibulle :
Care puer, madeant generoso pocula baccho,
Et nobis pronâ funde falerna manu.
Ite procul, durum, curæ genus, ite labores.
Marie, levez-vous, vous estes paresseuse,
Ja la gaye alouette au ciel a fredonné,
Et ja le rossignol doucement jargonné,
Dessus l’espine assis, sa complainte amoureuse.
Sus debout, allons voir l’herbelette perleuse,
Et vostre beau rosier de boutons couronné,
Et vos oeillets mignons ausquels aviez donné
Hier au soir de l’eau d’une main si soigneuse.
Harsoir en vous couchant vous jurastes vos yeux,
D’estre plustost que moy ce matin esveillée ;
Mais le dormir de l’aube, aux filles gracieux,
Vous tient d’un doux sommeil encor les yeux sillée.
Ça ça que je les baise et vostre beau tétin
Cent fois pour vous apprendre à vous lever matin.
Belleau, qui a commenté ce sonnet, en trouve avec raison les mignardises plus belles en leur simplicité que toutes les inventions alambiquées des Espagnols et de quelques Italiens. – Marie se comptait de trois syllabes, parce qu’on faisait sentir l’e final. – Harsoir, pour hier soir.
Amour est un charmeur ; si je suis une année
Avecs ma maistresse à babiller tousjours,
Et à luy raconter quelles sont mes amours,
L’an me semble plus court qu’une courte journée
Si quelque tiers survient, j’en ay l’âme gennée,
Ou je deviens muet, ou mes propos sont lours :
Au milieu du devis s’esgarent mes discours,
Et tout ainsi que moi ma langue est estonnée.
Mais quand je suis tout seul auprès de mon plaisir,
Ma langue interprétant le plus de mon désir,
Alors de caqueter mon ardeur ne fait cesse :
Je ne fais qu’inventer, que conter, que parler ;
Car pour estre cent ans auprès de ma maistresse,
Cent ans me sont trop courts, et ne m’en puis aller.
Ce sonnet pourrait être de Marot, tant il est facile et naturel.
Cache pour ceste nuict ta corne, bonne Lune :
Ainsi Endymion soit tousjours ton amy,
Ainsi soit-il tousjours en ton sein endormy,
Ainsi nul enchanteur jamais ne t’importune.
Le jour m’est odieux, la nuict m’est opportune,
Je crains de jour l’aguet d’un voisin ennemy :
De nuict plus courageux je traverse parmy
Les espions, couvert de la courtine brune.
Tu sçais, Lune, que peut l’amoureuse poison :
Le dieu Pan pour le prix d’une blanche toison
Put bien fléchir ton coeur. Et vous, astres insignes,
Favorisez au feu qui me tient allumé,
Car, s’il vous en souvient, la pluspart de vous, Signes,
N’a place dans le ciel que pour avoir aimé.
Je traverse parmi les espions. Malgré notre prédilection pour l’enjambement, nous trouvons celui-ci un peu hasardé ; pourtant il n’est pas trop mal en rapport avec l’idée exprimée, et oblige le lecteur de traverser le vers furtivement et comme à la dérobée parmi les espions. – Le dieu Pan. Pan, étant amoureux de la Lune, l’obtint moyennant la toison d’une brebis blanche :
Munere sic niveo lanæ (si credere dignum est)
Pan, deus Arcadiæ, captam te, Luna, fefellit.
Virgile, Georg.
N’a place dans le ciel. Vers d’une justesse ingénieuse et d’un sentiment exquis.
Fleur Angevine de quinze ans,
Ton front monstre assez de simplesse :
Mais ton coeur ne cache au dedans
Sinon que malice et finesse,
Celant, sous ombre d’amitié,
Une jeunette mauvaistié.
Rends-moy (si tu as quelque honte)
Mon coeur que je t’avois donné,
Dont tu ne fais non plus de conte
Que d’un esclave emprisonné,
T’esjouissant de sa misère,
Et te plaisant de luy desplaire.
Une autre moins belle que toy,
Mais bien de meilleure nature,
Le voudroit bien avoir de moy,
Elle l’aura, je te le jure :
Elle l’aura, puis qu’autrement
Il n’a de toy bon traitement.
Mais non, j’aime trop mieux qu’il meure
Sans esperance en ta prison :
J’aime trop mieux qu’il y demeure
Mort de douleur contre raison,
Qu’en te changeant jouir de celle
Qui m’est plus douce et non si belle.
Chanson aimable et naïve d’un rythme léger et courant, tout à fait dans le goût de Marot ou de Saint-Gelais. – Une jeunette mauvaistié. Il est à regretter que ce substantif mauvaistié n’ait pas été conservé dans la langue ; malice n’est pas son équivalent. Ronsard a dit ailleurs à sa maîtresse dans le même sens :
Ha ! tu fais la mauvaise !
Qui m’est plus douce et non si belle. Vers exquis, comme nous en avons déjà rencontré tant de fois.
Vous mesprisez nature : estes-vous si cruelle
De ne vouloir aimer ? Voyez les passereaux,
Qui démènent l’amour, voyez les colombeaux.
Regardez le ramier, voyez la tourterelle ;
Voyez deçà delà d’une frétillante aile
Voleter par les bois les amoureux oiseaux ;
Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux,
Et toute chose rire en la saison nouvelle.
Icy, la bergerette en tournant son fuseau,
Desgoise ses amours, et là le pastoureau
Respond à sa chanson : icy toute chose aime,
Tout parle de l’amour, tout s’en veut enflammer :
Seulement votre coeur, froid d’une glace extrême,
Demeure opiniastre et ne veut point aimer.
Chanson
Amour, dy, je te prie (ainsi de tous humains
Et des dieux soit tousjours l’empire entre tes mains),
Qui te fournist de flèches ?
Veu que tousjours colère en mille et mille lieux
Tu pers tes traits ès coeurs des hommes et des dieux.
Empennez de flammeches ?
Mais je te pri’, dy-moy, est-ce point le dieu Mars,
Quand il revient chargé du butin des soldars
Tuez à la bataille ?
Ou bien si c’est Vulcan qui dedans ses fourneaux
(Après les tiens perdus) t’en refait de nouveaux,
Et tousjours t’en rebaille ?
Pauvret (respond Amour) et quoy ? ignores-tu
La rigueur, la douceur, la force, la vertu
Des beaux yeux de t’amie ?
Plus je respan de traits sus hommes et sus dieux,
Et plus d’un seul regard m’en fournissent les yeux
De ta belle Marie.
Toute cette pièce est prise du latin de Marulle :
Cum tot tela die, proterve, spargas ;
Tot figas sine fine, et hic et illic.
Nous la citons surtout pour le rythme, qui est de l’invention de Ronsard. Si les petits vers, troisième et sixième de chaque strophe, avaient quatre pieds au lieu de trois, ce serait précisément le rythme de la Jeune Captive. Or il y a un grand charme et une singulière impression pour les oreilles délicates dans ce petit vers féminin qui vient après les deux grands vers masculins. Si la rime masculine portait sur le petit vers, et si celle des alexandrins était féminine, on n’aurait plus la même impression, et le rythme, quoique d’un fort bon effet, serait plus ordinaire et moins savant.
C’estoit en la saison que l’amoureuse Flore
Faisoit pour son amy les fleurettes esclore
Par les prez bigarrez d’autant d’esmail de fleurs,
Que le grand arc du ciel s’esmaille de couleurs ;
Lorsque les papillons et les blondes avettes,
Les uns chargez au bec, les autres aux cuissettes,
Errent par les jardins, et les petits oiseaux
Voletant par les bois de rameaux en rameaux
Amassent la bêchée, et parmi la verdure
Ont souci comme nous de leur race future.
Thoinet au mois d’avril passant par Vendomois
Me mena voir à Tours Marion que j’aimois,
Qui aux nopces estoit d’une sienne cousine :
Et ce Thoinet aussi alloit voir sa Francine,
Qu’Amour en se jouant, d’un trait plein de rigueur,
Luy avoit près le Clain escrite dans le coeur.
Nous partismes tous deux du hameau de Coustures,
Nous passasmes Gastine et ses hautes verdures,
Nous passasmes Marré, et vismes à mi-jour
Du pasteur Phelippot s’eslever la grand-tour,
Qui de Beaumont-la-Ronce honore le village,
Comme un pin fait honneur aux arbres d’un bocage.
Ce pasteur qu’on nommoit Phelippot, tout gaillard,
Chez luy nous festoya jusques au soir bien tard.
De là vinsmes coucher au gué de Lengenrie,
Sous des saules plantez le long d’une prairie :
Puis, dès le poinct du jour redoublant le marcher,
Nous vismes en un bois s’eslever le clocher
De sainct Cosme près Tours, où la nopce gentille
Dans un pré se faisoit au beau milieu de l’isle.
Là Francine dançoit, de Thoinet le souci,
Là Marion balloit, qui fut le mien aussi :
Puis nous mettans tous deux en l’ordre de la dance,
Thoinet tout le premier ceste plainte commence :
Ma Francine, mon coeur, qu’oublier je ne puis,
Bien que pour ton amour oublié je me suis ;
Quand dure en cruauté tu passerais les ourses,
Et les torrents d’hyver desbordez de leurs courses,
Et quand tu porterois en lieu d’humaine chair
Au fond de l’estomach pour un coeur un rocher ;
Quand tu aurois succé le laict d’une lyonne,
Quand tu serois, cruelle, une beste félonne,
Ton coeur seroit pourtant de mes pleurs adouci,
Et ce pauvre Thoinet tu prendrois à mercy.
Je suis, s’il t’en souvient, Thoinet qui dès jeunesse
Te voyant sur le Clain t’appela sa maistresse,
Qui musette et flageol à ses lèvres usa
Pour te donner plaisir, mais cela m’abusa :
Car te pensant fléchir comme une femme humaine,
Je trouvay ta poitrine et ton oreille pleine,
Hélas, qui l’eust pensé ! de cent mille glaçons
Lesquels ne t’ont permis d’escouter mes chansons :
Et toutefois le temps, qui les prez de leurs herbes
Despouille d’an en an, et les champs de leurs gerbes,
Ne m’a point despouillé le souvenir du jour
Ny du mois, où je mis en tes yeux mon amour ;
Ny ne fera jamais, voire eussé-je avallée
L’onde qui court là-bas sous l’obscure vallée.
C’estoit au mois d’avril, Francine, il m’en souvient,
Quand tout arbre florit, quand la terre devient
De vieillesse en jouvence, et l’estrange arondelle
Fait contre un soliveau sa maison naturelle ;
Quand la limace, au dos qui porte sa maison,
Laisse un trac sur les fleurs ; quand la blonde toison
Va couvrant la chenille, et quand parmy les prées
Volent les papillons aux ailes diaprées,
Lors que fol je te vy, et depuis je n’ai peu
Rien voir après tes yeux que tout ne m’ait despleu.
Six ans sont jà passez, toutefois dans l’oreille
J’entens encor le son de ta voix nompareille,
Qui me gaigna le coeur, et me souvient encor
De ta vermeille bouche et de tes cheveux d’or,
De ta main, de tes yeux, et si le temps qui passe
A depuis desrobé quelque peu de leur grâce,
Hélas ! je ne suis moins de leurs grâces ravy
Que je fus sur le Clain, le jour que je te vy
Surpasser en beauté toutes les pastourelles
Que les jeunes pasteurs estimoient les plus belles :
Car je n’ay pas esgard à cela que tu es,
Mais à ce que tu fus, tant les amoureux traits
Te graverent en moy, voire de telle sorte
Que telle que tu fus telle au sang je te porte.
Dès l’heure que le coeur de l’oeil tu me perças,
Pour en sçavoir la fin je lis tourner le sas
Par une Janeton, qui, au bourg de Crotelles,
Soit du bien soit du mal disoit toutes nouvelles.
Après qu’elle eut trois fois craché dedans son sein,
Trois fois esternué, elle prist du levain,
Le retaste en ses doigts, et en fit une image,
Qui te sembloit de port, de taille et de visage :
Puis tournoyant trois fois, et trois fois marmonnant,
De sa jartiere alla tout mon col entournant,
Et me dis : Je ne tiens si fort de ma jartiere
Ton col, que ta vie est, de malheur heritière,
Captive de Francine, et seulement la mort
Desnou’ra le lien qui te serre si fort :
Et n’espere jamais de vouloir entreprendre
D’eschauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre.
Las ! je ne la creu pas, et pour vouloir adonc
En estre plus certain, je fis coupper le jonc,
La veille de sainct Jean : mais je vy sur la place
Le mien, signe d’amour, croistre plus d’une brasse,
Le tien demeurer court, signe que tu n’avois
Soucy de ma langueur, et que tu ne m’aimois,
Et que ton amitié, qui n’est point asseurée,
Ainsi que le jonc court est courte demeurée.
Je mis, pour t’essayer encores devant-hier,
Dans le creux de ma main des fueilles de coudrier :
Mais en tappant dessus, nul son ne me rendirent,
Et flaques sans sonner sur la main me fanirent ;
Vray signe que je suis en ton amour moqué,
Puis qu’en frapant dessus elles n’ont point craqué,
Pour monstrer par effet que, ton coeur ne craquette
Ainsi que fait le mien d’une flamme secrette.
Ô ma belle Francine ! ô ma fière, et pourquoy
En dansant, de tes mains ne me prends-tu le doy ?
Pourquoy, lasse du bal, entre ces fleurs couchée,
N’ay-je sur ton giron ou la teste panchée,
Ou mes yeux sur les tiens, ou ma bouche dessus
Tes deux tétins, de neige et d’y voire conceus ?
Te semblé-je trop vieil ? encor la barbe tendre
Ne fait que commencer sur ma joue à s’estendre,
Et ta bouche qui passe en beauté le coral,
S’elle veut me baiser, ne se fera point mal :
Mais ainsi qu’un lézard se cache sous l’herbette,
Sous ma blonde toison cacheras ta languette,
Puis en la retirant, tu tireras à toy
Mon coeur, pour te baiser, qui sortira de moy.
Hélas, pren donc mon coeur avec ceste paire
De ramiers que je t’offre ; ils sont venus de l’aire
De ce gentil ramier dont je t’avois parlé :
Margot m’en a tenu plus d’une heure accollé,
Les pensant emporter pour les mettre en sa cage :
Mais ce n’est pas pour elle, et demain davantage
Je t’en rapporteray, avecs un pinson
Qui desja sçait par coeur une belle chanson,
Que je fis l’autre jour dessous une aubespine,
Dont le commencement est Thoinet et Francine.
Hà, cruelle, demeure ; et tes yeux amoureux
Ne destourne de moy : hà je suis malheureux !
Car je cognois mon mal, et si cognois encore
La puissance d’Amour, qui le sang me dévore :
Sa puissance est cruelle, et n’a point d’autre jeu,
Sinon de rebrusler nos coeurs à petit feu,
Ou de les englacer, comme ayant pris son estre
D’une glace ou d’un feu ou d’un rocher champestre.
Hà ! que ne suis-je abeille, ou papillon, j’irois
Maugré toy te baiser, et puis je m’assirois
Sur tes tétins, afin de succer de ma bouche
Ceste humeur qui te fait contre moy si farouche.
Ô belle au doux regard, Francine au beau sourcy,
Baise-moy, je te prie, et m’embrasses ainsi
Qu’un arbre est embrassé d’une vigne bien forte :
Souvent un vain baiser quelque plaisir apporte.
Je meurs ! tu me feras despecer ce bouquet,
Que j’ai cueilly pour toy, de thym et de muguet,
Et de la rouge fleur qu’on nomme Cassandrette,
Et de la blanche fleur qu’on appelle Olivette,
À qui Bellot donna et la vie et le nom,
Et de celle qui prend de ton nom son surnom.
Las ! où fuis-tu de moy ? hà ma fière ennemie,
Je m’en vais despouiller jaquette et souquenie,
Et m’en courray tout nud au haut de ce rocher,
Où tu vois ce garçon à la ligne pescher,
Afin de me lancer à corps perdu dans Loire,
Pour laver mon soucy, ou afin de tant boire
D’escumes et de flots, que la flamme d’aimer
Par l’eau contraire au feu se puisse consumer.
Ainsi disoit Thoinet, qui se pasme sur l’herbe,
Presque transi de voir sa dame si superbe,
Qui rioit de son mal, sans daigner seulement
D’un seul petit clin d’oeil apaiser son tourment.
J’ouvroy desja la lèvre après Thoinet, pour dire
De combien Marion estoit encore pire,
Quand j’avise sa mère en haste gagner l’eau,
Et sa fille emmener avec elle au bateau,
Qui se jouant sur l’onde attendoit ceste charge,
Lié contre le tronc d’un saule au feste large ;
Ja les rames tiroient le bateau bien pansu,
Et la voile en enflant son grand reply bossu
Emportoit le plaisir qui mon coeur tient en peine,
Quand je m’assis au bord de la première arène ;
Et voyant le bateau qui s’enfuyoit de moy,
Parlant à Marion, je chantay ce convoy :
Bateau qui par les flots ma chère vie emportes,
Des vents en ta faveur les haleines soient mortes :
Et le ban perilleux, qui se trouve parmy
Les eaux, ne t’enveloppe en son sable endormy :
Que l’air, le vent, et l’eau favorisent ma Dame,
Et que nul flot bossu ne destourbe sa rame :
En guise d’un estang, sans vagues, paresseux
Aille le cours de Loire, et son limon crasseux
Pour ce jourd’huy se change en gravelle menue,
Pleine de maint ruby et mainte perle esleue.
Que les bords soient semez de mille belles fleurs
Représentants sur l’eau mille belles couleurs,
Et le troupeau nymphal des gentilles Naïades
À l’entour du vaisseau face mille gambades :
Les unes balloyant des paumes de leurs mains
Les flots devant la barque, et les autres leurs seins
Descouvrent à fleur d’eau, et d’une main ouvrière
Conduisent le bateau du long de la rivière.
L’azuré martinet puisse voler devant
Avec la mouette ; et le plongeon, suivant
Son mal-heureux destin, pour le jourd’huy ne songe
En sa belle Hesperie, et dans l’eau ne se plonge :
Et le héron criard, qui la tempeste fuit,
Haut pendu dedans l’air ne fasse point de bruit :
Ains tout gentil oiseau, qui va cherchant sa proye
Par les flots poissonneux, bien-heureux te convoye,
Pour seurement venir avec ta charge au port,
Où Marion verra peut-estre sur le bort
Une orme des longs bras d’une vigne enlassée,
Et la voyant ainsi doucement embrassée,
De son pauvre Perrot se pourra souvenir,
Et voudra sur le bord embrassé le tenir.
On dit au temps passé que quelques-uns changèrent
En rivière leur forme, et eux-mesmes nagèrent
Au flot qui de leur sang goutte à goutte sailloit,
Quand leur corps transformé en eau se distilloit,
Que ne puis-je muer ma ressemblance humaine
En la forme de l’eau qui ceste barque emmeine ?
J’irois en murmurant sous le fond du vaisseau,
J’irois tout alentour, et mon amoureuse eau
Baiseroit or’sa main, ore sa bouche franche,
La suyvant jusqu’au port de la Chapelle blanche :
Puis laissant mon canal pour jouir de mon veuil,
Par le trac de ses pas j’irois jusqu’à Bourgueil,
Et là-dessous un pin couché sur la verdure,
Je voudrois revestir ma premiere figure.
Se trouve point quelque herbe en ce rivage icy
Qui ayt le goust si fort, qu’elle me puisse ainsi
Muer comme fut Glauque en aquatique monstre,
Qui, homme ne poisson, homme et poisson se montre ?
Je voudrais estre Glauque, et avoir dans mon sein
Les pommes qu’Hippomene eslançoit de sa main
Pour gagner Atalante : à fin de te surprendre.
Je les ru’rois sur l’eau, et te ferais apprendre
Que l’or n’a seulement sur la terre pouvoir,